I. Requalification au regard du contrôle exercé par l’exploitation des données de géolocalisation

Le traçage des salariés n’est pas nouveau ; l’expansion du pouvoir de surveillance d’un cocontractant, au point qu’il soit requalifié d’employeur, vaut le détour.

Dans le cadre de l’ubérisation, les dernières décisions de justice relatives à la requalification des travailleurs indépendants des plateformes en salariés examinent l’usage de la géolocalisation comme instrument de contrôle du travailleur.

Pour rappel, la géolocalisation couvre l’ensemble des techniques employées pour localiser l’équipement terminal d’un utilisateur.

Le « contrôle du travailleur » s’entend comme l’un des pouvoirs inhérents à l’employeur, comprenant également les pouvoir de direction et de sanction, qui caractérisent le lien de subordination (1).

L’enjeu de cette vérification est important, puisque l’usage de la géolocalisation apparaît intrinsèque au service proposé par ces applications.

Or, le 10 janvier 2019, la Cour d’appel de Paris avait reconnu dans une affaire liée à UBER que le système de géolocalisation utilisé par cette plateforme a permis le contrôle des salariés par le traitement de leurs données de géolocalisation (2).

Au contraire, un arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 7 avril 2021 relatif à la demande de requalification d’un travailleur de chez DELIVEROO n’avait pas analysé cela comme un contrôle hiérarchique, considérant qu’il s’agissait là de la seule nature du service proposé permettant de déterminer dans quelles zones sont les coursiers, le déroulement de leurs prestations et d'assurer le lien entre le restaurateur et le client final (3).

Toutefois, le jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 19 avril 2022 a condamné la société DELIVEROO confirmant d’un côté que la géolocalisation est effectivement inhérente à la nature des services offerts par DELIVEROO tout autant envers les restaurateurs que les clients, afin d’optimiser le temps de livraison, mais révèle aussi que la société DELIVEROO a exercé un pouvoir de surveillance et de contrôle des travailleurs par l’exploitation des données recueillies par cet outil technologique (4).

En effet cette décision, fortement médiatisée et ayant fait l’objet d’un affichage, porte un intérêt plus grand à la situation réelle plutôt qu’au cadre juridique existant (5).

Selon le contrat, le coursier devait promouvoir les intérêts de DELIVEROO - ce qui est surprenant puisque la société DELIVEROO a établi la rémunération du coursier sur le seul prix de la course, sans autre contrepartie, et la société DELIVEROO pouvait contrôler la bonne exécution de sa prestation de service.

Pour autant, par une approche systémique, le juge a eu une autre appréciation du contrôle exercé.

Il ne s’agit pas là du seul contrôle de la chaîne de production mais de celui du travailleur lui-même.

Par exemple, ce jugement relève que la plateforme a utilisé l’exploitation des données pour surveiller les travailleurs en cas de refus de courses, lors de leurs absences et leurs connexions dans les mauvaises zones, et ce, de très près, dès lors qu’elle invective les travailleurs en ces termes :

« je vois que tu t’es connecté de la rue BRUNEL, normalement il est mieux de te connecter tout de suite prêt de l’épicentre » ou « Certains restent chez eux à attendre les commandes, ce n’est pas possible, il faut donner de la visibilité à DELIVEROO, pour les petits malins qui seraient tentés d’essayer, sachez que nous avons la possibilité de vous localiser précisément quand vous êtes connectés ».

De plus, et nous le comprenons bien au regard des messages précédents, le juge relève que la géolocalisation vient non seulement à l’appui du pouvoir de direction de la société DELIVEROO, donnant accès à la position exacte du livreur qui refuserait d’attendre le client contrairement à la consigne donnée, mais également au pouvoir de sanction, puisque la plateforme a mis un avertissement à un livreur ayant refusé de réaliser la course, alors qu’il était le coursier le plus proche.

La représentation diagrammatique du contrôle exercé alors serait simple, la possibilité du contrôle se poursuivait alors durant l'ensemble de la connexion du coursier sur la plateforme.

Conséquence de ce constat : le juge estime que ce pouvoir de surveillance accru par la géolocalisation est l’une des émanations du pouvoir de contrôle d’un employeur et la démonstration de la subordination d’un salarié durant son temps de travail.

En conclusion, ce n’est pas le seul usage de cette technologie de géolocalisation qui a induit le lien de subordination mais bien l’approche suivie, par laquelle le contrôle est surinvesti.

 

  1. Cass. soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187.
  2. CA PARIS, 10 janvier 2019, n°18-08357.
  3. CA PARIS, 7 avril 2021, n°18-02846.
  4. Tribunal correctionnel de Paris, 31 ème chambre, 19 avril 2022.
  5. https://www.europe1.fr/economie/uberisation-la-decision-attendue-pour-deliveroo-soupconnee-de-travail-dissimule-4106496 ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/19/deliveroo-condamne-a-une-amende-de-375-000-euros-pour-travail-dissimule_6122785_3224.html ;  https://www.liberation.fr/economie/deliveroo-condamne-pour-travail-dissimule-dans-un-proces-historique-de-luberisation-20220419_B7TV5DO44RDTJERFO3S4Y7CMCM/.