La loi dite Travail n° 2016-1088 du 8 août 2016 « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » a été promulguée au JO du 9 août 2016.
Elle a suscité de vives réactions du côté des syndicats (manifestations et grèves) et l’émoi de parlementaires quant à la méthode adoptée pour son adoption.
Des décrets en grand nombre sont en attente de publication (calendrier des décrets d’application) et le débat ainsi que les recours ne sont pas terminés (en effet, les centrales syndicales FO et CGT étudient en ce moment même la possibilité de recours telle que la QPC, la saisine de la CJCE, voire l’OIT).
Si l’opinion publique a vu son attention principalement focalisée sur son article 2 accordant sauf exception la primauté d’un accord d’entreprise sur un accord de branche pour ce qui est de la durée du travail, le repos et les congés, ce qui en soi constitue un bouleversement de la hiérarchie des normes, il est des dispositions de cette loi qui sont passées quelque peu inaperçues.
En voici quelques-unes.
I - La nouvelle définition du motif économique de licenciement
A°) Il existe désormais quatre motifs légaux
La nouvelle définition du motif économique de licenciement nous est donnée par le nouvel article L 1233-3 du code du travail (article 67 de la loi, applicable à compter du 1er décembre 2016).
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° à des mutations technologiques ;
3°à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° à la cessation d'activité de l'entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au présent article ».
Le texte a beaucoup évolué au cours des débats parlementaires. Sa version finale ne fait plus référence au périmètre national d’appréciation des difficultés économiques. Comme par le passé, c’est au niveau mondial que seront appréciées les difficultés.
La nouvelle loi offre aux entreprises et aussi au juge qui serait saisi, des éléments apriori objectifs venant définir ces difficultés, étant précisé que cette liste n’est pas exhaustive.
A noter que la loi apporte un élément d’appréciation temporel variable selon l’effectif salarié de l’entreprise, uniquement pour ce qui est de la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires. On peut se demander pourquoi cette précision n’a pas concerné la perte d’exploitation ou la dégradation de la trésorerie.
Si les éléments d’appréciation paraissent objectifs, le juge conserve son pouvoir d’appréciation quant au sérieux des difficultés alléguées à l’appui d’un licenciement, tant nous savons qu’il existe des techniques financières et de gestion pour rendre ces critères quelque peu artificiels.
A côté des mutations technologiques qui sont conservées par le nouvel article L 1233-3, celui-ci consacre la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui avait retenu comme causes possibles de licenciement la « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » (Cass. soc., 5 avr. 1995, n 93-42.690 - arrêt Vidéocolor) ou encore la« cessation d’activité de l’entreprise » (Cass. soc., 16 janv. 2001, n° 98-44.647).
Si la matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise (consécration légale de la jurisprudence), les difficultés économiques sont appréciées au niveau de l’entreprise si celle-ci n’appartient pas à un groupe ou bien au niveau du secteur d’activité du groupe si celle-ci appartient à un groupe, conformément à la jurisprudence constante.
B°) Ce qui ne change pas
En l'absence d'un des éléments constitutifs du motif économique, ou de l'absence de mention des deux éléments dans la lettre de licenciement, le licenciement est alors sans cause réelle et sérieuse.
Même si les éléments constitutifs du motif économique sont réunis, le licenciement n'est justifié que si l'employeur a sérieusement, mais vainement, tenté de reclasser le salarié. S'il n'a pas satisfait à son obligation de reclassement, le licenciement est alors sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 22 janv. 1992, no 89-41.242, Cass. soc., 24 oct. 2000, no 98-40.950 et no 98-44.105) « le licenciement d'un salarié ne peut avoir de motif économique que si le reclassement de l'intéressé est impossible ».
En dernier lieu, l’article L 1233-3 fait toujours référence à l’adverbe bien commode pour les juristes et les juges « notamment » qui permettra, le cas échéant, à ce dernier de consacrer un nouveau motif économique comme cela a été le cas pour la réorganisation de l’entreprise et la cessation de l’activité.
II – Surveillance médicale
A°) La visite médicale d’embauche
Contre toute attente, la visite médicale d’embauche est supprimée.
Cela est une révolution, tant l’on sait que cette visite médicale d’embauche prévue à l’article R 4624-10 du code du travail participait de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur dont l’absence créait nécessairement, jusqu’à une jurisprudence récente de la Cour de Cassation, un préjudice ouvrant droit à réparation (Cass. soc., 5 oct. 2010, n° 09-43.913 - Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293).
Elle est remplacée par une visite obligatoire d’information et de prévention assurée par le médecin du travail, le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail ou l’infirmier. Un décret doit venir préciser le délai dans lequel devra intervenir cette visite (octobre 2016 en principe).
Il n’y a plus de vérification de l’aptitude du salarié au moment de l’embauche et au plus tard à la fin de la période d’essai.
Cette visite donne lieu à la délivrance d’une attestation (C. trav., art. L. 4624-1).
Le professionnel de santé qui réalise cette visite pourra aussi décider d’orienter le salarié « sans délai » vers le médecin du travail.
B°) Le suivi médical
La périodicité du suivi médical, jusqu’ici tous les deux ans sauf cas particuliers, sera définie par décret. Ce suivi sera assuré par le médecin du travail et, sous l’autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail et l’infirmier.
C°) Métiers à risque
Le nouvel article L. 4624-2 du code du travail dispose que les salariés affectés à un poste présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail bénéficieront en lieu et place de la visite d’information ci-dessus, d’un examen médical d’aptitude, proche de la visite d’embauche actuelle.
Cet examen permettra de s’assurer de la compatibilité de l’état de santé du salarié avec le poste proposé. Il sera réalisé, par le médecin du travail en principe, préalablement à l’embauche, et renouvelé périodiquement.
D°) Salariés particuliers
Le nouvel article L. 4625-1-1 du code du travail prévoit que les règles de suivi médical seront adaptées par décret pour les salariés embauchés en CDD ou en contrat de travail temporaire. La périodicité serait la même que celle applicable aux CDI. Ce décret devra notamment prévoir les modalités d’information de l’employeur sur le suivi individuel de l’état de santé du salarié et les modalités particulières d’hébergement des dossiers médicaux de santé au travail et d’échanges d’informations entre médecins du travail.
Les travailleurs de nuit continuent à bénéficier d’une surveillance médicale spécifique, dont les modalités et la périodicité seront précisées par décret (c. trav. art. L. 3122-11 nouveau et L. 4624-1 modifié).
III - Inaptitude
A°) Unification des procédures d’inaptitude sauf que …
La procédure de licenciement pour inaptitude ne distingue plus l’origine de cette inaptitude et fixe des règles communes.
Qu’elle soit professionnelle (consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle) ou non professionnelle (suite à un accident ou une maladie non professionnelle), la consultation des délégués du personnel pour avis est désormais obligatoire, rappelant que cette consultation doit intervenir AVANT la proposition des offres de reclassement (nouvel article L 1226-2).
Cette unification des procédures concerne également les indications que le médecin du travail devra formuler sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté étant précisé que la loi nouvelle a fait disparaître la condition d’effectif de l’entreprise (50 salariés) qui figurait dans l’ancien article L 1226-10.
L’employeur devra désormais en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle, s’il lui est impossible de proposer un autre poste au salarié, l’informer par écrit des motifs qui s’opposent au reclassement (c. trav.art. L. 1226-2-1 nouveau). Cette règle n’était auparavant expressément prévue qu’en cas d’inaptitude d’origine professionnelle (c. trav. art. L. 1226-12).
Enfin, pour toute inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle, l’employeur pourra être dispensé de rechercher un reclassement si l’avis d’inaptitude mentionne expressément (c. trav. art. L. 1226-2-1 nouveau et L. 1226-12 modifié) :
- que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ;
Ou
- que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise.
Cette même règle vaut également pour l’inaptitude des salariés en contrat à durée déterminée (nouvel c. trav. art. L. 1226-20).
B°) … les règles de reconnaissance de l’inaptitude nécessiteront un décret
En effet, un décret sera là aussi nécessaire pour connaître le détail de la nouvelle procédure.
L’exigence des 2 examens médicaux n’est pas reprise dans la loi.
Il reste que le nouvel article L. 4624-4 précise que le médecin pourra déclarer un salarié inapte après une étude de poste et après que le constat ait été fait qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste.
L’avis d’inaptitude sera accompagné des conclusions écrites du médecin du travail et de ses indications quant au reclassement du salarié. Le médecin du travail devra recevoir le salarié, pour échanger avec lui sur l’avis et les indications ou propositions adressées à l’employeur (nouvel c. trav. art. L. 4624-5).
Le médecin du travail pourra proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé ou d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi pour mettre en œuvre ses préconisations (nouvel c. trav. art. L. 4624-5).
L’obligation de reclassement sera réputée satisfaite lorsque l’employeur aura proposé un emploi en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail (c. trav. art. L. 1226-2-1 nouveau, nouveaux L. 1226-12 et L. 1226-20).
L’employeur pourra rompre le contrat de travail seulement s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un tel emploi, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions.
IV - Nouveau régime probatoire en matière de harcèlement
Le nouvel article L 1154-1 du code du travail, applicable à compter du 10 août 2016, est désormais rédigée ainsi :
« Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ».
L'ancien texte imposait jusqu'ici aux demandeurs, victimes de harcèlement moral ou sexuel, d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Désormais, tout comme pour les discriminations, la victime demanderesse n'aura qu'à présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
La loi fait désormais peser également sur l’employeur une obligation de prévention des agissements sexistes. Il doit désormais intégrer dans la planification des risques professionnels la prévention de ces agissements (C. trav., art. L. 4121-2, 7°).
À noter que :
- Les dispositions légales en matière d’agissements sexistes doivent désormais figurer au règlement intérieur de l’entreprise tout comme celles relatives au harcèlement sexuel et moral ;
- L’article L 1235-4 nouveau du code du travail étend au licenciement nul pour harcèlement ou discrimination la possibilité pour le juge de condamner l'employeur à rembourser Pôle Emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Pas de contribution, soyez le premier