Le TASS de Belfort a été saisi par un ancien salarié de la société Alstom Power atteint d'une maladie dont le caractère professionnel a été admis par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur qui objecte l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la caisse laquelle n'a pas associé à la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie l'avocat qu'il avait mandaté pour le représenter.

Par un jugement avant dire droit du 1er avril 2010, le tribunal a fait connaître aux parties et au ministère public afin qu'ils puissent formuler leurs observations son intention de solliciter l'avis de la Cour de cassation sur une question dans les termes reproduits au titre de la première question, respectant ainsi les dispositions de l'article 1031-1 du code de procédure civile.

Seul l'avocat de l'employeur a fait des observations qui seront reprises par la juridictoin.

Le Tribunal pose trois questions à la Cour de Cassation:

Monsieur l'Avocat Général M. LAUTRU reformule les demandes ainsi:

- indiscutablement la question suivante :

"Le principe du contradictoire prévu à l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale est-il respecté par la simple information directe de l'employeur ou bien la caisse doit-elle obligatoirement prendre attache avec l'avocat mandaté par celui-ci lorsqu'il s'est manifesté à elle ?"

- éventuellement une deuxième question ainsi rédigée :

"Une caisse primaire pourtant avertie de la représentation par un avocat d'une partie dans la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ou d'un accident du travail qui ne lui fait parvenir ni la lettre de clôture, ni les pièces du dossier malgré ses demandes répétées, contrevient-elle aux dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971, de l'article 4 de la loi du 17 juillet 1978 et conjugués des articles R. 441-11 et R. 441-13 du code de la sécurité sociale ?"

- de façon très discutable une troisième question libellée ainsi :

"La limitation à une communication sur place des pièces du dossier imposée par la caisse primaire à l'avocat ne constitue-t-elle pas une restriction à l'application de la directive communautaire 77/249 du 22 mars 1997 permettant à un justiciable français de se faire représenter à l'étranger ?"

Voici un résumé de la position du parquet:

"A la question de savoir si cette possibilité d'assistance et de représentation par avocat s'applique aux organismes de sécurité sociale, il faut dépasser une approche prima facie purement organique qui conduirait à une réponse négative dès lors que la notion d'organisme de droit privé est antinomique de celle d'administration publique pour adopter une conception à la fois organique et fonctionnelle et relever que la qualité de gestionnaires d'un service public des caisses de sécurité sociale doit les faire regarder comme entrant dans le champ de l'article 6 de la loi de 1971.

A cet égard, il sera observé que l'article 6.2 de la décision à caractère normatif n° 2005-003 portant adoption du règlement intérieur national de la profession d'avocat énonce que l'avocat "assiste et représente ses clients en justice, et à l'égard de toute administration ou personne chargée d'une délégation de service public".

Pour autant cette disposition est-elle applicable à une procédure au caractère administratif déjà souligné ?

Une première observation porte sur le fait que les dispositions du code de la sécurité sociale la réglementant n'excluent ni assistance ni représentation.

Seule la représentation est en cause, elle résulte d'un mandat par lequel l'avocat se substitue à son client et l'engage dès lors qu'il accomplit des actes au nom de celui-ci.

Ce mandat de représentation est distinct du mandat ad agendum, c'est-à-dire d'un pouvoir écrit et spécial d'agir en justice donné à un tiers habilité à engager une action au nom d'autrui.

Il ne s'agit pas davantage du mandat ad litem, mandat de représentation d'une partie à l'instance grâce auquel le mandataire accomplit les actes de procédure pour le compte du mandant, un justiciable partie à un procès. Le représentant ad litem devant être une personne habilitée par la loi, généralement un avocat en première instance (art. 4-1 de la loi de 1971).

Le mandat ad litem qui n'existe et ne peut produire d'effets que s'agissant d'actes s'inscrivant dans une instance peut-il être étendu ? On peut l'admettre pour des actes effectués dans le cadre d'une instance à naître.

Mais la procédure de reconnaissance quand bien même elle déboucherait sur une action en justice ne peut être regardée comme une instance à naître. Comme son intitulé l'indique le pré-contentieux n'est pas seulement en amont du contentieux, il est hors contentieux. Il ne saurait être envisagé de mandat ad litem pré-contentieux.

Une personne peut confier à un avocat le mandat d'accomplir en son nom des actes de nature non juridictionnelle, il s'agit alors pour l'avocat d'activités juridiques, même si l'on pense à la rédaction d'actes juridiques, la représentation peut s'inscrire dans cette activité et être matérialisée par un mandat écrit et spécial.

De notre point de vue, les dispositions de l'article 6 de la loi de 1971 ne nécessitent pas de dispositions expresses de nature à permettre la représentation d'une partie par avocat dans la procédure non juridictionnelle de reconnaissance du caractère professionnel des AT/MP, il suffit, ainsi que précédemment mentionné, que les articles R. 441-11 et suivants du code de la sécurité sociale n'excluent pas la représentation.

Le caractère obligatoire de la prise d'attache avec l'avocat mandaté à fin de représentation est bien plus discutable. La situation n'est en rien comparable avec le mandat ad litem dans le cadre d'un procédure contentieuse avec représentation obligatoire par avocat, par exemple devant le tribunal de grande instance.

Dès lors que la représentation d'une partie par avocat est admise dans cette procédure pré-contentieuse, elle se trouve nécessairement limitée par les dispositions régissant le mandat, par conséquent rien au delà du mandat sauf à être couvert par un nouveau mandat. Et surtout et le rapport le met bien en évidence, le mandataire est doté de tous les droits de son client mais seulement de ceux-ci.

C'est l'application de l'adage nemo plus juris. Le rapporteur opérant la distinction entre la lettre de clôture et le dossier en déduit que, si comme l'employeur le représentant désigné par celui-ci peut se faire adresser la première pièce, il ne saurait exiger la transmission du dossier en invoquant une obligation de communication dont la caisse n'est pas débitrice à l'égard de l'employeur son client.

En définitive, nous proposons :

- de déclarer irrecevable la troisième question posée par le jugement du 6 mai 2010 du tribunal des affaires de sécurité sociale,

- de répondre aux interrogations recevables que, si les dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971, contrairement à celles de l'article 4 de la loi du 17 juillet 1978, s'appliquent à la procédure en reconnaissance de la maladie professionnelle ou de l'accident du travail, la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas tenue de s'adresser à l'avocat qui l'a informée de ce qu'il représentait une partie et spécifiquement l'employeur dans cette procédure. "

En gros: si la Cour suivait cette position, les juridictions ne devraient plus assurer le respect du contradictoire vis à vis de la défense au cours des procédures sans avocat obligatoire?!

L'esprit de la déjudiciarisation a de quoi effrayer, si l'on pense que l'avocat contitue toujours une garantie du respect des droits du justiciable.

A suivre... d'autant que la jurisprudence de la 2eme civile avait donné au mandat de l'avocat un spectre très large et protecteur...