Par un arrêt en date du 31 janvier 2019 inédit, la Cour de cassation a énoncé, sur le fondement des articles 4, 5, 542, 908 et 954 du Code de procédure civile, que l'appelant doit demander dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation ou la réformation totale ou partielle du jugement à peine de caducité de la déclaration d'appel.

  • Cour de cassation, 2e chambre civile, 31 Janvier 2019 – n°18-10.983

Différentes cours d'appel ont fait application de cette jurisprudence.

  • Cour d'appel, Versailles, 4e chambre, 25 Novembre 2019 – n°17/08625
  • Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 6, 8 Juillet 2020 – n°17/10251

Ces décisions sont extrêmement sévères compte tenu du court délai dont dispose l'appelant pour conclure (3 mois à compter de la déclaration d'appel) et des contraintes de temps inhérentes à la profession d'avocat.

Elles le sont d'autant plus que le décret n°2017-891 du 6 mai 2017 a créé l’article 910-4 du Code de procédure civile, lequel énonce :

« A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. »

Ainsi, l'appelant ne peut compléter son dispositif par d’éventuelles conclusions rectificatives afin d'éviter la sanction posée.

Cette difficulté explique l'extrême complexité et les dangers de la procédure d'appel pour les praticiens à l'heure actuelle.

Pour de nombreux confrères, les anciens avoués, devenus avocats spécialiste de la procédure d’appel, sont redevenus incontournables afin d'éviter de voir leur responsabilité engagée par ces chausse-trappes.

A titre d'illustration, les erreurs de procédure en appel en droit immobilier représentent 24,9 % des motifs de déclaration de sinistre en 2018 contre 9 % en 2014 ( Revue Dalloz Avocat Exercer et entreprendre, L'avocat et le Droit immobilier, Article de Monsieur Nicolas Lhommeau, Assurance et sinistralité de l'avocat en droit immobilier : quelles tendances ?).

 

Par un arrêt en date du 17 septembre 2020 publié au Bulletin, la Cour de cassation énonce désormais que l'appelant doit demander dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation ou la réformation totale ou partielle du jugement à peine de confirmation du jugement de première instance par la Cour d'appel.

L'arrêt prend soin de préciser que cette solution ne s'appliquera qu'aux instances introduites après le 17 septembre 2020.

  • Cour de cassation, 2e chambre civile, 17 septembre 2020 - n°18.23.626

La question de son incidence se posent principalement sur deux points :

 

- La sanction posée par l'arrêt du 31 janvier 2019 s'applique-t-elle encore pour les instances introduites postérieures à l'arrêt du 17 septembre 2020 ?

Dans un article paru dans la Gazette du Palais du 27 octobre 2020, Maître Philippe GERBAY, Avoué à la Cour et Maître de conférence à la faculté de Droit de Grenoble, estime que l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 ne remet pas en cause la possibilité de demander la caducité de l’appel :

"...Le juge peut-il débouter les intimés de leur demande de caducité à la seule lecture de l'arrêt solennel du 17 septembre 2020 ? Nous ne le pensons pas." (Revue Gazette du Palais, 27 octobre 2020, Article de Maître Philippe GERBAY, Appel non soutenu ou caducité de l'appel : valse-hésitation au Quai de l'Horloge).

Cette solution doctrinale est pragmatique et juste car elle permet d'éviter qu'une procédure ne se poursuive inutilement pendant de longues années.

En outre, l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 n'exclut pas expressément cette possibilité.

Il reste à attendre les premières décisions.

 

- Quelle sanction pour les procédures antérieures à l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 ?

Plusieurs plaideurs ont déjà soutenu que la solution dégagée par l'arrêt du 17 septembre 2020 était de nature à faire échec à la demande de caducité devant le Conseiller de la mise en état.

Cependant, tant la Cour d'appel de PARIS que la Cour d'appel d'ANGERS n'ont pas suivi cette argumentation.

Ainsi dans un arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 9 décembre 2020, il a été jugé que la règle tirée de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 précité ne s’applique que pour les déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020 :

« Par note en délibéré adressée le 26 octobre 2020, la XXX en qualité de liquidateur judiciaire de la société XXX a indiqué que le conseil de l'appelant se réfère à un arrêt de la Cour de Cassation rendu le 17 septembre 2020 (Cass, civ 2ème, n°18-23.626) pour en conclure que la Cour peut statuer sur l'appel de M. G..

Néanmoins, ledit arrêt, qui énonce une règle de procédure selon laquelle la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement lorsque l'appelant ne demande pas l'infirmation ni l'annulation du jugement dans le dispositif de ses conclusions, indique également expressément qu'il ne s'applique pas aux instances introduites par une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020

  • Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 6, 9 Décembre 2020 – n°18/09436 

D’autres arrêts ont rejeté le moyen tiré de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, preuve de l’inanité de ce moyen.

  • Cour d'appel, Angers, Chambre civile A, 10 Novembre 2020 – n°18/00258
  • Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 10, 2 Décembre 2020 – n°18/09707
  • Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 6, 16 Décembre 2020 – n°18/07725

Ces premières décisions doivent amener l'intimé à faire preuve de prudence en l’absence des termes « infirmer ou réformer » dans le dispositif des conclusions de l’appelant, en particulier si la déclaration d’appel est antérieure à la date du 17 septembre 2020.

Il peut donc être judicieux :

- de former un incident devant le Conseiller de la mise en état afin de solliciter le prononcé de la caducité de l'appel par voie de conclusions d'incident;

- de solliciter dans les conclusions au fond à l'attention de la Cour d'appel le constat de l’absence dans le dispositif des conclusions de l’appelant d’une demande expresse d’infirmation totale ou partielle du jugement entrepris et par suite la confirmation du jugement de première instance.

Cette solution avait été dégagée par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE dès le 17 janvier 2020 si bien que cette argumentation peut être insérée dans des conclusions portant sur des appels antérieurs à l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020.

  • CA AIX-EN-PROVENCE, 4° et 6° ch. réunies, 17 janvier 2020, n°17/03826 :

"... l'absence dans le dispositif des conclusions de l'appelant de la demande expresse d'infirmation du jugement entrepris ne saisit pas la cour de cette demande et ne l'autorise pas à infirmer le jugement ; de ce fait, la cour ne peut statuer sur les prétentions figurant dans le dispositif des conclusions des appelants, auxquelles il a été déjà répondu par un jugement qui subsiste à défaut d'infirmation ; quand bien même des prétentions claires, précises et motivées figureraient au dispositif, elles ne sont pas de nature à combler cette absence, dès lors que la cour ne peut y faire droit ou les rejeter que si, dans le même temps, elle infirme ou confirme le jugement déféré.

En conséquence, en l'absence de demande d'annulation ou de réformation formée par l'appelant, les chefs du jugement critiqués dans l'appel ne peuvent être que confirmés, étant rappelé qu'aucun appel incident n'a été formé et que l'intimée demande la confirmation de la décision."

Cet article n'engage que son auteur.

Maître Jérémy MAINGUY

Avocat au Barreau de l'AVEYRON

Spécialiste en droit immobilier

Contact : jmainguy.avocat@gmail.com - 07 49 40 40 07