Dans un arrêt historique du 21 janvier 2025 (n° 22-87.145) publié au bulletin, rendu à l’occasion de l’affaire emblématique de France Télécom (devenue Orange), la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la notion de harcèlement moral institutionnel et sur les principes fondamentaux de la prévisibilité et de la légalité en droit pénal.
En l’occurrence, elle a confirmé la responsabilité pénale des dirigeants de l’entreprise ayant mis en place des politiques managériales délétères, créant un environnement anxiogène et une dégradation des conditions de travail des salariés.
Si cette décision confirme que les responsabilités managériales doivent être exercées dans le respect des droits des salariés, elle soulève également des interrogations quant à l’articulation entre le pouvoir de direction et la responsabilité pénale.
Cette décision doit être approuvée.
I. Faits.
L’affaire France Télécom débute en 2004 avec la privatisation de l’entreprise d’envergure internationale et la mise en œuvre de plans de restructuration majeurs.
Ce processus s’accompagne mis en place une politique managériale reposant sur des objectifs chiffrés de départs imposés à l’ensemble des directions, entre 2006 et 2009, et visant de ce fait à réduire drastiquement les effectifs dans le cadre de plans baptisés « NExT » et « ACT » prévoyant la suppression de 22 000 postes et de mobilité de 10 000 agents.
En a résulté une vague de suicides et de tentatives de suicide parmi les salariés, une situation tragique qui alerte les syndicats et le public. Dès lors, en septembre 2009, la fédération syndicale a déposé une plainte dénonçant des faits de harcèlement moral et de risques pour la santé des salariés de la société.
Les plaintes ont fait état de méthodes managériales harcelantes, telles que des incitations au départ forcé, des mutations imposées, des surcharges de travail et des menaces. En conséquence, une enquête judiciaire a été ouverte, et les dirigeants de l’entreprise ont été mis en examen.
Les dirigeants de France Télécom sont accusés d’avoir mis en place une politique visant à déstabiliser les salariés, dans le but d’accélérer les départs volontaires, sans recourir à la procédure de licenciement économique.
II. Moyens.
Les dirigeants de l’entreprise sont poursuivis sur le fondement de l’article 222-33-2 du Code pénal, qui incrimine le harcèlement moral au travail. Ce texte, bien qu’il ne mentionne pas explicitement le concept de "harcèlement moral institutionnel", interdit les comportements dégradants visant à nuire aux conditions de travail des salariés, leur dignité ou leur santé mentale et physique. Le préjudice ne doit pas nécessairement être individuel, mais peut être collectif, touchant une grande partie des employés, comme dans cette affaire.
Les dirigeants ont contesté la décision de la cour d’appel retenant leur responsabilité.
Ils invoquent tout d’abord un manque de précision de la loi pour leur défense, arguant que la notion de "harcèlement moral institutionnel" ne pourrait être incluse sous cette qualification.
Selon eux, l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme impose que la loi pénale, y compris son interprétation jurisprudentielle, soit accessible et prévisible. Ils soutiennent que, à l’époque des faits, la notion de "harcèlement moral institutionnel" n’était ni claire ni raisonnablement prévisible, faute d’interprétation jurisprudentielle antérieure éclairante.
Par ailleurs, ils affirment que l’évolution jurisprudentielle ayant conduit à l’incrimination de pratiques générales d’entreprise n’était pas suffisamment ancrée dans le droit au moment des faits incriminés.
En particulier, plusieurs arguments ont été avancés pour contester la culpabilité des cadres impliqués, en particulier les prévenus ont affirmé que les conditions de travail dégradées n’étaient pas directement imputables à leurs actions, certaines d’entre elles étant survenues après leur départ.
L’argument selon lequel les actions menées relevaient de la politique d’entreprise, sans volonté délibérée de nuire, a également été mis en avant.
Enfin, les prévenus dénoncent une interprétation extensive et imprévisible de l’article 222-33-2 du Code pénal, qui, selon eux, ne devrait pas s’appliquer à des faits généraux et non individualisés.
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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