Commentaire publié dans la revue Lexbase Public du 15 février 2024

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Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 17 janvier 2024, n° 467572, mentionné aux tables du recueil Lebon

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Par une décision du 17 janvier 2024, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État fournit plusieurs enseignements, à la fois sous l’angle du droit de l’urbanisme et du contentieux administratif, en matière de permis de construire délivré pour la réalisation d’une unité de méthanisation.

Dans cette affaire, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes avait suspendu un permis de construire délivré à une société porteuse de projet pour la réalisation d’une unité de méthanisation agricole.

Afin de caractériser l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté, le juge des référés avait estimé que le projet ne respectait pas certaines dispositions du plan local d’urbanisme (ci-après « PLU ») applicable et avait considéré -c’est tout l’intérêt de la décision commentée- que l’unité de méthanisation ne constituait pas une exploitation agricole; le juge refusant, à cet égard, de tenir compte de la définition fournie par l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime (ci-après « CRPM »), au nom de l’indépendance des législations.

Quant à l’urgence, le juge des référés avait fait une application stricte de la présomption d’urgence consacrée à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, en matière de permis de construire.

Saisi de pourvois formés à la fois par la société porteuse du projet, mais également - fait notable - par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés pour erreur de droit, au motif que la définition fournie par le CRPM ne saurait être ignorée en droit de l’urbanisme (I.).

Puis, statuant sur l’affaire en application de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d’État rejette la requête en référé-suspension en considérant que l’intérêt général qui s’attache à la réalisation du projet est de nature à renverser la présomption d’urgence posée par le Code de l’urbanisme (II.).

I. La définition de la méthanisation agricole fournie par le CRPM ne saurait être ignorée par le droit de l’urbanisme

A. L’unité de méthanisation agricole au sens du CRPM

Aujourd’hui, si aucune définition de la « méthanisation agricole » n’est donnée par la législation sur l’urbanisme, une telle définition résulte néanmoins de la législation environnementale.

En effet, aux termes de l’article L. 311-1 du CRPM, sont réputées agricoles « la production et, le cas échéant, de la commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d'exploitations agricoles ».

Cet article est utilement complété par les dispositions de l’article D. 311-18 du CRPM. Celui-ci précise que l’unité de méthanisation doit être exploitée et l’énergie commercialisée par un exploitant agricole ou par une structure détenue majoritairement par des exploitants agricoles afin que la production et la commercialisation de biogaz, d’électricité et de chaleur par la méthanisation soient regardées comme une activité agricole au sens de l’article L. 311-1.

Dès lors, il résulte de la combinaison des articles L. 311-1 et D. 311-18 précités que la méthanisation est considérée comme une activité agricole lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

- d’une part, l’unité de méthanisation est exploitée et l’énergie commercialisée par un exploitant agricole ou par une structure détenue majoritairement par des exploitants agricoles ;

- d’autre part, au moins 50% de la masse des intrants provient d’exploitations agricoles.

Par ailleurs, le juge administratif a longtemps hésité sur la qualification qui peut être donnée à une unité de méthanisation, n’étant pas à l’aise avec l’idée de rendre encore plus poreux le principe d’indépendance des législations entre l’urbanisme et l’environnement.

On soulignera ainsi qu’il a pu, timidement, considérer qu’une activité de méthanisation relevait d’une « activité agricole » [1] au sens de l’article L. 311-1 du CRPM, ou encore qu’une unité de méthanisation puisse être regardée comme « nécessaire à l’exploitation agricole » [2] au sens du Code de l’urbanisme. D’autres juridictions ont préféré retenir le caractère d’ « exploitation agricole » [3] au sens de l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme ou bien de « construction liée et nécessaire à des exploitations agricoles » [4].

Néanmoins, si parmi les critères retenus dans le cadre de son faisceau d’indices, le juge administratif se fonde généralement sur la provenance des matières premières ou encore la détention capitalistique du pétitionnaire - critères posés aux articles L. 311-1 et R. 311-18 du CRPM -, il a également pu, à d’autres occasions, juger que les requérants ne pouvaient se prévaloir de ces dispositions afin de qualifier une unité de méthanisation d’activité agricole [5].

B. La prise en compte, sous certaines conditions, de la définition du CRPM par le droit de l’urbanisme

Au cas présent, le litige porte principalement sur l’application de l'article A 3.2.1 du règlement du PLU de la commune concernée, au terme duquel les bâtiments nouveaux doivent respecter une marge de recul de 50 mètres minimum par rapport à un axe routier ; étant précisé que ces reculs ne s'appliquent pas « aux bâtiments d'exploitation agricole ».

À cet égard, il est intéressant de souligner que le lexique de ce règlement apportait des précisions sur ce que la sous-destination « exploitation agricole » recouvrait, en reprenant, en substance, le contenu de l’article L. 311-1 du CRPM, mais sans procéder toutefois à un renvoi direct à ce Code.

Dans le cadre de l’affaire commentée, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes [6] avait jugé que « la circonstance que la méthanisation puisse être assimilée à une activité agricole au sens des dispositions des articles L. 311-1 et D. 311-18 du Code rural et de la pêche maritime est sans incidence sur la légalité du permis de construire attaqué, dès lors que ces dispositions ne sont pas au nombre de celles que peut prendre en compte l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme ».

Pour ce faire, la juridiction de première instance avait notamment retenu que l’unité de méthanisation projetée n’est pas, d’un point de vue fonctionnel, directement nécessaire aux besoins de l’exercice d’une activité agricole et ne peut également pas être regardée comme constituant un bâtiment lié et nécessaire au fonctionnement de l’exploitation agricole.

Par la décision ainsi commentée, le Conseil d’État retoque ce raisonnement estimant que le juge des référés a commis une erreur de droit.

En effet, la Haute juridiction relève « qu'il lui appartenait, afin de déterminer si le projet litigieux pouvait bénéficier de l'exception aux règles de recul prévue à l'article A 3.2.1 du règlement du plan local d'urbanisme, de rechercher si le projet d'unité de méthanisation en cause pouvait être regardé comme une activité agricole au regard de la définition qu'en donne le lexique du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Bourg-des-Comptes, éclairée par les dispositions du code rural et de la pêche maritime ».

Ainsi, le Conseil d’État précise que la définition de l’activité agricole donnée par le CRPM, reprise indirectement par le lexique du règlement du PLU en cause, devait être prise en compte et ne pouvait être ignorée dès l’instant où cette définition -bien que relevant d’une autre législation- avait été reprise par un document d’urbanisme applicable (ici le lexique du règlement du PLU).

II. L’intérêt qui s’attache à la réalisation d’une unité de méthanisation permet de renverser la présomption d’urgence en matière de référé-suspension contre un permis de construire

A. Une présomption d’urgence réfragable

L’article L. 521-1 du Code de justice administrative conditionne le succès d’un recours en référé-suspension à la démonstration d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, d’une part, et à l’existence d’une condition d’urgence, d’autre part.

Si l’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances propres à chaque espèce [7], le Conseil d’État a très rapidement considéré qu’en matière de permis de construire, et plus globalement s’agissant des autorisations d’urbanisme, l’urgence devait être considérée comme présumée en raison du caractère difficilement «réversible» des travaux que l’arrêté autorise [8].

La loi « ELAN » [9] a consacré cette présomption d’urgence par l’introduction d’un article L. 600-3 au sein du Code de l’urbanisme, rédigé comme suit : « La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite ».

L’existence de cette présomption dispense donc, en principe, le requérant de faire la démonstration de l’urgence qui s’attache à la suspension du permis de construire objet de son recours [10].

Néanmoins, la présomption d’urgence posée tant par la jurisprudence que par la loi n’est pas irréfragable.

En effet, les défendeurs, qu’il s’agisse du bénéficiaire ou de l’autorité ayant pris l’arrêté, sont toujours en droit de combattre la présomption d’urgence en faisant valoir, au titre de l’appréciation globale de l’urgence, des circonstances particulières justifiant que la réalisation des travaux prime sur l’inconvénient qui s’attache à leur caractère difficilement réversible [11].

Ainsi, l’existence d’une présomption d’urgence n’exonère pas le juge des référés de l’obligation de réaliser un « bilan de l’urgence » [12] en procédant « à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise » [13], ceci afin de déterminer si le préjudice qu’engendrerait une suspension de l’arrêté de permis de construire ne serait pas plus grave que le préjudice induit par sa non-suspension.

B. Une présomption d’urgence susceptible d’être écartée en présence d’un projet de méthanisation

Par la décision commentée, le Conseil d’État contredit l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes dans la mesure où ce dernier avait considéré que « l’intérêt qui peut s’attacher à la réalisation d’une unité de méthanisation » n’est pas de nature à remettre en cause la présomption d’urgence posée par l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme en raison du caractère difficilement réversible des travaux.

En effet, la haute juridiction considère que les circonstances particulières de l’espèce permettent de renverser cette présomption dans la mesure où il ressort « des pièces du dossier que la société pétitionnaire a prévu de mettre en oeuvre de nombreuses mesures de maîtrise des risques qui ne permettent pas de regarder comme établis les troubles et nuisances allégués par les requérants, et que la suspension de l’exécution du permis litigieux est susceptible de conduire à l’interruption du projet en affectant sa viabilité économique et le déblocage des prêts bancaires nécessaires à sa réalisation, alors même qu’il répond à un motif d’intérêt général d’une part en contribuant à l’atteinte de plusieurs objectifs locaux, nationaux et européens de développement de la production d’énergies renouvelables, notamment de biogaz, et d’autre part en contribuant à un objectif d’intérêt environnemental par l’amélioration du traitement des déchets issus des exploitations agricoles ».

La seconde partie du considérant est particulièrement intéressante puisque le Conseil d’État a tenu compte de ce que le projet répond à un motif d’intérêt général, en ce qu’il participe :

- d’une part, au développement de la production d’énergies renouvelables ;

- d’autre part, au traitement des déchets (agricoles).

Certes, la décision commentée reste, sur ce point, une décision d’espèce; mais il n’en demeure pas moins que la prise en considération de ces deux aspects, dans des termes génériques, n’est pas anodine et constituera nécessairement un précédent cité par tout porteur de projet dont le permis de construire fait l’objet d’un recours.

Ce double objectif que servent les unités de méthanisation est vraisemblablement ce qui justifie le traitement favorable dont ils bénéficient, par opposition, notamment, avec les projets de parc éoliens qui, s’ils servent indéniablement le premier objectif, restent étrangers au second.

En tout état de cause, cette décision envoie un signal positif en matière de développement du biogaz.


[1] CAA Douai, 1re ch., 9 mai 2019, n° 17DA00608 N° Lexbase : A8085ZE8.

[2] CAA Nantes, 5e ch., 19 juillet 2019, n° 18NT02791 N° Lexbase : A13827Z9.

[3] TA Dijon, 1re ch., 8 décembre 2023, n° 2103022.

[4] CAA Nantes, 2e ch., 2 août 2023, n° 21NT00149 N° Lexbase : A97651CN.

[5] CAA Douai, 1re ch., 30 novembre 2017, n° 15DA01317 N° Lexbase : A6285W4K ; CAA Marseille, 9ème ch., 15 juin 2021, n° 19MA05383 N° Lexbase : A68184WG ; et plus récemment : TA Rouen, 2ème ch., 16 mars 2023, n° 2203555 N° Lexbase : A44769KY.

[6] TA Rennes, 6 septembre 2022, req. n° 2204126 N° Lexbase : A19898H7.

[7] CE, 28 février 2001, n° 229562 N° Lexbase : A1498ATN.

[8] CE, 27 juillet 2001, n° 230231 N° Lexbase : A5472AU9 ; CE, 29 décembre 2004, n° 268482 N° Lexbase : A0085DGA.

[9] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L8700LM8.

[10] CE, 15 juin 2007, n° 300208 N° Lexbase : A8640DWW.

[11] CE, 29 juin 2020, n° 435356 N° Lexbase : A78713P9.

[12] Conclusions du rapporteur public, Monsieur Mathias Guyomar sous CE, 22 mars 2010, n° 324763 N° Lexbase : A1405EUL.

[13] CE, 9 février 2011, n° 338831 N° Lexbase : A5281GWI.