Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 1er juillet 2021, n° 19-22.069

En résumé. En application de l’article 16 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir tirée du défaut de justification du paiement du droit prévu par l’article 1635 bis P du code général des impôts ne peut être retenue sans que la partie concernée ait été invitée à s’en expliquer ou, qu’à tout le moins, un avis d’avoir à justifier de ce paiement lui ait été préalablement adressé par le greffe. En outre, il résulte des articles 963 et 964 du code de procédure civile qu’en cas d’irrecevabilité de l’appel prononcée en application de l’article 963 précité, c’est seulement si la décision a été prise sans que les parties aient été convoquées ou citées à comparaître à l’audience à l’issue de laquelle le juge a statué, qu’elle peut être rapportée dans les conditions prévues par l’article 964 du même code, de sorte que, dans ce cas, le pourvoi en cassation est irrecevable si la demande de rapport n’a pas été préalablement formée.

L’article 1635 bis P du code général des impôts a institué un droit dû par les parties lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel. Ce droit a été porté à 225 euros par la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour l’année 2015. Aux termes de l’article 963 du code de procédure civile, il est acquitté par l’avocat postulant pour le compte de son client soit par voie de timbres mobiles, soit par voie électronique. La partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale ou partielle n’est pas redevable de cette taxe. Enfin, le produit de ce droit est affecté au fonds d’indemnisation de la profession d’avoués près les cours d’appel jusqu’au 31 décembre 2026, à la suite de la suppression de cette profession par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011.

Le timbre doit être adressé à la cour d’appel et sa validité est contrôlée par le greffe, ce qui est susceptible de poser quelques difficultés. Pris en son dernier alinéa, l’article 963 du code de procédure civile dispose qu’à défaut de justifier du paiement de ce droit, « l’irrecevabilité est constatée d’office par le magistrat ou la formation compétents. Les parties n’ont pas qualité pour soulever cette irrecevabilité. Elles sont avisées de la décision par le greffe. »

La Cour de cassation juge que « le défaut de paiement de ce droit peut être régularisé jusqu’à ce que le juge statue » sur la recevabilité de l’appel (Civ. 2ème, 25 mars 2021, n° 20-11.039 ; régularisation impossible après la décision d’irrecevabilité rendue par le conseiller de la mise en état : Civ. 2ème, 16 mai 2019, n° 18-13.434, Bull.). En outre, l’irrecevabilité de l’appel n’est pas encourue lorsqu’il « résulte du dossier de procédure que le justificatif de l’acquittement du droit de timbre, bien que non enregistré par le greffe, a été annexé aux conclusions » (Civ. 3ème, 12 novembre 2020, n° 18-21.129).

L’article 964 du même code dispose que sont compétents pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel (i) le premier président de la cour d’appel, (ii) le président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée, (iii) le conseiller de la mise en état jusqu’à la clôture de l’instruction et (iv) la formation de jugement, ce dernier cas posant un certain nombre difficultés théoriques et pratiques sur lesquelles nous reviendrons. Cette disposition ajoute qu’ « à moins que les parties aient été convoquées ou citées à comparaître à une audience, ils peuvent statuer sans débat […] », au risque de porter atteinte au principe du contradictoire en empêchant la partie défaillante de s’expliquer sur cette irrecevabilité. La rédaction particulière de l’article 964 du CPC nous conduit à nous interroger sur les voies de recours offertes aux parties en cas d’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’acquittement du droit prévu à l’article 1635 bis P du CGI.

RESPECT SOUS CONDITIONS DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

La Cour de cassation garantit l’application du contradictoire en jugeant, au visa de l’article 16 du code de procédure civile, que « la fin de non-recevoir tirée du défaut de justification du paiement du droit prévu par l’article 1635 bis P du code général des impôts ne peut être retenue sans que la partie concernée ait été invitée à s’en expliquer ou, qu’à tout le moins, un avis d’avoir à justifier de ce paiement lui ait été préalablement adressé par le greffe » (Civ. 2ème, 1er juillet 2021, n° 19-22.069 ; voire également Civ. 2ème, 20 mai 2021, n° 19-25.949, Bull. et Civ. 2ème, 16 mai 2019, n° 18-13.434, Bull.).

En l’occurrence, le greffe de la cour d’appel avait effectivement invité les appelants à justifier de l’acquittement du droit prévu à l’article 1635 bis P du CGI, à peine d’irrecevabilité de l’appel, ce dont il résultait que la cour d’appel n’avait pas violé le principe du contradictoire. Il convient toutefois de relever que l’avis émis par le greffe peut résulter d’une « clause de style » impersonnelle, rédigée en caractères romains et ordinaires. Dans ces conditions, la bonne information de l’appelant semble théorique et repose véritablement sur les diligences de son conseil. En toute hypothèse, les explications de l’appelant quant au défaut de paiement du timbre fiscal ont a priori peu de chances de faire échec à la sanction prévue, sauf en cas d’erreur du greffe.

RECOURS VISANT AU RAPPORT DE LA DÉCISION EN CAS D’ERREUR

Si l’irrecevabilité de l’appel est prononcée, les appelants disposent d’un recours visant à obtenir le rapport de la décision par le magistrat ou la formation l’ayant rendue (art. 964 du CPC). Ils peuvent ainsi les saisir dans un délai de quinze jours suivant leur décision. Rappelons que « rapporter » une décision signifie « abroger, annuler, rétracter (…) [par ex.] rapporter une ordonnance de référé en cas de circonstances nouvelles (CPC, a. 488, al. 2) » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, 11e édition, 2017, PUF).

Le juge et la formation qui a prononcé l’irrecevabilité « rapportent, en cas d’erreur, l’irrecevabilité, sans débat. » L’absence de débat contradictoire à cette étape de la procédure ne semble pas attenter au principe du même nom dans la mesure où l’intimé n’a pas qualité pour soulever cette irrecevabilité relevant exclusivement de l’office du juge (art. 963, al. 4 du CPC).

La Cour de cassation a toutefois restreint les conditions de rapport de la décision d’irrecevabilité. En effet, « c’est seulement si la décision a été prise sans que les parties aient été convoquées ou citées à comparaître à l’audience à l’issue de laquelle le juge a statué, qu’elle peut être rapportée dans les conditions prévues par l’article 964 du code de procédure civile » (Civ. 2ème, 1er juillet 2021, n° 19-22.069). À défaut, les parties pourraient former directement un recours à l’encontre de la décision d’irrecevabilité (964, derniers alinéas, du CPC).

EST-IL POSSIBLE D’OBTENIR LE RAPPORT DE LA DÉCISION D’IRRECEVABILITÉ PRONONCÉE PAR LA FORMATION DE JUGEMENT ?

Une question demeure. Il est acquis aux termes de l’article 964 du CPC que la formation de jugement peut prononcer l’irrecevabilité de l’appel, ce qui fut le cas dans la présente espèce. À suivre la logique et la lettre de cet article, les appelants auraient pu obtenir le rapport de cette décision auprès de la formation de jugement elle-même :

Ainsi, la cour d’appel ayant prononcé l’irrecevabilité de l’appel par erreur, et mis ainsi fin au litige, pourrait s’en ressaisir afin de rapporter l’arrêt et juger au fond. Une telle solution laisse songeur et dubitatif. À supposer qu’elle soit possible, cette situation créerait un cas baroque de « rabat d’arrêt » sur le fondement du seul article 964 du CPC.

Par le passé, certaines cours d’appel ont utilisé la technique du rabat d’arrêt, notamment lorsque les conclusions de l’une des parties, régulièrement signifiées, n’avaient pas été portées à la connaissance des juges à la suite d’une « manipulation » qui n’était imputable ni aux parties ni aux juges (CA Douai, 5 octobre 1995, Gaz Pal. 1996. 2. 657, note M. Renard) ou lorsque la cour avait constaté la caducité de l’appel sans tenir compte de la constitution d’un nouvel avoué succédant à celui qui avait déposé la déclaration d’appel (CA Paris, 13 septembre 1996, Bull. ch. avoués 1998. 1. 20 ; CA Besançon, 3 septembre 1999, Bull. ch. avoués 1999. 3. 86). Comme le relève Jacques Pellerin, « cette jurisprudence, qui appelle évidemment en droit, si ce n’est en opportunité, de sérieuses réserves, doit en toute hypothèse être limitée à des cas particuliers. Il est vrai qu’elle fait suite à la même attitude adoptée par la Cour de cassation pour ses propres arrêts, mais cette attitude doit être approuvée sans réserve dès lors qu’il n’y a plus de voie de recours au-delà de la Cour de cassation » (Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2021-2022, n° 641.32).

Si la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 5 mars 2008, qu’il était possible de rabattre un arrêt d’appel, y compris les actes subséquents, lorsqu’il s’agit d’une décision avant-dire droit, ne bénéficiant pas de l’autorité de la chose jugée (Civ. 3ème, 5 mars 2008, n° 06-20.732, Bull.), elle le refuse cependant pour toutes les décisions dessaisissant le juge, toujours sur le fondement de l’autorité de chose jugée (Civ. 2ème, 7 avril 2016, n° 15-14.708 ; voire également Crim., 27 septembre 2016, n° 16-80.642, Bull.).

RECOURS EN CAS DE REFUS DE RAPPORTER LA DÉCISION : CONDITIONS DE RECEVABILITÉ

Le juge ou la formation qui a prononcé l’irrecevabilité peut refuser de rapporter sa décision s’il ou elle estime ne pas avoir commis d’erreur. L’article 964 du CPC propose alors aux appelants de former un recours à l’encontre du refus de rapport dont le délai « court à compter de la notification de la décision qui refuse de la rapporter. »

Cet article dispose ainsi que « la décision d’irrecevabilité prononcée par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ou le conseiller de la mise en état peut être déférée à la cour dans les conditions respectivement prévues par les articles 916 » du CPC. Enfin, « lorsqu’elle émane du premier président, la décision peut faire l’objet du recours ouvert contre les décisions de la juridiction », en l’occurrence d’un pourvoi en cassation.

Toutefois, « un recours ne peut être exercé sans que la demande de rapport ait été préalablement formée » a jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème, 28 septembre 2017, n° 16-18.166, Bull.). Faute d’avoir demandé au juge de rapporter sa décision, le pourvoi en cassation est irrecevable sur le fondement des articles 605 et 964 du code de procédure civile. C’est ce qu’a rappelé la présente décision en jugeant que « le recours ne peut être exercé sans que la demande de rapport ait été préalablement formée », sous réserve du respect préalable du contradictoire dès lors qu’il conditionne le recours visant au rapport (cf. supra) (Civ. 2ème, 1er juillet 2021, n° 19-22.069).

Or, l’arrêt de la Cour de cassation n’indique pas si les demandeurs au pourvoi avaient formé, en l’espèce, une demande de rapport. À défaut, l’irrecevabilité du pourvoi en cassation pouvait être prononcée. Après avoir relevé que les appelants avaient été « convoqués à l’audience de la cour d’appel, qui a déclaré leur appel irrecevable à défaut d’acquittement du droit prévu par l’article 963 précité », ce dont il résultait qu’ils devaient préalablement former un recours visant au rapport de la décision, la Cour de cassation a jugé que le pourvoi était « recevable », sans toutefois relever si, oui ou non, la demande de rapport avait été formulée par les appelants (Civ. 2ème, 1er juillet 2021, n° 19-22.069). Cette solution s’explique difficilement dès lors qu’elle ne vérifie qu’à moitié les conditions d’application de la règle précitée.

Cet arrêt n’a donc pas tranché les interrogations relatives au rapport de la décision d’irrecevabilité rendue par la formation de jugement elle-même. La Cour de cassation a jugé le pourvoi recevable, ce dont il pourrait être éventuellement déduit que les appelants n’avaient pas à former de demande de rapport préalable à leur pourvoi en cassation en cas d’irrecevabilité prononcée par la formation de jugement elle-même, par exception à la jurisprudence de principe et à la lettre de l’article 964 du CPC.

Il en résulte que l’état du droit sur cette question demeure incertain, la faute – sans doute – à une rédaction maladroite et malheureuse de l’article 964 du CPC.

Jean-Baptiste Forest


Le cabinet assure une activité contentieuse en procédure d’appel dans tous les champs du droit privé, notamment en tant que postulant devant la cour d’appel de Paris.

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