La Cour de cassation a encore frappé s’agissant de la validité de dispositions conventionnelles relatives au forfait jours. Par plusieurs arrêts en date du 5 juillet 2023, derniers en date d’une longue série, la Haute juridiction a démontré qu’elle continuait à exercer un contrôle exigeant en la matière. Elle a ainsi invalidé les dispositions des conventions collectives de l’automobile et des prestataires de service du secteur tertiaire mettant en place un dispositif de forfait annuel en jours.

L’occasion de revenir sur les incidences pratiques de telles décisions pour les employeurs.

 

  • L’accord collectif : un prérequis indispensable à la mise en place du forfait jours

La mise en place de conventions de forfaits en jours sur l’année est subordonnée, avant tout, à la conclusion d’un accord collectif (d’entreprise ou de branche), devant obligatoirement prévoir :

  • Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait
  • Le nombre de jours compris dans le forfait
  • Les caractéristiques principales des conventions
  • La période de référence du forfait
  • Les conditions de prise en compte des forfaits
  • Les modalités selon lesquelles l’employeur :
    • Assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail
    • Echange périodiquement avec le salarié sur sa charge de travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sa rémunération, ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise
    • Assure le droit à la déconnexion du salarié

Ces modalités doivent garantir le respect des durées raisonnables de travail et des repos journaliers et hebdomadaires, ainsi qu’une amplitude et une charge de travail raisonnables tout comme une bonne répartition du travail dans le temps.

 A défaut, l’accord collectif ne pourra être considéré comme valable.

Or, en l’absence de support conventionnel valable, les conventions individuelles de forfait en jours conclues avec les salariés sont nulles, ouvrant alors la voie à des demandes de paiement d’heures supplémentaires.

 

  • L’accord collectif : contrôle et sanction de la Cour de cassation

C’est précisément sur les modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail des salariés, telles que fixées par les deux conventions collectives visées, que s’est prononcée la Cour de cassation dans ses arrêts en date du 5 juillet 2023.

Elle considère ici que les dispositifs prévus sont inadéquats en ce qu’ils :

  • ne permettaient pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable,
  • n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition, dans le temps, du travail des salariés concernés
  • ne permettaient donc pas d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés concernés.

En effet, les dispositions conventionnelles se bornaient ici en réalité à énoncer des principes directeurs, sans organiser concrètement les modalités effectives de suivi régulier de la charge de travail par l’employeur.

En d’autres termes, les dispositions conventionnelles afférentes sont jugées insuffisantes et donc invalidées par la Haute juridiction.

Ces invalidations emportent théoriquement dans leur sillage la nullité des conventions individuelles de forfait en jours conclues sur le fondement des dispositions conventionnelles visées et donc, potentiellement, nombre de demandes au titre des heures supplémentaires.

Le législateur a heureusement anticipé une telle situation et prévu les moyens d’y remédier.

 

  • Accord collectif invalide : les palliatifs prévus par le Code du travail

Dans l’attente de la renégociation des dispositions visées par les partenaires sociaux, les employeurs concernés peuvent « sauver les forfaits jours » en palliant unilatéralement l’insuffisance des mesures actuelles, conformément à l’article L.3121-65-I du Code du travail, qui prévoit :

« I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ».

Ainsi, en pareille hypothèse, les employeurs ont intérêt à s’assurer de disposer ou de mettre en place, notamment :

  • Un document de contrôle permettant un suivi individuel et mensuel des salariés répondant aux exigences légales, et comprenant donc l’ensemble des mentions adéquates ;
  • Un entretien annuel a minima portant spécifiquement sur le suivi de la charge de travail et l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle, la rémunération, ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise, avec un formulaire spécifique ;
  • Un dispositif d’alerte immédiat en dehors de l’entretien annuel en cas de difficulté rencontrée par le salarié ;
  • Une charte, note interne ou autre (selon l’effectif de l’entreprise) sur le droit à la déconnexion.

Il peut également être envisagé de revoir la rédaction des clauses relatives au forfait jours dans les contrats de travail, en fonction de leur rédaction et afin de la faire coïncider avec les dispositifs mis en place.

La tendance actuelle de la jurisprudence quant à l’appréciation des demandes au titre des heures supplémentaires invite plus que jamais les employeurs à une vigilance et surveillance accrue de leurs dispositifs de suivi et de contrôle du temps de travail, même en cas de forfait jours.