Le feuilleton continue entre bailleurs et locataires sur l'exigibilité des loyers commerciaux pendant la période de confinement du premier semestre de l'année 2020.

Trois actes ont eu lieu :

Premier acte : une première décision avait été rendue dans ce duel par le Tribunal judiciaire de PARIS le 10 juillet 2020, lequel avait condamné le locataire au paiement des loyers impayés pour les mois de mars à mai 2020 (TJ PARIS, 18° ch., 10 juillet 2020, n°20/04516).

Néanmoins, cette décision est à nuancer car le locataire avait fondé principalement son refus sur l'article 4 de l'ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020.

Or, cet article n'a ni annuler les loyers, ni suspendu leur règlement (cf. fin de l'article : article 4 de l'ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020).

Il a simplement neutralisé les sanctions encourues en cas de défaut de paiement des loyers par les locataires pour une période s'étant du mois de mars au mois de septembre 2020, notamment la résiliation du bail par l'application de la clause résolutoire ainsi que différentes sanctions pécuniaires (pénalités de retard, astreinte...).

Il apparaît que l'article 14 de la Loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 au titre des mesures relatives au nouveau confinement prend des dispositions similaires.

Cependant, le Tribunal dans un communiqué 5 jours après la décision a donné des pistes sur les moyens à soulever :

"Le tribunal retient en outre que, les contrats devant être exécutés de bonne foi selon l'article 1134 devenu 1104 du code civil, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives" (PJ).

Ce message a été entendu par les plaideurs.

 

Deuxième acte : Dans deux ordonnances rendues par le Tribunal judiciaire le 26 octobre 2020 ( TJ Paris réf. 26-10-2020 n° 20/53713  - TJ Paris réf. 26-10-2020 n° 22/55901), le Juge des référés du Tribunal judiciaire (Juge de l'évidence et des procédures rapides) a énoncé que la condamnation des locataires d'une salle de sport et d'une parapharmacie à régler les loyers dus au titre du deuxième trimestre de l'année 2020 se heurtait à une contestation sérieuse (PJ).

Le Tribunal s'est fondé logiquement sur le principe énoncé dans son communiqué du 15 juillet précité pour rendre sa décision :

"...les contrats devant être exécutés de bonne foi selon l'article 1134 devenu 1104 du code civil, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives."

Il a aussi retenu que l'exception d'inexécution soulevée par les locataires est de nature à créer une contestation sérieuse si bien qu'ils n'ont pas été condamnées à régler les loyers dus.

En outre, les juges ont constaté que les locataires avaient essayé de trouver une solution amiable, preuve de leur bonne foi.

Ces décisions sont parfaitement logiques, notamment pour la salle de sport dont l'activité a été réduite à néant pendant la période de confinement.

Néanmoins, la portée de ces  deux décisions est à relativiser.

En effet, le Juge des référés est le Juge de l'évidence si bien qu'il ne condamne pas les parties à verser une somme en cas de contestation sérieuse (cf. fin de l'article : article 835 du Code de procédure civile).

Une contestation sérieuse est traditionnellement définie comme une contestation suscitant un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.

Dès lors, il n'y a aucune garantie que le Tribunal saisi au fond rendra la même décision.

Ces décisions ne préjugent pas donc de la décision finale mais doivent inciter les bailleurs à la prudence s'ils entendent le saisir le Juge des référés afin d'obtenir rapidement la condamnation de leurs locataires à régler les loyers commerciaux dus pendant la période de confinement et de fermeture des commerces, voire obtenir le constat de l'acquisition de la clause résolutoire.

 

Troisième acte : Un arrêt récent de la Cour d'appel de GRENOBLE du 5 novembre 2020 (CA Grenoble, Ch. Com., 5 novembre 2020, n°16/04533) a condamné un locataire exploitant une résidence de tourisme à régler les loyers dus au titre du deuxième trimestre 2020 au motif  que ce dernier ne pouvait pas invoquer l’exception d’inexécution ou la force majeure.

Néanmoins, la lecture de cette décision permet de constater que la résidence de tourisme n'a fait l'objet d'une fermeture qu'à compter du décret du 11 mai 2020.

En outre, Il existait cependant une dérogation pour les personnes souhaitant y élire leur domicile.

Une activité était donc possible pour ces résidences même si elle était réduite.

La teneur de cette décision laisse présager que les restaurateurs continuant actuellement leur activité par le biais de la vente à emporter ne pourront pas obtenir aisément une annulation pure et simple de leurs loyers en cas de litige avec leurs propriétaires.

 

 

Encore une fois, la démarche amiable par chacune des parties afin d'adapter leurs obligations respectives au regard du contexte, notamment les modalités de paiement par le locataire de son revenu, reste la meilleure solution en l'absence de dispositions gouvernementales précises.

A défaut d'accord et en particulier pour les commerces et activités purement et simplement fermés, comme les salles de sport, la solution la plus opportune pour le locataire paraît être celle de justifier d'une tentative de règlement amiable avec son bailleur.

Si les diligences amiables n'aboutissent pas, l'une des possibilités actuelles pour le locataire peut être celle d'invoquer l'exception d'inexécution dans l'attente des ordonnances du gouvernement à venir.

Ce mécanisme est prévu et défini à l'article 1219 du Code civil (cf. fin de l'article - article 1219 du Code civil).

En effet, il  peut être opposé que les décrets et arrêtés interdisant l'accès aux commerces et par effet leurs activités, ont placé les bailleurs dans l'impossibilité de délivrer un local à leurs locataires.

Le fait que les bailleurs ne remplissent pas leurs obligations est de nature à permettre au locataire de se dispenser d'exécuter les siennes.

En matière d'exception d'inexécution, le fait que le bailleur n'est pas responsable de la situation peut être sans importance.

En effet, comme l'indique la Doctrine, "L'exception d'inexécution peut jouer quelle que soit la cause de l'inexécution de l'obligation quelle soit due à la faute du débiteur ou même d'un cas de force majeure..." (Droit des obligations I, Contrat et engagement unilatéral, Thémis, page 765, M. FABRE-MAGNAN).

Le locataire doit cependant entendre qu'il s'agit d'une solution de dernier recours sans garantie compte tenu de l'aléa judiciaire inhérent à tout procès.

Il existe d'autres mécanismes possibles selon les hypothèses.

En effet, le locataire a aussi la possibilité non simplement de se défendre mais aussi d'agir contre le bailleur, soit sur le fondement de l'action en révision en raison de l'imprévision (article 1195 du Code civil), soit sur le fondement de la révision triennale du statut des baux commerciaux (article L. 145-38 du Code de commerce).

Une solide étude du dossier est nécessaire avant de recourir à ces mécanismes.

Cette liste de mécanismes et de moyens n'est pas limitative.

 

Cet article n'engage que son auteur.

 

Article 4 de l'Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 :

"Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée."

Article 14 de la Loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 :

"I. - Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu'elle est prise par le représentant de l'Etat dans le département en application du second alinéa du I de l'article L. 3131-17 du même code. Les critères d'éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la mesure de police administrative. II. - Jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d'intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée. Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires. Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite. III. - Le II ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l'article 1347 du code civil. IV. - Le II s'applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l'activité de l'entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I. Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu'à compter de l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du II. En outre, les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l'encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu'à la date mentionnée au même premier alinéa. V. - Jusqu'à l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du II, ne peuvent procéder à la suspension, à l'interruption ou à la réduction, y compris par résiliation de contrat, de la fourniture d'électricité, de gaz ou d'eau aux personnes mentionnées au I pour non-paiement par ces dernières de leurs factures : 1° Les fournisseurs d'électricité titulaires de l'autorisation mentionnée à l'article L. 333-1 du code de l'énergie ; 2° Les fournisseurs de gaz titulaires de l'autorisation mentionnée à l'article L. 443-1 du même code ; 3° Les fournisseurs et services distribuant l'eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l'article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales. En outre, les fournisseurs d'électricité ne peuvent procéder au cours de la même période à une réduction de la puissance distribuée aux personnes concernées. Le présent V s'applique aux contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l'activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative mentionnée au I. Les personnes mentionnées au même I attestent qu'elles remplissent les conditions pour bénéficier du présent V, selon des modalités précisées par décret. VI. - Les fournisseurs d'électricité titulaires de l'autorisation mentionnée à l'article L. 333-1 du code de l'énergie et les fournisseurs de gaz titulaires de l'autorisation mentionnée à l'article L. 443-1 du même code alimentant plus de 100 000 clients, les fournisseurs d'électricité qui interviennent dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, les entreprises locales de distribution définies à l'article L. 111-54 dudit code ainsi que les fournisseurs et services distribuant l'eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l'article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales sont tenus, à la demande des personnes mentionnées au I du présent article, de leur accorder le report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 17 octobre 2020 et l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du II et non encore acquittées. Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes précitées. Le paiement des échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois. Le présent VI s'applique aux contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l'activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative mentionnée au I. Lorsqu'elles demandent à leur fournisseur le rééchelonnement du paiement des factures, les personnes mentionnées au même I attestent qu'elles remplissent les conditions pour bénéficier du présent VI, selon des modalités précisées par décret. VII. - Le présent article s'applique à compter du 17 octobre 2020. VIII. - Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna."

Article 835 du Code de procédure civile :

"Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire."

Article 1219 du Code civil :

"Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave."

Article 1195 du Code civil :

"Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe."

Article L. 145-38 du Code de commerce :

"La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Par dérogation aux dispositions de l'article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.

En aucun cas il n'est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours."

Jérémy MAINGUY

Avocat au Barreau de l'AVEYRON

Spécialiste en droit immobilier

Contact : jmainguy.avocat@gmail.com - 07 49 40 40 07