La Grande Chambre de la Cour de Justice des Communautés a rendu une décision n° C-275/06, Productores de musica de espagna/telefonica qui pourrait avoir en France une portée en particulier dans la jurisprudence relavive à l'utilisation du RPVJ et du RPVA.

Cette décision, signalée sur internet; a fait l'objet de commentaires dont celui, remarquable du Pr E. Derieux (1), la question de la généralisation des procédures électroniques pourrait être plus creusée par la doctrine.

Le droit français s'est en effet adapté pour ce qui est de trouver l'origine des produits argués de contrefaçon.

A cet égard, les pouvoirs du juge de la mise en état ont augmenté pour mener une véritable instruction sur l'origine des produits (communautaire ou non).

Parfois la loi en spécialisant les juridictions comme en matière de propriété intellectuelle ou de concurrence risque d'arriver à un exercice imparfait.

Les faits et la question posée à la CJCE:

Promusicae est une association sans but lucratif regroupant des producteurs et des éditeurs d'enregistrements

musicaux ainsi que d'enregistrements audiovisuels.

Par lettre du 28 novembre 2005, elle a introduit une demande de mesures préliminaires devant le Juzgado de lo Mercantil nº 5 de Madrid (tribunal de commerce n° 5 de Madrid) contre Telefónica, société commerciale qui a pour activité, notamment, la fourniture de services d'accès à l'Internet.

Promusicae a demandé qu'il soit ordonné à Telefónica de révéler l'identité et l'adresse physique de certaines personnes auxquelles cette dernière fournit un service d'accès à l'Internet et dont l'«adresse IP» ainsi que la date et l'heure de connexion sont connues.

Selon Promusicae, ces personnes utilisent le programme d'échange d'archives (dit «peer to peer» ou «P2P»),

dénommé «KaZaA», et permettent l'accès, dans le répertoire partagé de leur ordinateur personnel, à des phonogrammes dont les droits patrimoniaux d'exploitation appartiennent aux associés de Promusicae.

Par une ordonnance du 21 décembre 2005, le Juzgado de lo Mercantil nº 5 de Madrid a fait droit à la demande de mesures préliminaires formulée par Promusicae.

Telefónica a formé une opposition contre cette ordonnance, soutenant que, conformément à la LSSI, la communication des données demandées par Promusicae n'est autorisée que dans le cadre d'une enquête pénale ou en vue de la sauvegarde de la sécurité publique et de la défense nationale, et non dans le cadre d'une procédure civile ou à titre de mesure préliminaire relative à une telle procédure.

Pour sa part, Promusicae a fait valoir que l'article 12 de la LSSI doit être interprété

conformément à plusieurs dispositions des directives 2000/31, 2001/29 et 2004/48 ainsi qu'aux articles 17, paragraphe 2, et 47 de la charte, textes qui ne permettent pas aux États membres de limiter aux seules fins visées selon la lettre de cette loi l'obligation de communication des données concernées.

Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil nº 5 de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Le droit communautaire et, concrètement, l'article 15, paragraphe 2, et l'article 18 de la directive [2000/31], l'article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive [2001/29], l'article 8 de la directive [2004/48] ainsi que l'article 17, paragraphe 2, et l'article 47 de la charte [...] permettent-ils aux États membres de limiter au cadre d'une enquête criminelle ou aux impératifs de sauvegarde de la sécurité publique et de la défense nationale, et donc à l'exclusion des procédures civiles, l'obligation qui incombe aux opérateurs de réseaux et de services de communications électroniques, aux fournisseurs d'accès à des réseaux de télécommunications et aux fournisseurs de services de stockage de données de conserver et de mettre à disposition les

données de connexion et de trafic engendrées par les communications établies au cours de la prestation d'un service de la société de l'information?»

Réponse de la CJCE:

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Les directives 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), n'imposent pas aux États membres de prévoir, dans une situation telle que celle de l'affaire au principal, l'obligation de communiquer des données à caractère personnel en vue d'assurer la protection effective du droit d'auteur dans le cadre d'une procédure civile. Toutefois, le droit communautaire exige desdits États

que, lors de la transposition de ces directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d'assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire.

Ensuite, lors de la mise en oeuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d'interpréter leur droit national d'une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité."

Commentaire:

Effectivement, tout est question d'équilibre.

Le rapide mouvement de balancier que j'exposais entre la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence est lié en partue de mon point de vue à l'application du principe de subsidiarité.

Désormais tout est question d'équilibre apprécié au plan national.

Je suis moins optimiste que le Pr Derieux car il me semble que la procédure civile s'est engagée dans la dématérialisation et que le législateur impose désormais aux juges et au juge de la mise en état en particulier d'instruire les réseaux de commercialisation des produits, ce qui imlique la diffusion de données nominatives comme les personnes qui se cachent derrière des comptes bancaires ou des transactions faites en ligne...

La CNIL et les autorités communautaires devraient se prononcer sur la procédure civile numérique au regard des règles ci dessus...

A suivre!

(1) E. Derieux, "Le droit communautaire n'impose pas que les législations nationales prévoient l'obligation de communiquer des données à caractère personnel dans le cadre d'une procédure civile.