La consécration d’une exception au caractère translatif de la subrogation issue du contrat
Civ 1re, 4 avril 2024, n°22-23.040, Publié au bulletin
Laurent Canoy, pour la SELARL CABINET FREDERIK-KAREL CANOY
Publié le 20 avril 2024
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 4 avril 2024 affirme une limite au caractère translatif de la subrogation, scellée postérieurement par l’article 1346-4 du Code civil issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
En l’espèce, la Société (l’emprunteur) a bénéficié auprès de la Banque (le créancier) d’un prêt, qui a été garanti par la Caution professionnelle (la caution), dont l'emprunteur (personne physique) s’est porté sous-caution. A la suite de la défaillance de l’emprunteur, la caution a tout d’abord payé les échéances échues. Après quoi, ayant mis en demeure la Société à sa seule initiative, la Caution professionnelle a payé l’ensemble du prêt à la Banque avant de prononcer la déchéance du terme à l’emprunteur. La Caution professionnelle a alors assigné en remboursement la Société qui a opposé, à titre reconventionnel, un moyen de défense portant sur une irrégularité de la déchéance du terme, s’analysant comme une perte de chance.
Toutefois, la Société a été déboutée y compris en appel, sans avoir été entendue sur sa demande, déclarée irrecevable, car prescrite. Par un arrêt de cassation partielle portant sur la dénaturation des écrits, la demande reconventionnelle de l’emprunteur ayant été soulevée dès la 1re instance, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Bourges sur cette seule question. La cour d’appel a débouté l’emprunteur en considérant que la prétention du demandeur sur l’irrégularité du prononcé de la déchéance du terme par la caution n’avait pas d’intérêt puisque l’intégralité des sommes dues était devenue exigible et a ajouté qu’en vertu des dispositions conventionnelles existantes, l’emprunteur ne pouvait remettre en cause l’opposabilité de la dénonciation de la déchéance du terme, celle-ci étant qualifiée de « régulière ».
Se posait la question de droit suivante : alors que le créancier dispose du droit exclusivement attaché à sa personne de prononcer la déchéance du terme, que des échéances du prêt sont devenues exigibles en partie et ont été payées par la caution, la caution subrogée sur une partie du prêt peut-elle priver l'emprunteur du bénéfice du terme antérieurement au créancier ?
Cassant partiellement l’arrêt, la Cour de cassation répond que non. La plus haute juridiction consacre l’exception du caractère translatif de la subrogation au visa des articles 1251, 3° et 1252 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 (I). Puis, après avoir, tour à tour, fait émerger les principes constituants de ces deux textes et l’équilibre en résultant, la Cour de cassation distingue les facultés des parties (II).
I. Consécration de l’exception au caractère translatif de la subrogation
L’arrêt consacre l’exception traditionnelle au caractère translatif de la subrogation (A) en la rattachant à un contrat (B).
A. Une limite traditionnelle à la subrogation au contenu flou
« A l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » rappelle la Cour de cassation s’inspirant des solutions admises par la Jurisprudence et des dispositions de l’alinéa 1 de l’article L. 1346-4 du Code civil issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. En effet, à contre-courant de la subrogation présentée comme un transfert d’obligation de la créance et de ses accessoires (1), existe une catégorie juridique de droits « exclusivement attachés à la personne » intransmissibles.
Selon maints auteurs de la Doctrine, son contenu demeure flou (2). En même temps, la Jurisprudence en a brossé des traits, en considérant : une garantie de paiement exclusivement réservée au transporteur (3) ; une prérogative inhérente à la qualité de syndic, à savoir la faculté de demander au tribunal le règlement judiciaire ou la liquidation des biens des dirigeants qui ne satisfont pas au paiement de la dette du passif d’une personne morale mise tout ou partie à leur charge (4), ainsi que l’engagement du vendeur au profit du seul locataire concernant la reprise du matériel donné à crédit-bail déboutant ainsi la caution d’un locataire la réclamant (5).
Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation a reconnu la faculté pour le prêteur de prononcer la déchéance du terme comme l’une des exceptions des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.
Par suite, la limitation possible de la transmission des droits du créancier au subrogé se trouve derechef appliquée.
B. Une limite exceptionnelle à la subrogation issue du contrat
Le caractère exceptionnel d’une intransmissibilité lors d’une subrogation s’il n’est prévisible, doit avoir un fondement. Attaché à la personne du créancier, d’après la Jurisprudence, ce droit propre semble émaner de la loi ou d’un engagement unilatéral. Assurément, dans le présent arrêt, la Cour de cassation reconnaît le contrat comme source de droit pour la Banque de tous ses droits principaux et accessoires, dont jaillit la limite de la transmissibilité à la caution.
Avant de reconnaître ce droit, la Cour de cassation sécurise sa décision en prenant appui sur la loi. La subrogation « ne peut nuire au créancier lorsqu'il n'a été payé qu'en partie », disposait l’article 1252 du Code civil abrogé. Plus que sur tout autre point, la Cour de cassation insiste sur le fait que le subrogé « ne peut nuire au créancier ». C’est-à-dire qu’en cas de concours, le créancier serait payé en priorité sur la caution.
Etant précisé que la Cour d’appel de Versailles a affirmé, dans un pareil cas visant la même Caution professionnelle, qu’elle ne pouvait prétendre à plus de droits que ce que la Banque pouvait lui transmettre (6). Par surcroît, cette cour d’appel avait pareillement refusé l’argumentaire de cette caution prétendant qu’elle disposait concurremment de la faculté de prononcer la déchéance du terme, alors qu’elle n’était pas dispensatrice de crédit.
La solution retenue en l’espèce consacre donc, en vertu de la loi, l’intransmissibilité de la faculté propre à la Banque, qu’elle tenait du contrat, de prononcer la déchéance du terme.
II. Consécration de l’exercice d’un droit attaché à la seule personne du créancier
L’arrêt reconnaît que, malgré la substitution, seule la Banque a la faculté de prononcer la déchéance du terme (A), non la caution subrogée (B).
A. L’exercice privilégié de la déchéance du terme par la Banque
« le fait qu’une nature qui est différente ne doit pas se trouver en situation d’exercer les mêmes occupations » affirme SOCRATE dans un dialogue, selon PLATON, respectueux des bornes anciennes (7). La transmissibilité de créance n’induit pas un changement de qualité. Aussi, après une subrogation, le solvens ne bénéficie pas des attributs du créancier qu’il subroge.
Or, focalisant sur le fait de « ne pas nuire au créancier », la solution interroge sur l’éventuelle atteinte au créancier provoquée par cette mise en concours. Les demandeurs au pourvoi ont mis en valeur que, si la caution exerce la déchéance du terme, le créancier risque la défaillance complète de l'emprunteur, la créance devenant directement plus importante.
En outre, la solution contraire aurait porté atteinte à la liberté du créancier de disposer de sa faculté, c’est-à-dire de procéder discrétionnairement au prononcé, ou non, de la déchéance du terme. Car priver l'emprunteur du bénéfice du terme, c’est l’affaiblir plus fort que de raison, ce qui ne serait pas opportun, sauf à avoir constitué des garanties sur son patrimoine (8).
Cette solution aurait été aussi surprenante pour l'emprunteur qui n’aurait plus su à quel créancier se vouer, ne sachant pas auprès duquel de ses créanciers en concours négocier ou rembourser avant que le prêt ne devienne entièrement exigible. Du reste, on peinera à comprendre au nom de quelle entente, connue de l'emprunteur, la caution aurait pu agir comme le véritable créancier.
B. L’exercice de la déchéance du prêt refusé à la Caution
« Si tu es estimé d’après ta propre appréciation, tu es assez méritant » (9). La Cour de cassation révèle la mauvaise application des textes par la cour d’appel ayant repris l’argumentaire de la caution se prévalant après paiement de tous les droits de la Banque. A vrai dire, la caution pouvait facilement se tromper. Le mécanisme de caution professionnelle ne sert-il pas justement pour la Banque à externaliser son contentieux immobilier, lui assurant le paiement de sa créance et l’allégeant de ses diligences (8) ?
Pourtant la Caution professionnelle ne paraît pas avoir rapporté la preuve d’une convention générale passée avec la Banque lui octroyant le droit de priver l'emprunteur du bénéfice du terme. Ce dont la Société aurait dû nécessairement être informée.
Par ailleurs, bien que constatant que la Caution professionnelle a réalisé l’entier paiement à la Banque avant de prononcer la déchéance du terme, la Cour de cassation semble trancher sur l’illicéité d’une telle manœuvre. Car la règle tirée de l’article 1252 du Code civil est applicable au créancier qui n’a été payé qu’en partie.
C’est que la vertu pédagogique de l’arrêt concernant la transmissibilité des obligations apparaît moins dans le rappel de l’ordre chronologique des paiements (10) (11), que dans la distinction des prérogatives exclusivement attachées aux acteurs en présence.
1. JULIENNE, Maxime, Régime général des obligations, 2e éd. 2018, LGDJ LEXTENSO, 430 p., p. 198.
2. JAMIN, Christophe, DISSAUX, Nicolas, Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations, éd. DALLOZ 2016, 273 p., p. 217.
3. Cass. com. 13 nov. 2007, n°06-18.978.
4. Cass. com., 12 nov. 1985, n° 84-16.523, Bull. 1985.
5. Cass com., 25 avr. 1983, n° 82-10.411, Bull. civ. IV.
6. CA de Versailles, 16e ch., 11 févr. 2021, n° 19/03268.
7. PLATON, La République, éd. FLAMMARION 2008, 674 p., p. 285.
8. BRUTTIN Jean, La société de caution professionnelle a-t-elle un devoir de mise en garde ? , RDI 2023, p.470.
9. SHAKESPEARE, Le marchand de Venise, Acte II, scène VII, éd. GALLIMARD 1959, Bibliothèque de la Pléiade, 1454 p., p. 1228.
10. Cass 1re civ., 13 avril 2023, n°22-16.060.
11. HELAINE, Cédric, Des effets de la subrogation personnelle à la date du paiement, DALLOZ ACTUALITE, 17 mai 2023.