En matière de bail commercial, il est rare que le bail soit consenti avec l'activité "tous commerces", stipulation offrant en principe toute latitude au locataire, lequel peut transformer ou modifier son activité sans demander l'autorisation de son bailleur.

Le plus souvent, il est précisé l'activité économique que le locataire peut exercer dans les lieux loués ( restauration, bar, brasserie...)

Cette précision est à l'origine d'un contentieux abondant car le locataire souhaite modifier ou transformer son activité afin de répondre aux demandes de sa clientèle ou à s'adapter au contexte économique actuel.

Deux hypothèses sont possibles :

- soit l'activité que le locataire souhaite exercer est incluse dans l'activité définie dans le bail. Dans cette hypothèse, le locataire n'a pas à obtenir l'autorisation du bailleur. Par exemple, l'activité de vente de quiche, pizza et croque-monsieur ainsi que de boissons non alcoolisées est incluse dans l'activité de boulangerie-pâtisserie. On peut aussi citer d'autres exemples comme le fait que les stations-services peuvent vendre des denrées alimentaires et boissons aux automobilistes  (CA Versailles, 21 février 1991, Juris-Data n°1991-600155).

- Soit l'activité projetée n'est pas prévue dans l'activité définie au contrat de bail et le locataire devra passer par une procédure de déspécialisation, soit partielle, soit plénière en fonction de l'activité. A défaut, le locataire s'expose à une demande d'augmentation du loyer ou à une demande de résiliation judiciaire pour exercice d'une activité non prévue au contrat de bail par le locataire (Cour de cassation, Chambre civile 3, 25 Février 1975 - n° 74-10.856) ou encore à un refus de renouvellement du bail sans indemnité.

 

Cette problématique est essentielle dans le contexte actuel pour les restaurateurs, lesquels sont tentés de pratiquer la vente à emporter ou la livraison à domicile afin de continuer (partiellement) leur activité.

En effet, la livraison à domicile de plats cuisinés par l'intermédiaire de plateformes comme Uber Eats peut être une source de revenus pour des restaurateurs en grande difficulté.

Traditionnellement, la vente à emporter ou la livraison à domicile ne sont pas autorisées lorsque la destination visée dans le bail est exclusivement la restauration (CA PARIS, 23 mai 2001, RG n°99/16524).

Afin de remédier à cette difficulté à coût réduit, les locataires peuvent éventuellement compter sur la tolérance de leurs bailleurs, lesquels sont parfaitement conscients de l'intérêt de sauvegarder l'activité au sein des locaux loués dans le contexte actuel.

Cependant, une autre solution pérenne semble se dégager par le contexte économique et l'évolution des usages et des pratiques commerciales par la crise sanitaire entraînant la fermeture des restaurants, laquelle tend à inclure l'activité de vente à emporter et de livraison de plats dans l'activité de restauration.

En effet, dans un arrêt de la Cour d'appel de PARIS du 17 février 2021, la Juridiction semble inclure la vente à emporter et la livraison à domicile dans l'activité de restauration traditionnelle en raison de l'évolution des usages, évolution renforcée par le contexte actuel :

"En outre, il convient de tenir compte de l'évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l'espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l'intermédiaire de plateformes. " (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 3, 17 Février 2021 – n° 18/07905).

Dans ce dossier, la Cour n'a pas accueilli la demande de la bailleresse visant à constater une déspécialisation justifiant une augmentation du loyer au motif que l’activité de vente à emporter et de livraison à domicile était incluse dans l’activité définie par le bail.

Certes, il s'agissait dans ce dossier d'un restaurant japonais confectionnant des sushis.

Or, l'activité de vente à emporter ou de livraison à domicile est habituelle pour ce type de restaurant.

La décision de la Cour d’appel de PARIS peut se justifier sur ce fondement.

En effet, la Cour d’appel de VERSAILLES avait inclus la vente de produis alimentaires dans l’activité des stations-services au motif que cette pratique était universellement répandue sur le territoire français (CA Versailles, 21 févr. 1991, Juris-Data n°1991-600155).

Il n’est donc pas certains que cette décision soit applicable pour les restaurants traditionnels français.

Cependant, les Juges ont déjà fait usage d’un pragmatisme similaire pour sauvegarder les boulangeries-pâtisseries.

En effet, la Cour d'appel de VERSAILLES dans un arrêt de 1995 avait énoncé que l'activité de boulangerie-pâtisserie incluait la vente de boissons non alcoolisées ainsi que de quiches, croque-monsieur et de pizzas tant au regard des usages commerciaux que des exigences actuelles de la clientèle mais aussi afin d'assurer la survie des petits commerces de proximité (Cour d'appel VERSAILLES, chambre 12, 12 Janvier 1995, JurisData : 1995-600274).

Compte tenu du contexte économique actuel difficile pour les restaurateurs et de l’évolution des pratiques commerciales engendrées par l'épidémie de la COVID-19, un revirement de jurisprudence favorable aux restaurateurs n’est pas à exclure.

Un locataire en conflit avec son bailleur pourait tout à fait exciper de ces décisions.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Cet article n'engage que son auteur.

 

Maître Jérémy MAINGUY

Avocat au Barreau de l'AVEYRON

Spécialiste en droit immobilier

Contact : jmainguy.avocat@gmail.com - 07 49 40 40 07