Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 3 juin 2021, n° 20-14.677

En résumé. Le locataire d’un bail commercial peut demander, sur le fondement de l’article L. 145-41 du code de commerce, des délais de grâce et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée. Il en résulte que la demande d’octroi rétroactif de délais, afin de justifier de l’exécution de son obligation d’assurance des lieux loués, et de suspension des effets de la clause résolutoire formée par la locataire n’était pas prescrite.

Nombreux sont les baux commerciaux stipulant une clause résolutoire. Si la plupart d’entre elles prévoient la résolution de plein droit du contrat de bail un mois après la délivrance d’un commandement de payer demeuré infructueux, d’autres stipulent que la même sanction peut être prononcée à défaut pour le locataire commercial de justifier que les lieux loués sont convenablement assurés.

Aux termes du second alinéa de l’article L. 145-41 du code de commerce, le locataire commercial peut toutefois saisir le juge d’une demande de délais de grâce, présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil (anciennement les articles 1244-1 à 1244-3 du même code) afin d’obtenir un délai supplémentaire pour verser le loyer impayé ou communiquer l’attestation d’assurance et ne pas encourir la sanction couperet que constituerait pour lui la résolution du bail commercial.

Que se passe-t-il dans le cas où le locataire n’aurait pas eu le temps de saisir le juge, ou que celui-ci n’aurait pas pu se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la délivrance du commandement ?

L’OCTROI DE DÉLAIS RÉTROACTIFS AU LOCATAIRE COMMERCIAL PAR LE JUGE

Pour remédier à cette situation, la Cour de cassation admet que le juge saisi accorde des délais rétroactifs après l’expiration du délai d’un mois et donc après l’acquisition de la clause résolutoire. Cette « faveur exceptionnelle » est profondément dérogatoire du droit commun de l’article 1343-5 du code civil (Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz Action 2018-2019, n° 432.112 ; comp. avec l’impossibilité en droit commun lorsque les conditions de la clause résolutoire sont réunies : Civ. 3ème, 27 mars 1991, n° 89-18.600, Bull. et Civ. 3ème, 13 mai 1969, Bull. civ. III, n° 377).

Avant de suspendre les effets de la clause résolutoire et d’accorder rétroactivement les délais de grâce, le juge doit toutefois s’assurer que « sa mise en œuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes » (Cass. Assemblée plénière, 18 juin 2010, n° 09-71.209, Bull.).

Cette spécificité aurait pu conduire la Cour de cassation à juger que cette action se fondait sur une disposition particulière relevant du statut des baux commerciaux et soumise, à ce titre, à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce en lieu et place de la prescription quinquennale de droit commun. C’était l’objet de la première branche du pourvoi formé par le bailleur dans la présente décision.

L’enjeu était simple. La cour d’appel avait fait droit à la demande de délais rétroactifs de la locataire et avait suspendu les effets de la clause résolutoire. Pour s’y opposer, le bailleur soutenait que la demande était prescrite dès lors qu’elle avait été présentée plus de deux ans après l’acquisition de la clause résolutoire. La Haute juridiction devait donc déterminer si une prescription était applicable à cette demande et, le cas échéant, si celle-ci était biennale ou quinquennale.

La Cour de cassation a finalement rejeté l’application de la prescription biennale en approuvant la motivation adoptée par la cour d’appel. Fidèle à la lettre de l’article L. 145-41 du code de commerce, elle a jugé que « le locataire d’un bail commercial peut demander (…) des délais de grâce et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée ».

Le locataire dispose donc d’un délai théorique particulièrement long pour agir notamment si, comme en l’espèce, le litige s’éternise devant les juridictions du fond. Rappelons en effet que le le commandement avait été délivré au locataire le 11 mars 2013 et que l’affaire avait fait l’objet d’un premier arrêt de cour d’appel, cassé par une décision de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 2 mars 2017 (n° 15-29.022).

INCERTITUDE QUANT À L’APPLICATION DE LA PRESCRIPTION QUINQUENNALE DE DROIT COMMUN

En revanche, la Cour de cassation n’a pas expressément jugé si cette action est, ou non, soumise à la prescription quinquennale de droit commun. Il est donc possible d’envisager que celle-ci soit purement et simplement exclue. La prescription extinctive étant « un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps » (art. 2219 du code civil), il en résulte que cette action serait imprescriptible et que seule la résiliation du bail constatée par une décision passée en force de chose jugée pourrait y faire obstacle.

Pourtant, il sera relevé que la demande de délais de grâce ne peut s’analyser en une simple défense au fond, échappant par nature à la prescription, car elle ne tend pas seulement à obtenir le rejet de la demande adverse mais à différer l’exécution d’une obligation par la suspension des effets de la clause résolutoire. Sur le plan des principes, cette solution interpelle.

Si la probabilité qu’une demande de délai soit présentée plus de cinq ans après l’acquisition de la clause résolutoire demeure théorique, il convient de s’interroger sur ce que pourrait révéler cette omission au regard des évolutions jurisprudentielles récentes en droit de la prescription.

En ce sens, cette décision serait à rapprocher de celle adoptée en matière de baux d’habitation selon laquelle « aucun délai n’est imposé au preneur pour saisir le juge d’une demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire » sur le fondement de l’article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa version issue de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998, laquelle a supprimé le délai de saisine de deux mois suivant le commandement de payer (Civ. 3ème, 17 décembre 2002, n° 01-12.532 ; Civ. 3ème, 16 février 2011, n° 10-14.945, Bull.).

Sur un autre type de contentieux, la Cour de cassation a récemment consacré l’imprescriptibilité de l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail commercial sur le fondement de l’article L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (Civ. 3ème, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, Bull.). Cette sanction a remplacé la nullité – par définition soumise à la prescription – à la faveur de cette dernière modification législative. Bien que classique et justifiée, cette solution semble être l’illustration d’un recul de la prescription extinctive dans l’exercice des relations contractuelles et d’un essor des actions « légales » imprescriptibles notamment en droit des baux commerciaux.

POSITION DU LOCATAIRE ET SITUATION ÉCONOMIQUE : CONDITION DÉSUÈTE ?

Enfin, la présente décision semble enterrer définitivement une condition autrefois exigée par la jurisprudence pour octroyer des délais de grâce et suspendre les effets de la clause résolutoire. D’anciens arrêts de la Cour de cassation jugeaient en effet que « la condition première et indispensable à l’application [de l’article L. 145-41 du code de commerce] est que le débiteur se trouve dans une situation qui ne lui permette pas de se libérer immédiatement » de l’obligation qui lui incombe (Com., 30 avril 1963, n° 60-10.101, Bull. civ. III, n° 213).

En application de cette jurisprudence, le juge devait constater que la position du locataire et la situation économique l’avaient empêché de se libérer dans les délais du commandement (Civ. 3ème, 9 mai 1978, n° 77-13.019, Bull. civ. III, n° 197 ; Civ. 3ème, 15 juin 1994, n° 92-11.914). La seconde branche du pourvoi formé par le bailleur reprochait ainsi à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à cette recherche.

En l’occurrence, la Cour de cassation a rejeté ce moyen en jugeant qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Il faut a priori en déduire que cette condition n’a plus à être vérifiée par les juges du fond pour octroyer des délais de grâce sur le fondement de l’article L. 145-41 du code de commerce, en tout cas lorsque l’obligation visée par la clause résolutoire n’est pas monétaire.

Jean-Baptiste Forest


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