Commentaire publié dans la revue Lexbase Public du 13 juillet 2023

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Réf. : CE, 1°-4° ch.-r., 12 juin 2023, n° 459918, mentionné aux tables du recueil Lebon

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Par une décision du 12 juin 2023, le Conseil d’État juge que la nature de l’opération foncière à l’origine de la création d’un secteur est sans incidence pour déterminer s’il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. Dès lors, il relève qu’un projet de construction situé à cinq kilomètres du centre historique d’une commune peut être autorisé en continuité avec une zone développée dans le cadre d’une opération de lotissement, sous réserve que le nombre et la densité des constructions de ce lotissement soient suffisamment significatifs.

Dans cette affaire, la société Bouygues Immobilier a sollicité un permis de construire pour son projet de construction de quarante-six logements, dont vingt-trois logements locatifs sociaux, sur le territoire de la commune littorale de Roquebrune-sur-Argens (Var).

Plus précisément, le projet est situé en lisière d’une zone développée dans le cadre d’une opération de lotissement et se situe à cinq kilomètres du centre historique de la commune. Par arrêté du 3 avril 2019, le maire lui a délivré le permis de construire sollicité.

La société par actions simplifiée (SAS) Academic Golf de Roquebrune, l’association syndicale libre (ASL) Les Rives du Golf et plusieurs riverains ont alors contesté ce permis de construire, d’abord en formant un recours gracieux, puis en saisissant le juge administratif d’un recours contentieux.

En effet, les requérants ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 3 avril 2019 délivrant le permis de construire, ainsi que les décisions de rejet de leurs recours gracieux. Par un jugement n°s 1902928, 1903147, du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes.

Les requérants ont ensuite interjeté appel à l’encontre de ce jugement. Par un arrêt n°s 20MA03263, 20MA03399, du 28 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement, l'arrêté du 3 avril 2019 et les décisions de rejet des recours gracieux.

La société Bouygues Immobilier a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

I. Le principe d’une extension de l’urbanisation en continuité avec les « agglomérations et villages existants » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

1.1.- Le Conseil d’État énonce, tout d’abord, les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Cet article, dans sa version applicable au litige et donc antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (dite loi « ELAN »), disposait que :

« L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».

1.2.- À cet égard, il ressort d’une réponse ministérielle [1] portant sur la notion d’« agglomérations et villages existants » que le législateur a entendu viser « toutes les urbanisations » de nature différente :

« Par agglomération, le législateur a entendu viser toutes les urbanisations d’une taille supérieure ou de nature différente. Cela peut concerner de nombreux secteurs, une zone d’activité, un ensemble de maisons d’habitation excédant sensiblement la taille d’un hameau ou d’un village mais qui n’est pas doté des équipements ou lieux collectifs qui caractérisent habituellement un bourg ou un village (…) ».

De même, une autre réponse ministérielle [2] a permis d’apporter des précisions sur la notion de « continuité » :

« Le concept de continuité avec les agglomérations et villages existants se réfère, en tout premier lieu, à la notion de continuité, exigence valable sur tout le territoire d'une commune littorale. La loi « littoral » a entendu interdire à la fois les constructions isolées en rase campagne et la création en site vierge d’agglomérations nouvelles importantes, ou la greffe sur un petit groupe de maisons de telles agglomérations, ou encore des constructions trop éloignées des villages et agglomérations ».

Cette notion de « continuité avec les agglomérations et villages existants » a donc nourri bon nombre de questionnements et de contentieux.

1.3.- En effet, il est de jurisprudence constante [3] que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les secteurs déjà urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres constructions, dans les espaces d'urbanisation diffuse éloignés de ces agglomérations et villages.

Le juge administratif a déjà eu l’occasion de préciser, s’agissant d’une zone résidentielle, qu’il convient de tenir compte du nombre de constructions voisines existantes [4]. Celui-ci est même allé plus loin en considérant qu’un espace d’une quarantaine de constructions constitue un village, alors même qu’il ne comporte pas d’équipements collectifs [5].

II. Le refus de la juridiction d’appel de qualifier un lotissement d’ « agglomération ou village existant » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

Le Conseil d’État revient, ensuite , sur le raisonnement de la cour administrative d’appel de Marseille l’ayant conduit à infirmer le jugement et à annuler le permis de construire obtenu.

2.1.- D’une part, la juridiction d’appel a considéré que le secteur d'implantation, composé essentiellement d'habitations mitoyennes, de même que les secteurs adjacents, constitués d'une centaine de logements ainsi que de terrains de sport communaux et d'un centre de loisirs, ne constituaient pas une agglomération ou un village existant au sens de ces dispositions.

2.2.- D’autre part, elle a relevé que le lotissement, considéré comme un habitat diffus, en limite duquel s'implante le projet litigieux est séparé par une vaste zone forestière et agricole d'un autre secteur urbanisé de la commune, correspondant au village ancien.

2.3.- Dès lors, la cour administrative d’appel a estimé que seul le centre historique de la commune, situé à plusieurs kilomètres du terrain d’assiette du projet, pouvait constituer un référentiel valable au titre des « agglomérations et villages existants » de l’article L.121-8 du Code de l’urbanisme.

C’est la raison pour laquelle elle a jugé qu'un « lotissement » ne pouvait caractériser « une agglomération ou un village existant », avant d’en déduire que le projet ne remplissait pas le critère d’urbanisation en continuité avec « une agglomération ou un village existant » au sens de l’article L. 121-8 précité.

III. La possibilité, selon le Conseil d’État, de qualifier un lotissement d’ « agglomération ou village existant » eu égard au nombre et à la densité des constructions qu’il comporte

Le Conseil d’État juge, enfin, que :

« La nature de l'opération foncière ayant présidé à la création d'un secteur est sans incidence pour apprécier s'il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. Un projet de construction situé en continuité avec un secteur urbanisé issu d'une opération de lotissement peut, ainsi, être autorisé si le nombre et la densité des constructions de ce lotissement sont suffisamment significatifs pour qu'il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8 ».

3.1.- D’une part, il est précisé que la nature de l’opération foncière à l’origine de la création d'un secteur urbanisé est sans incidence pour apprécier s'il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme.

3.2.- D’autre part, il est indiqué qu’un secteur urbanisé issu d'une opération de lotissement peut caractériser une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, si le nombre et la densité des constructions de ce lotissement sont suffisamment significatifs.

Ce faisant, le Conseil d’État rappelle qu’il incombait au juge du fond « seulement de rechercher si le nombre et la densité des constructions du secteur en continuité duquel se situait le projet étaient suffisamment significatifs ».

3.3.- Au cas présent, la Haute juridiction en conclut que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une double erreur de droit :

- d’une part, en prenant en considération la nature de l’opération foncière ayant présidé à la création de ce secteur et en jugeant ainsi qu’un lotissement ne constituait pas « une agglomération ou un village existant » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme ;

- et, d’autre part, en prenant en considération l’éloignement de ce secteur par rapport au centre historique de la commune.

En conséquence, le Conseil d’État censure, assez logiquement, l’arrêt de la juridiction d’appel au terme duquel elle a considéré que le secteur « Le Perrussier » ne pouvait constituer une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8 précité.

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel adoptant une interprétation de plus en plus souple de la condition de « continuité avec les agglomérations et villages existants » posée à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. À titre d’exemple, le Conseil d’État a récemment eu l’occasion d’apporter de nouvelles précisions s’agissant d’une extension de l’urbanisation en continuité avec une zone d’activités [6].

Il a ainsi jugé qu’un projet d’implantation de panneaux photovoltaïques peut être autorisé s’il est situé en continuité avec une vaste zone industrielle incluant une usine, elle-même implantée en continuité avec un hameau où sont implantés une station d’épuration, un parc photovoltaïque et un poste électrique. Dans cette affaire, le Conseil d’État a retenu que cette zone constituait une zone déjà urbanisée, caractérisée par un nombre et une densité significatifs de constructions.


[1] QE n° 09741 de M. François Marc, JO Sénat, 23 juillet 2009 p. 1829, réponse publ. 14 janvier 2010 p. 80, 13ème législature N° Lexbase : L4440KLZ.

[2] QE n° 13239 de M. Jean Bizet, JO Sénat, 29 avril 2010, p. 1042, réponse publ. 23 septembre 2010, p. 2483, 13ème législature N° Lexbase : L1318KLE.

[3] CE, 27 septembre 2006, n° 275924 N° Lexbase : A3347DRE ; plus récemment, CE, 9 novembre 2015, n° 372531 N° Lexbase : A5872NWE.

[4] CE, 30 décembre 2016, n° 398959 N° Lexbase : A4934S37.

[5] CAA Bordeaux, 9 juillet 2020, n° 19BX01164 N° Lexbase : A24193RZ.

[6] CE, 17 février 2023, n° 452346 N° Lexbase : A31739DU.