Commentaire publié dans la revue Lexbase Public du 25 janvier 2024
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Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 20 décembre 2023, n° 461552, mentionné aux tables du recueil Lebon
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Par une décision du 20 décembre 2023, le Conseil d’État juge que la circonstance selon laquelle l’arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou omissions s’agissant de la destination de la construction – à l’instar de la surface de plancher créée – est sans incidence sur la portée et la légalité du permis dans la mesure où ce dernier n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis.
Dans cette affaire, le maire de Charleville-Mézières (Ardennes) a délivré à la SCI Charleville-Mézières Rue Thiers, par arrêté du 17 juillet 2017, un permis de construire relatif à des travaux sur construction existante avec changement de destination, restructuration et extension d’un ensemble commercial. Par un arrêté du 20 juillet 2017, le maire a également délivré un permis de démolir un immeuble à usage de bureaux à la société d’équipement et d’aménagement des Ardennes (SEAA).
Plus précisément, le projet, localisé sur des parcelles qui accueillaient anciennement les Halles, prévoit la construction de 3 300 m² de surfaces commerciales et 4 000 m² de bureaux avec une salle de sport de 2 000 m² ainsi que 118 places de stationnement.
Un voisin du terrain d’assiette du projet, propriétaire et occupant d’une belle demeure de maître, a souhaité contester ces autorisations en demandant, sans succès, l’annulation pour excès de pouvoir de ces deux permis. Par un jugement n°s 1701657, 1701718 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ces demandes.
Le voisin requérant a ensuite interjeté appel à l’encontre de ce jugement. Là encore sans succès puisque la cour administrative d'appel de Nancy a, par un arrêt du 16 décembre 2021 [1], confirmé la décision de première instance et rejeté l’appel ainsi formé.
Le propriétaire voisin a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
I. Sur l’erreur commise par la juridiction d’appel qui a raisonné par rapport aux anciennes catégories de destinations
1.1.- Aux termes de ses écritures d’appel, le voisin requérant soulève, entre autres, le moyen tiré de la méconnaissance, par le permis de construire, des prescriptions de l’article A. 424-9 du Code de l’urbanisme, selon lequel :
« Lorsque le projet porte sur des constructions, l'arrêté indique leur destination et, s'il y a lieu, la surface de plancher créée. Il rappelle au bénéficiaire du permis l'obligation de souscrire l'assurance de dommages prévue par l'article L. 242-1 du Code des assurances ».
Plus particulièrement, il est notamment soutenu que l’absence, dans l’arrêté contesté, de la mention de la destination « activités de service » au sujet de la future salle de sport entache d’illégalité le permis de construire.
En effet, le voisin requérant faisait valoir qu’en vertu des articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme et de l’arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions, la construction d’une salle de sport relève désormais de la destination « Commerce et activités de service » et de la sous-destination « Activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle », et non de la destination « Commerces et bureaux ».
À cet égard, la juridiction d’appel écarte ce moyen en retenant que l’arrêté du maire de Charleville-Mézières du 17 juillet 2017 satisfait aux exigences des articles A. 424-2 et A. 424-9 du Code de l’urbanisme, dans la mesure où la demande portait sur des «Travaux sur construction existante avec changement de destination, restructuration et extension d’un ensemble commercial » et où l’arrêté litigieux faisait figurer la mention « Destinations : commerce et bureaux ».
Ce faisant, la cour administrative d’appel de Nancy rejette l’argumentation selon laquelle l’arrêté serait illégal faute de mentionner la destination « Activités de services » s’agissant de la construction de la salle de sport. En d’autres termes, la cour juge que les dispositions de l’article A. 424-9 précité sont respectées dès lors que l’arrêté indique la destination des constructions et ce, quand bien même cette mention est incorrecte.
1.2.- Dans sa décision, le Conseil d’État commence par énoncer les dispositions des articles R. 151-27 à R. 151-29 du Code de l’urbanisme, ainsi que les articles R. 421-13 et suivants de ce code. Ces derniers articles rappellent ainsi que la question des changements de destination ou sous-destination des constructions permet de déterminer si ces travaux, lorsqu’ils sont exécutés sur des constructions existantes, sont soumis à permis de construire ou à déclaration préalable.
Si le Code de l’urbanisme distinguait auparavant neuf destinations [2], le juge administratif ne peut désormais plus raisonner par rapport à ces anciennes destinations qui ont été modifiées par le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015.
En effet, ces neuf « anciennes » destinations ont été remplacées par cinq « nouvelles » destinations définies à l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme, à savoir :
- exploitation agricole et forestière ;
- habitation ;
- commerce et activités de service ;
- équipements d'intérêt collectif et services publics ;
- autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.
Ces cinq destinations ont ensuite été subdivisées en vingt « sous-destinations » décrites à l’article R. 151-28 du même code et définies par l’arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu.
Alors que le rapporteur public estimait, dans ses conclusions, que la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit en validant l’ancienne destination « Commerces et bureaux », au motif que « cette catégorie ne constitue plus une destination au sens du code de l’urbanisme dans sa version applicable », le Conseil d’État confirme l’erreur ainsi commise par la juridiction d’appel mais décide de procéder à une substitution de motif pour écarter le moyen tiré de l’illégalité du permis au regard des dispositions de l’article A. 424-9 du Code de l’urbanisme.
II. Sur l’absence de droits créés par un permis de construire comportant une mention erronée de la destination de la construction
2.1.- Dans la décision présentement commentée, le Conseil d’État juge qu’ « un permis de construire, sous réserve des prescriptions dont il peut être assorti, n'a pour effet que d'autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis ».
La Haute juridiction poursuit en précisant que « d’éventuelles erreurs susceptibles d'affecter les mentions, prévues par l'article A. 424-9 du Code de l'urbanisme, devant figurer sur l'arrêté délivrant le permis ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande ».
Il en résulte donc que la seule circonstance que l'arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions s’agissant de la mention de la (ou des) destination(s) de la construction, ou de la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis.
2.2.- Dès lors, le Conseil d’État élargit sa jurisprudence dégagée dans la décision « SCI Maison médicale Edison » du 25 juin 2004 [3] aux inexactitudes relatives à la destination de la construction.
Ainsi, les mentions devant figurer, au titre de l’article A. 424-9 du Code de l’urbanisme, dans l’arrêté délivrant le permis n’ont qu’une portée indicative, puisque, en réalité, seules les informations indiquées par le pétitionnaire dans sa demande de permis ont réellement une incidence sur la portée de l’arrêté délivrant le permis de construire.
Le pétitionnaire n’est, en effet, autorisé à réaliser que les seuls travaux correspondant à ceux indiqués dans sa demande et ce, même en présence de mentions erronées dans l’arrêté délivrant le permis de construire.
Pour conclure, cette solution, inédite, retenue par le Conseil d’État s’inscrit donc dans la continuité de sa jurisprudence antérieure et se veut pragmatique.
Aussi, cette décision a le mérite de rassurer les porteurs de projet en clarifiant leur situation lorsqu’ils sont détenteurs d’un permis dont certaines mentions sont erronées, et en leur évitant ainsi d’avoir à solliciter un arrêté rectificatif dans une telle situation.
[1] CAA Nancy, 1ère ch., 16 décembre 2021, n° 19NC00374 N° Lexbase : A471273W.
[2] N.B : habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt.
[3] CE, Sect., 15 juillet 2004, n° 228437, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8155DCZ.
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