1) Non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur + harcèlement moral = résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

La Cour d’appel de Paris, dans les deux arrêts du 4 novembre 2020 (n° RG 19/06819 et 19/06824) affirme en premier lieu que lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande en résiliation du contrat était justifiée.

C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

En l’espèce, les salariées invoquent à l’appui de leur demande de résiliation judiciaire d’une part, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et d’autre part des actes de harcèlement moral.

1.1) Sur l’obligation de sécurité : le manquement à l’obligation de sécurité résultat justifie à lui seul la demande de résiliation judiciaire.

La Cour d’appel de renvoi affirme que les appelantes soutiennent d’abord que l’employeur a refusé de mettre en œuvre des mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail :

1°) Augmentant ainsi la pénibilité du travail au vestiaire, par la suppression de la polyvalence de leur emploi, notamment par :
. L’embauche d’hôtesses extérieures, se révélant incompétentes avec des prestations chaotiques, faits dénoncés dès le mois de décembre 2011 à l’inspection du travail, puis le 19 octobre 2012 et à l’employeur par courrier du 25 avril 2012 et lors de la réunion des délégués du personnel le 23 mai 2012 ;
. Puis l’embauche de salariées en contrat à durée indéterminée non polyvalentes pour la boutique et la vente de programmes, entraînant une dégradation de leurs conditions de travail, faits dénoncés lors de la réunion des délégués du personnel le 13 juin 2012 mais aussi par courrier du 11 septembre 2012 à la direction du Bal du Moulin Rouge et le refus de la direction de prendre en considération la souffrance au travail, laquelle dans ses courriers, invoque notamment son pouvoir de direction ou une nouvelle organisation rendue nécessaire au développement de l’activité commerciale :
- L’absence de motivation des salariées rémunérées au fixe ;
- Le recours à une société de prestation de services pour le nettoyage des toilettes ;

2°) Ne prenant pas en compte les conclusions de la CRAM et du CHSCT, du médecin du travail et du médecin-conseil du CRRMP.

3°) Ne prenant aucune mesure suite à l’identification des situations à risque dans les documents uniques d’évaluation des risques (DUER).

Madame Y précise que cela a entraîné une dégradation de sa santé et de celles de ses collègues, exposant être en arrêt maladie depuis le 10 avril 2012, souffrant de lombalgies extrêmement invalidantes, d’une discopathie ayant conduit à une opération et à la pose d’une prothèse lombaire, ainsi que d’une fibromyalgie et d’une névralgie cervico-brachiale, engendrées par le port de charges trop lourdes que représentent les piles de vêtements au vestiaire et aggravée par un grand stress, et produit diverses pièces médicales à l’appui.

Madame Z quant à elle précise que cela a entraîné une dégradation de sa santé et de celles de ses collègues, aboutissant à son inaptitude.

Les salariées invoquent également le refus du Bal du Moulin Rouge de mettre en place un service de sécurité et de réparer les vitrines de la boutique Toulouse Lautrec.

La société indique que le vestiaire intègre à titre principal la réception et la restitution d’effets personnels déposés par les clients et à titre secondaire, la vente des programmes et des produits à la boutique Toulouse Lautrec ainsi que l’entretien des toilettes dédiées à la clientèle.

Elle admet que les 2/3 de l’activité du service étaient consacrés au vestiaire stricto sensu.

Elle soutient que ce sont les salariées du vestiaire qui décidaient des affectations chaque jour et de leur répartition entre elles.

Elle considère avoir pris des mesures de prévention, notamment par la surveillance médicale renforcée de Mmes Y et Z, par l’établissement des DUER où la catégorie professionnelle à laquelle étaient affectées Mmes Y et Z est répertoriée et analysée.

Au visa de l’article D4161-2 du Code du travail, elle précise que les salariées ne levaient jamais de charges unitaires équivalentes à 15 kilos.

S’agissant de la prétendue dégradation des conditions de travail à l’origine de l’affection de Mme Y, l’intimée précise que la fibromyalgie et la sciatique n’ont pas été reconnues par la caisse primaire d’assurance maladie ni par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles comme étant en lien avec ses conditions de travail.

Enfin, elle indique que le service de sécurité existe et que la vitrine a été remplacée.

La Cour d’appel de Paris affirme que le Code du travail impose une obligation de sécurité à l’employeur par les articles L4121-1 et suivants, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, en ces termes :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention prévus à l’article L4121-2 du même Code.
Il doit assurer l’effectivité de ces mesures.

i) Réduction de la polyvalence des employés du vestiaire.

Pour le cas de Mme Z, la Cour d’appel considère qu’il ressort des pièces produites par les parties que dès l’année 2006, en 2008, en 2010 et de façon plus marquée à compter de l’année 2012, les décisions de la direction ont eu pour effet de réduire la polyvalence des employés du vestiaire, leur intervention sur les tâches dites secondaires ne s’effectuant plus que lors de remplacements ponctuels pour repos ou maladie des salariées dédiées.

Les juges d’appel relèvent quant à Mme Y que dans son contrat de travail initial, elle avait pour fonctions :

« réception vestiaire, vente au public des programmes et des produits boutique et entretien toilettes clientèle ».

Or, il ressort des pièces produites par les parties que dès décembre 2006, la société a confié cette dernière tâche à un prestataire extérieur, puis en 2007 a procédé à l’embauche régulière sur l’année auprès d’une agence d’hôtesses, lesquelles n’étaient pas polyvalentes et devaient être formées pour le vestiaire, avec un turn-over important ayant provoqué outre une désorganisation signalée par les salariées, une réduction de fait de la polyvalence des employées du vestiaire, leur intervention sur les tâches dites secondaires ne s’effectuant plus que lors de remplacements ponctuels pour repos ou maladie des salariées dédiées.

ii) Augmentation de la pénibilité de leur emploi.

Au-delà du problème de la rémunération exposée dans leurs courriers, les élues du personnel et représentante syndicale dont Mme Y et Mme Z, ont attiré l’attention de l’employeur notamment dans une lettre au président du directoire du 11 septembre 2012 sur l’augmentation de la pénibilité induite par la fin de la polyvalence de leurs fonctions, rappelant

« ce travail de manutention implique le port de charges lourdes accompagné de gestes répétitifs à longueur de soirée.

Or, vous nous imposez désormais ce travail à plein temps qui pour nous représente une charge de travail difficilement supportable à l’année et qui n’a pas été spécifiée dans nos conditions d’embauche ».

Après avoir signalé ce fonctionnement problématique dans un courrier à l’inspection du travail en décembre 2011, une des collègues de Mme Y (Mme Z) dans un mail du 19 octobre 2012 relatait à l’inspection du travail, un incident survenu dans la soirée, dans le cadre d’un sous-effectif du fait de l’accident du travail d’une de ses collègues, soulignant « une politique de désorganisation » et concluant « nos conditions de travail aujourd’hui sont les pires que nous ayons connues » et l’imputant aux décisions de la direction.

La Cour affirme que si l’employeur n’a pas eu connaissance de ce mail, il avait forcément été informé ne serait-ce que par l’action judiciaire initiée par plusieurs salariées dont Mme Y et Mme Z dès la fin mai 2012 portant sur l’obligation de sécurité, des difficultés ci-dessus évoquées et dans sa réponse du 2 octobre 2012, il dénie totalement cette « pénibilité croissante » en arguant de l’absence de modification du contrat de travail, ce qui constitue une réponse peu appropriée.

 

 

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Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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