Le Décret n°2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, publié au JO du 25 mai 2016 et pris en application de la Loi sur la croissance et l’activité n° 2015-990 du 6 août 2015, dite « loi Macron » instaure de nouvelles règles de procédure prud’homale qu’il importe tant au justiciable qu’au praticien de bien connaître au plus vite, compte tenu de leur application à toute instance introduite à compter du 1er août 2016.
Bien évidemment, un choix a été fait sur les dispositions qui ont retenu plus particulièrement notre attention.
I - La saisine du Conseil de prud’hommes :
Si la présentation volontaire des parties devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation, constitue toujours un mode de saisine, l’article R 1452-1 du Code du Travail ne parle plus de demande mais de requête.
L’article R 1452-2 du Code du Travail dispose que :
“La requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud'hommes.
À peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.
La requête et le bordereau sont établis en autant d'exemplaires qu'il existe de défendeurs, outre l'exemplaire destiné à la juridiction”.
À l’évidence, ces nouvelles règles vont nécessiter un travail plus important en amont que ce soit celui du justiciable ou celui de son conseil, ce qui risque de retarder la saisine de la juridiction et donc l’interruption de la prescription avec des délais considérablement réduits depuis la loi de sécurisation de 2013.
Le fait que la requête soit motivée et accompagnée des pièces à l’appui des prétentions du demandeur, évitera davantage les demandes fantaisistes et permettra dès la saisine, l’instauration d’un débat contradictoire avant même toute comparution des parties.
En effet, l’article R 1452-3 du Code du Travail oblige le demandeur à adresser ses pièces au défendeur avant la séance du bureau de Conciliation et d’orientation ou l'audience du bureau de jugement.
De plus, l’article R 1452-4 du Code du Travail dispose que le défendeur devra déposer ou adresser au greffe les pièces qu'il entend produire et à les communiquer au demandeur.
En outre, le renvoi à l’article 58 du code de procédure civile obligera le justiciable demandeur, sauf exception, à préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
II - Assistance et représentation
Les parties peuvent toujours se défendre elles-mêmes devant le Conseil de Prud’hommes. Ce qui change est qu’elles peuvent être assistées ou représentées.
Le code du travail n’exige plus que les parties comparaissent personnellement et qu’elles peuvent être uniquement représentées avec l’exigence d’un mandat lorsque le représentant n’est pas avocat.
Tout en continuant à affirmer que la procédure est orale (R 1453-3), la rédaction de l’article R 1453-5 du code du travail rappelle sans le dire les règles de la procédure écrite avec représentation obligatoire, tout du moins lorsqu’elles sont assistées ou représentées par un avocat (conclusions récapitulatives, le Conseil ne statuant que sur les demandes reprises dans le dispositif, à l’exception toutefois de l’Ordonnance de clôture qui pourrait cependant voir le jour à l’issue des débats sur la loi Travail El Khomry).
III - Les pouvoirs du bureau de conciliation et d’orientation (BCO)
Le bureau de conciliation, désigné désormais comme le bureau de conciliation et d’orientation, a toujours pour mission de concilier les parties mais se voit attribuer en cas d’échec, une nouvelle mission d’orientation des parties vers la formation de jugement devant laquelle l’affaire sera renvoyée, soit :
- La formation restreinte, composée d’un conseiller employeur et d’un conseiller salarié, statuant sous trois mois, dès lors que le litige porte sur un licenciement ou une résiliation judiciaire, mais avec l’accord des parties. Il est à parier toutefois que l’employeur, auteur d’un licenciement, ne donnera jamais son accord s’il se sait exposé à un risque de condamnation, ce qui relativise grandement la portée de cette disposition ;
- La formation composée de deux conseillers de chaque collège, présidée par un juge départiteur, si la nature du litige le justifie ou si les parties le demandent. Cette disposition suscite beaucoup d’interrogation (délais de traitement de l’affaire notamment lorsque l’on sait qu’il peut s’écouler plus d’une année actuellement entre le bureau de jugement et l’audience du juge départiteur. Il est à noter que le juge départiteur est désormais un magistrat du Tribunal de Grande Instance et non plus un Juge du Tribunal d’Instance ;
- La formation de droit commun, soit deux conseillers de chaque collège.
En l’absence d’une des parties, sans motif légitime (motif qui reste à définir), le BCO pourra juger l’affaire en bureau restreint dès lors que la partie comparante aura communiqué contradictoirement ses pièces et ses moyens à la partie défaillante.
Le nouvel article R. 1454-17 du Code du travail oblige le BCO à renvoyer l’affaire devant la formation restreinte de jugement lorsqu’un renvoi est prononcé en l’absence du défendeur et qu’une mesure provisoire ou une mesure d’instruction prévue à l’article R. 1454-14 du Code du travail est mise en œuvre.
Avant le renvoi devant la formation de jugement, le BCO est désormais la seule formation devant laquelle les incompétences de section devront être soulevées avant toute défense au fond, alors qu’elles pouvaient être soulevées auparavant à tout moment de la procédure. Il est ainsi mis fin aux stratégies dilatoires.
Mais surtout, le BCO se voit doter d’un véritable pouvoir de mise en état de l’affaire avec des sanctions qu’il ne faut surtout pas méconnaître.
L’article R1454-1 du Code du travail dispose qu’en cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en état de l’affaire jusqu’à la date qu’il fixe pour l’audience de jugement.
Après avis des parties, il fixe les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces. Il s’agit d’un véritable calendrier de procédure.
À noter que plusieurs séances pourront se tenir devant le BCO avant l’audience de jugement au titre de la mise en état qui pourra selon les cas, exiger des explications que devront fournir les parties à l’invite du BCO, des mises en demeure de communication de pièces propres à éclairer le Conseil, avec pour sanction en cas de défaillance, la radiation de l’affaire ou son renvoi devant le bureau de jugement à la première date d’audience utile.
Il restera à vérifier l’efficacité de ces sanctions à l’épreuve du temps.
La radiation sanctionnera comme par le passé l’absence de diligences du demandeur (en général le salarié) alors que l’employeur (défendeur) ne verra pas sa situation changer sous la réserve de l’article R 1414-19 du code du travail qui permet au bureau de jugement d’écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté aura porté atteinte aux droits de la défense.
Reste que toute stratégie dans la conduite du procès devra être murement réfléchie en ne perdant pas de vue que le BCO peut statuer sur le fond du dossier si le défendeur ne comparaît pas conformément à l’article L 1454-1-3.
L’article R 1454-13 dispose que le BCO ne peut renvoyer à une audience ultérieure du bureau de jugement que pour s’assurer de la communication des moyens et des pièces au défendeur.
IV - LA SUPPRESSION DU PRINCIPE D’UNICITÉ D’INSTANCE
L’article R 1452-6 du Code du Travail a été abrogé.
Cet article disposait que : « Toutes les demandes liées contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.
Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes ».
L’unicité de l’instance condamnait ainsi le demandeur à taire à jamais toute prétention dont le fondement lui était connu au moment de l’introduction de l’instance, ce qui pouvait avoir des conséquences parfois dramatiques.
Cette mesure est particulièrement bienvenue pour les salariés qui non assistés, méconnaissaient les conséquences de ce principe, avec toutefois le risque de voir par définition le nombre d’instances introduites à l’occasion d’un même contrat de travail, augmenter.
Mais ce qui a été donné d’une main est aussitôt repris par l’autre, à savoir l’impossibilité de formuler devant la Cour d’Appel, des demandes nouvelles du fait de la suppression là aussi de l’article R 1452-7 du Code du Travail, sauf dans les hypothèses des articles 564 et 565 du code procédure civile.
V - LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR D’APPEL
Pour les appels formés à compter du 1er août 2016, la procédure sera désormais soumise aux règles de la représentation obligatoire, avec pour les parties, l’obligation d’être représentées soit par un avocat, soit par un défenseur syndical.
Après la Cour de Cassation, il n’est plus possible pour une partie de se présenter seule devant la Cour d’Appel. Il n’était pas rare de voir des salariés ou des employeurs se présenter seuls devant les chambres sociales de Cour d’appel. Désormais, cette possibilité leur est fermée.
Mais ce n’est pas la seule conséquence. Comme toute procédure avec représentation obligatoire, les parties ne pourront agir devant la Cour, lorsqu’elles sont représentées par un avocat, que par un avocat du ressort de la Cour devant laquelle l’appel est formé, libre à elles de confier la rédaction des conclusions et/ou la plaidoirie à un avocat de leur choix, sans règle de territorialité qui ne s’applique pas en tout état de cause au défenseur syndical.
La postulation est encore promise à un bel avenir alors qu’il était question de la supprimer.
L’appel ne sera plus formé par simple déclaration au greffe mais par voie électronique (RVPA), à peine d’irrecevabilité, exception faite pour le défenseur syndical qui conserve l’usage du support papier. D’une manière générale, tous les actes de procédure devront être effectués par RPVA à l’exception de ceux effectués par les défenseurs syndicaux qui continueront à utiliser le papier (Art. 930-1 et 930-2 du code procédure civile).
La procédure à représentation obligatoire impose des délais stricts pour conclure, étant hérités du décret Magendie (cf. notamment les articles 908, 909 et 910 du code de procédure civile), soit un délai de trois mois pour l’appelant à compter de la déclaration d’appel pour conclure, sous peine de caducité de la déclaration d’appel, l’intimé disposant d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions pour conclure et former le cas échéant un appel incident.
Lorsque l’une des parties n’a pas constitué avocat, les conclusions doivent alors lui être signifiées dans le mois de la notification des conclusions au greffe, sous peine de caducité ou d’irrecevabilité des conclusions relevée d’office par le Conseiller de la mise en état (Art. 911 du code de procédure civile).
Il appartiendra à toutes les parties, en application de l’article 912 du code de procédure civile, de déposer à la Cour 15 jours avant l’audience des plaidoiries son dossier comprenant la copie des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif.
À l’évidence, ces nouvelles règles vont être source de difficultés et renchérir indubitablement le coût des procédures (obligation de prendre un postulant, de signifier par huissier les actes à destination d’un défenseur syndical, d’acquitter un timbre fiscal en principe de 225 €, tant pour l’appelant et l’intimé) sans parler de l’augmentation de la sinistralité chez les avocats qu’elles ne manqueront pas de provoquer.
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