Un dirigeant d’une société investis de tous les pouvoirs pour la représenter, peut déléguer à une ou plusieurs personnes de son choix le pouvoir d'accomplir, au nom de la société, certains actes bien précis.

Pour sa validité, une délégation de pouvoirs doit répondre aux conditions suivantes :

  • Il doit y avoir une hiérarchie entre le délégant et le délégataire qui sont en principe unis par un lien de subordination directe ou indirecte ;
  • Le délégataire doit avoir la compétence, les moyens et l'autorité nécessaire pour accomplir la mission confiée ;
  • La délégation doit résulter d'éléments clairs et précis qui peuvent être factuels ou tirés d'un contexte ;
  • La délégation doit être limitée dans son champ et dans le temps.

La mise en place d’une délégation valide a pour effet :

  • De dessaisir le délégant d’une partie de ses pouvoirs au profit du délégataire. Ainsi il ne peut intervenir dans l'exercice des pouvoirs délégués, au risque de se voir reprocher de s'immiscer dans l'activité du délégataire, ce qui n'exclut pas d'être tenu d'une obligation de surveillance ;
  • De transférer la responsabilité pénale inhérente aux pouvoirs délégués dont le délégant se trouve dégagé en conséquence.

La délégation de pouvoirs, intéressent particulièrement les entreprises d’une certaine taille dans la mesure où elle constitue un instrument vertueux d’organisation. Mais elle intéresse également les groupes de sociétés même si, pour ces derniers, la mise en place de délégations de pouvoirs nécessite une vigilance particulière.

I/        Un intérêt certain

Le groupe est un ensemble qui comprend plusieurs sociétés ayant des liens juridiques entre elles de sorte que l’une d’elles dite « société mère » exerce un contrôle sur les autres. Le groupe repose généralement sur une forme de centralisation de la prise de décision, de mise en commun de moyens ou d'objectifs, orientés vers un intérêt commun qui dépasse parfois l'intérêt de chacun de ses membres.

La mise en place de délégation de pouvoirs au sein d’un groupe se concrétise souvent par la désignation dans chaque société du groupe d’une seule personne experte dans son domaine, généralement salarié de la société mère, qui reçoit pouvoirs de chacune des sociétés pour exercer la même fonction dans l’ensemble dans sociétés constituant le groupe, un « super-délégataire ». Ainsi, souvent le directeur des ressources humaines de la société mère dispose d’une délégation de pouvoirs de chacun des dirigeants des filiales pour gérer les recrutements et les ruptures des contrats de travail de leurs salariés.

Les intérêts d’une mise en place d’une délégation de pouvoirs intragroupe sont évidents dans la mesure où :  

  • Elle permet de rationaliser la prise de décision ou le fonctionnement au sein du groupe, notamment en mutualisant les moyens ;
  • Elle constitue un facteur d'intégration au sein du groupe puisqu’elle permet de faciliter la mise en place d'une politique commune au sein du groupe ;
  • Elle facilite la remontée d’information au sein du groupe, dans la mesure où le délégataire, rend compte de sa mission à la société mère.

II/       Une validité fragile

Au-delà de son utilité organisationnelle pratique, la délégation de pouvoirs est surtout un outil de prévention du risque pénal au sein de l'entreprise. Elle est reconnue surtout comme un moyen de transférer la responsabilité pénale du délégant au délégataire. Or la délégation de pouvoirs n’a d’effet translatif de responsabilité pénale que si le délégataire est un salarié ou dirigeant de l’entreprise concernée.

Pourtant les juges, privilégiant la réalité économique à l’analyse purement juridique, ont admis l'efficacité pénale de la délégation accordée pour l'ensemble d'un groupe de sociétés à un « super-délégataire », en permettant l'exonération du dirigeant de la société au sein de laquelle l'infraction avait été commise, alors qu'en l'espèce, le délégataire n'appartenait pas à cette société puisqu'il n'en était ni salarié ni dirigeant. Cass. crim., 7 févr. 1995 : RJS 1995, n° 657.  

Outre la problématique précédemment exposée, la délégation de pouvoirs intragroupe pourrait poser une autre difficulté. Rappelons qu’en matière pénale, la délégation n’est efficace qui si le délégataire est investi de l'autorité, des moyens et de la compétence nécessaires à l'accomplissement de sa fonction de prévention. Or dans le cadre d’une délégation intragroupe, il pourrait être difficile pour un délégataire commun à l’ensemble des sociétés du groupe, loin du terrain, et de par l’organisation fonctionnelle du groupe, de disposer réellement de l’autorité et des moyens pour faire respecter la délégation à des salariés d’une entreprise distincte de celle qui l’emploie. Ainsi, si la validité de  la délégation intragroupe est généralement admise par la jurisprudence, encore faut-il qu’elle ne soit pas contestée par un « super-délégataire » qui a décidé de dégager sa responsabilité.

III/      Des risques potentiels

Une délégation intragroupe est généralement confiée par le dirigeant de chacune des filiales formant le groupe à un « super-délégataire » généralement salarié de la société mère. Cette configuration présente des risques qu’il convient de souligner :

  • Risque d’immixtion dans les affaires des filiales : la société mère, employeur du délégataire, peut influencer les choix de ses filiales par l’intermédiaire de la délégation. Ce risque d’immixtion est de nature à remettre en cause l’autonomie de la filiale ;
  • Risque de dilution des pouvoirs du délégataire : une délégation très étendue peut rendre difficile l’exercice de ses pouvoirs par un délégataire trop éloigné ou mal informé.

La délégation de pouvoirs est certainement un instrument de gestion très utile au sein d’un groupe, toutefois, son efficacité nécessite une organisation adaptée et une rédaction particulièrement rigoureuse.