Dans un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 24 (21/01392), le machiniste receveur obtient des dommages intérêts pour harcèlement moral, discrimination et manquement à l’obligation de sécurité.
La Cour d'appel de Paris annule également 2 avertissements notifiés au machiniste receveur.
2.10) Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Aux termes de l’article L. 1152-4 du même code, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.
En l'espèce, Monsieur X fait valoir que les éléments suivants caractérisent des agissements répétés de harcèlement moral :
- La suppression illicite d’un jour et demi de congé annuel ;
- Le non-paiement de la prime de congé annuel pris hors période ;
- La radiation indue de sa mutuelle ;
- Le non-respect de l’obligation de reclassement.
Il indique que le contexte nocif de travail ainsi que les sanctions abusives dont il a été victime l’ont plongé dans un important état dépressif, contraignant son médecin à l’arrêter. Il ajoute également qu'il est à l'origine d'une détérioration de son état de santé avec un passage de 10 à 15% de taux d'incapacité.
Sur la suppression illicite d'un jour et demi de congé annuel, ainsi que précédemment jugé, cette suppression n'était pas illicite mais fondée par la prise de 3 heures par le salarié sur son compte CCF et l'imputation de 7 heures au titre de la journée de solidarité. Ce fait ne laisse donc pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Sur le non-paiement de la prime de congé annuel pris hors période, la RATP a versé en janvier 2019 la prime due pour l'année 2018. Ce délai de versement n'apparaissant pas abusif, ce fait ne laisse pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Sur la radiation indue de la mutuelle, elle est établie, mais intervient à la suite de la rupture du contrat de travail. Or, le harcèlement moral allégué doit avoir lieu pendant l'exécution du contrat de travail et non postérieurement.
Sur le non-respect allégué de l'obligation de reclassement, cet éventuel manquement est sanctionné au stade de l'appréciation de la validité de la rupture du contrat de travail et de son éventuelle indemnisation en cas d'irrégularité, et non comme un fait constitutif de harcèlement moral.
Sur les sanctions alléguées, il s'agit des deux avertissements des 20 octobre et 11 décembre 2017, déjà invoqués au titre de la discrimination en raison de l'état de santé, qui ont été annulés par le présent arrêt. Le fait de sanctionner le salarié par deux avertissements injustifiés à quelques mois d'intervalle peut laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Sur son état dépressif, il produit un arrêt de travail du 22 septembre 2017 qui ne mentionne pas le motif de l'arrêt, et une prescription d'anti-dépresseurs qui date du 29 mai 2019, soit postérieure de trois semaines à la rupture de son contrat de travail. Ces éléments sont insuffisants à laisser supposer qu'un harcèlement moral de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail aurait été à l'origine d'un état dépressif du salarié.
Sur la détérioration de son état de santé et le passage de 10 à 15% d'incapacité,
il produit le courrier du 17 janvier 2019 de la CCAS lui attribuant un taux de 15% contre 10 % précédemment, mais aucun élément relatif aux causes médicales de cette incapacité, dont la cause initiale était liée aux séquelles physiques de son accident de trajet. Aucun élément ne laissant supposer qu'on puisse relier cette aggravation du taux d'incapacité à une autre cause qu'aux séquelles de l'accident de trajet n'est produit.
Sur le contexte nocif de travail, Monsieur X produit un courrier du 16 février
2018 par lequel il a entendu porter à la connaissance du service ressources humaines de la RATP des faits caractérisant un harcèlement moral et une discrimination en raison de l'état de santé. Outre les faits déjà examinés cidessus, il évoque le non-versement de primes, déjà invoqué à l'appui de la discrimination retenue. A la suite de ce courrier, l'employeur a initié une enquête interne. Ces faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.
En réponse à ces éléments, l'employeur fait valoir que l'enquête interne diligentée à la suite du courrier du 16 février 2018 du salarié a conclu à l'absence de harcèlement. La cour relève cependant que cette enquête a retenu à titre de point d'amélioration une attention particulière à apporter dans le suivi administratif du salarié, afin d'éviter les erreurs de gestion. Les erreurs de gestion concernent les primes non versées, déjà retenues au titre de la discrimination, sont avérées, et l'employeur ne s'explique pas sur la répétition de ses erreurs et les conséquences sur le salarié.
Ces faits sont donc susceptibles de caractériser un harcèlement moral.
S'agissant des avertissements, l'employeur fait valoir qu'ils étaient justifiés et proportionnés. Mais, ils sont tous deux annulés par le présent arrêt.
Au regard de ce qui précède, aux faits répétés invoqués par le salarié au titre du harcèlement, l'employeur n'apporte pas de justifications objectives étrangères à tout harcèlement.
En conséquence, et dans la mesure où le salarié a subi un préjudice distinct de celui réparé au titre de la discrimination, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur X de sa demande d'indemnisation à ce titre, et statuant de nouveau, de condamner la RATP à lui verser la somme de 3.000 € de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.
2.11) Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l’article L 4121-2, il met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui
est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique,
l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L.
1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les
mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés.
En l'espèce, Monsieur X fait valoir que depuis le 28 juin 2017, date à laquelle il a été déclaré définitivement inapte à son emploi de « Machiniste receveur », la RATP l'a laissé dans l'incertitude de son avenir professionnel, et que cette mise à l'écart a été source de stress, et à un arrêt de travail pour dépression. Il indique qu'aucune mesure n'a été prise pour faire cesser les agissements de harcèlement moral dont il était victime, alors qu'il avait dénoncé l'acharnement dont il faisait l'objet.
Toutefois, la mise à l'écart invoquée n'est pas établie, puisque l'employeur a au contraire confié plusieurs missions au salarié afin qu'il demeure actif au sein de la RATP malgré son inaptitude. Ainsi que précédemment relevé, le salarié n'a pas démontré avoir été placé en arrêt de travail pour dépression pendant l'exécution de son contrat de travail. Par ailleurs, suite à dénonciation du salarié de faits qu'il estimait constitutifs de harcèlement moral et de discrimination à raison de l'état de santé par courrier du 16 février 2018, l'employeur a pris des mesures puisqu'il a fait diligenter une enquête interne, qui a conclu à l'absence de harcèlement, mais a retenu deux points d'amélioration communiqué au services des ressources humaines, à savoir : une attention particulière à apporter dans le suivi administratif du salarié afin d'éviter les erreurs de gestion, et l'énoncé le plus complet possible des missions de celui-ci dans d'éventuelles nouvelles feuilles de cadrage à venir.
Des mesures ont donc été prises par l'employeur au titre de l'obligation desécurité.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnisation à ce titre.
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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