Polueur payeur, voici une nouvelle position de principe effectuée par la cour de cassation dans l'affaire de l'Erika.
Une affaire qui concerne les communes du litoral.
La Cour d'Appel a jugé que que la commune était dans l'impossibilité d'obtenir le remboursement des frais liés au nettoyage de ses côtes souillées, sur le fondement des dispositions de l'article L. 541-2 du Code de l'environnement.
Cet article dispose que toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination.
Subtil raisonnement mis à mal par l'arrêt du 17 décembre 2008 selon lequel le carburant appartenant à la société Total ne serait devenu déchet que du fait du transport.
Il a fallu que la Cour de Justice des Communautés réponde à une question (ces avocats alors!) dans sa décision (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07)2), la CURIA a dit pour droit que des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, se retrouvant mélangés à l'eau ainsi qu'à des sédiments et dérivant le long des côtes d'un Etat membre jusqu'à s'échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350,
La Cour de Cassation ne pouvait donc plus ignorer l'argumentation "écolo" de la commune elle juge:
"Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant peut être considéré comme détenteur antérieur des déchets s'il est établi qu'il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage et que le producteur du produit générateur des déchets peut être tenu de supporter les coûts liés à l'élimination des déchets si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage, la cour d'appel, qui a constaté que la société Total raffinage distribution avait produit le fioul lourd et que la société Total international Ltd l'avait acquis puis vendu à la société Enel et affrété le navire Erika pour le transporter, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ".
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Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 17 décembre 2008
N° de pourvoi: 04-12315
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Cachelot (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Nicolaý, de Lanouvelle, Hannotin, avocat(s)
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 février 2002), que la société italienne Enel a passé un contrat avec la société Total international Ltd portant sur la livraison de fioul lourd n° 2 destiné à servir de combustible pour la production d'électricité ; que, pour l'exécution de ce contrat, la société Total raffinage distribution (devenue société Total France) a vendu à la société Total international Ltd 30 000 tonnes de fioul lourd n° 2, laquelle a affrété le navire Erika pour le transporter du port de Dunkerque au port de Milazzo (Italie) ; que, le 12 décembre 1999, le navire pétrolier Erika a sombré déversant une partie de sa cargaison et de ses soutes en mer et entraînant une pollution du littoral atlantique français ; que la commune de Mesquer a assigné la société Total raffinage distribution et la société Total international Ltd en paiement des dépenses déjà engagées par la commune au titre des opérations de nettoyage et de dépollution de son territoire ; que par arrêt du 28 mars 2007, la Cour de cassation a sursis à statuer et saisi la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de questions préjudicielles ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la commune de Mesquer fait grief à l'arrêt de dire que le fioul lourd n° 2 n'est pas caractéristique d'un déchet et de la débouter de sa demande de condamnation in solidum des sociétés Total international Ltd et Total raffinage distribution à lui payer une somme, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en estimant que l'arrêté du 18 septembre 1967 définissant les caractéristiques du fioul lourd n° 2 était inapplicable en l'espèce, au motif que l'Erika devait débarquer sa cargaison en Italie, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ensemble l'arrêté susvisé ;
2°/ qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y avait été invitée par la commune de Mesquer, si la substance transportée par l'Erika avait une viscosité à 100° C inférieure à 40 centistokes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'arrêté du 18 septembre 1967 ;
3°/ qu'en retenant que la substance transportée par l'Erika était du fioul lourd "au sens communautaire et selon la pratique admise en la matière", pour ensuite écarter la qualification de déchet de cette substance, sans préciser les caractéristiques du fioul lourd au sens de ce droit et de cette pratique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ;
4°/ qu'en retenant que la substance transportée par l'Erika était du fioul lourd "au sens communautaire et selon la pratique admise en la matière", pour ensuite écarter la qualification de déchet de cette substance, sans préciser ses caractéristiques, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ;
5°/ subsidiairement, qu'est un déchet, au sens de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation ; qu'ayant constaté que le fioul lourd n° 2 était un résidu du processus de raffinage du pétrole, processus de transformation du pétrole brut en produits adaptés aux besoins des consommateurs, la cour d'appel n'a pas, en refusant de qualifier ce fioul de déchet, tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi par refus d'application le texte susvisé ;
6°/ plus subsidiairement, que le mode d'utilisation d'une substance n'est pas déterminant de la qualification ou non de déchet ; qu'en se déterminant néanmoins, pour refuser de qualifier de déchet le fioul lourd n° 2 transporté par l'Erika, au regard de considérations inopérantes liées à sa destination convenue par les sociétés pétrolières et son acquéreur, aux fins de production d'électricité par voie de combustion et à son utilisation, en général, aux fins de production de ladite énergie, la cour d'appel a violé l'article L. 541-1 du code de l'environnement, interprété à la lumière de l'article 1er de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975 ;
7°/ que la combustion d'un bien est une opération d'élimination de ce dernier, quand bien même elle aurait pour finalité la production d'énergie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 541-2 du code de l'environnement (article 2 de la loi du 15 juillet 1975) ;
Mais attendu que la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07) qu'une substance telle que celle en cause au principal, à savoir du fioul lourd vendu en tant que combustible, ne constitue pas un déchet au sens de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996, dès lors qu'elle est exploitée ou commercialisée dans des conditions économiquement avantageuses et qu'elle est susceptible d'être effectivement utilisée en tant que combustible sans nécessiter d'opération de transformation préalable ;
Et attendu qu'ayant relevé, en procédant à la recherche prétendument omise, que, selon l'expertise confiée à M. X... par la juridiction administrative, la cargaison de l'Erika était du fioul lourd n° 2 tel que défini par l'arrêté du 18 septembre 1967 et que ces conclusions étaient confirmées, après analyses, par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement de Haute-Normandie, l'Institut français du pétrole et le Centre de documentation de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) et constaté que le fioul lourd n° 2 était un produit issu du processus de raffinage, qui répondait aux spécifications de la société Enel et était destiné à une utilisation directe comme combustible pour les besoins de production électrique, la cour d'appel, qui a pu en déduire, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, que la cargaison de l'Erika ne pouvait être qualifiée de déchet, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que le risque lié au naufrage était évidemment connu de l'armateur, qui n'avait pas à être spécialement averti, le connaissement, accompagné d'ailleurs de divers documents informatifs sur la nature et les particularités de la cargaison faisant état de fioul lourd, ce qui était conforme à la cargaison réelle, la cour d'appel, qui a pu en déduire que le transfert de garde s'était opéré lors du chargement du fioul à bord et que la responsabilité des sociétés Total ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé qu'il n'était pas établi que le fioul lourd n° 2 transporté par le navire Erika était atteint d'une défectuosité quelconque, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations non assorties d'une offre de preuve, a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article L. 541-2 du code de l'environnement, interprété à la lumière des objectifs assignés aux Etats membres par la directive CEE 75-442 du 15 juillet 1975 ;
Attendu que toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets ; que l'élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l'énergie, ainsi qu'au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances ci-dessus mentionnées ;
Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07)2) a dit pour droit que des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, se retrouvant mélangés à l'eau ainsi qu'à des sédiments et dérivant le long des côtes d'un Etat membre jusqu'à s'échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d'être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable et qu'aux fins de l'application de l'article 15 de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, au déversement accidentel d'hydrocarbures en mer à l'origine d'une pollution des côtes d'un Etat membre, le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur des dits déchets, au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, et, ce faisant, comme "détenteur antérieur" aux fins de l'application de l'article 15, second tiret, première partie, de cette directive, si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d'apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s'il s'est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire et que s'il s'avère que les coûts liés à l'élimination des déchets générés par un déversement accidentel d'hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou ne peuvent l'être en raison de l'épuisement du plafond d'indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d'un Etat membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l'affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des "détenteurs" au sens de l'article 1er, sous c), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme à l'article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire ;
Attendu que pour dire que la commune de Mesquer n'était pas fondée à invoquer les dispositions de la loi du 15 juillet 1975 sur l'élimination des déchets et la débouter de sa demande de condamnation in solidum des sociétés Total international Ltd et Total raffinage distribution à lui payer une somme, l'arrêt retient que les sociétés Total ne peuvent être considérées, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, comme productrices ou détentrices des déchets retrouvés sur les plages après le naufrage du navire Erika, alors qu'elles ont en réalité fabriqué un produit pétrolier devenu déchet uniquement par le fait du transport ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant peut être considéré comme détenteur antérieur des déchets s'il est établi qu'il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage et que le producteur du produit générateur des déchets peut être tenu de supporter les coûts liés à l'élimination des déchets si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage, la cour d'appel, qui a constaté que la société Total raffinage distribution avait produit le fioul lourd et que la société Total international Ltd l'avait acquis puis vendu à la société Enel et affrété le navire Erika pour le transporter, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Total n'était plus le détenteur du fioul lourd n° 2 et que la commune
de Mesquer n'était pas fondée à invoquer les dispositions de la loi de 1975 relative à l'élimination des déchets, l'arrêt rendu le 13 février 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Total France et la société Total international Ltd aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Total France et la société Total international Ltd à payer à la commune de Mesquer la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du dix-sept décembre deux mille huit par M. Cachelot, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, conformément à l'article 452 du code de procédure civile.
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