Le parc immobilier français ne constitue pas un ensemble homogène. Si l’affirmation est vraie d’un point de vue architectural ou encore économique, elle se vérifie également sur le terrain juridique.
La raison est simple : tous les biens n’ont pas la même destination. Alors que certains immeubles sont destinés à un usage d’habitation et que d’autres ont une vocation agricole, d’autres encore ont une finalité commerciale. Seuls ces derniers seront appréhendés dans le cadre de cet article.
Évidemment, un local commercial peut être personnellement occupé par son propriétaire. La solution est logique. Mais bien souvent, en pratique, le local en question sera donné à bail à un locataire (ou à un "preneur "). Ce dernier y exploitera alors un fonds de commerce pour y faire fructifier une activité commerciale ou artisanale.
Propriétaire-bailleur et locataire seront donc liés par un bail commercial, contrat dont le statut, très spécifique, est régi par les articles L.145-1 et suivants du Code de commerce.
Cette spécificité n’est pas le fruit du hasard. Elle s’explique notamment par le souci de sauvegarder l’existence et l’exploitation d’un fonds de commerce à tel endroit, car cette localisation géographique est souvent essentielle pour fidéliser les clients, stratégique pour attirer les chalands.
C’est également cet impératif qui, d’une certaine façon, a expliqué la création, avec la loi dite PINEL, d’un droit de préemption au bénéfice du locataire, dès lors que le propriétaire-bailleur du local envisage la vente de celui-ci.
Le législateur a ainsi souhaité donner l’opportunité au locataire de racheter les murs au sein desquels son activité prospère.
Ce droit de préemption (certains lui préfèrent l’expression « droit de préférence ») est gouverné par l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
Vous êtes propriétaire d’un local faisant l’objet d’un bail commercial et envisagez de le mettre en vente ? Quelles sont vos obligations ? Quelles sont les démarches à accomplir ? A quels risques vous exposez-vous en cas de non-purge du droit de préemption du locataire ? Cet article a pour ambition de poser les bases et les grands principes en la matière.
Vous êtes locataire d'un local commercial et vous savez que le bailleur va vendre "les murs" : quels sont vos droits ? Dans quelle mesure êtes vous prioritaire à l'achat ?
Retour sur le droit de préemption au bénéfice du locataire commercial issu de la loi PINEL de 2014 ...
I) Le champ d’application du droit de préemption du locataire
Poser la question du champ d’application du droit de préemption du locataire, c’est se demander quels locaux sont concernés par le droit de préemption du locataire.
Et si l’article L.145-46-1 du Code de commerce apparaît comme parfaitement exhaustif, parce que prolixe, des zones d’ombres demeurent à ce sujet.
Le texte vise les locaux à usage commercial ou artisanal.
S’il ne fait donc aucun doute que sont donc de facto écartés les locaux à usage industriel, il y a davantage d’incertitudes concernant les locaux à usage de bureaux.
Une interprétation stricte du texte devrait s’opposer à ce qu’ils ouvrent, pour les locataires, un droit pour préempter. Seulement, lesdits locaux servent parfois à la gestion d’une activité de nature commerciale (voire artisanale). Doivent-t-ils, dès lors, être appréhendés comme ces derniers ? Rien n’en n’est moins sûr. En revanche, parce que prudence est mère de sûreté, un propriétaire de locaux à usage de bureaux qui envisage leur mise en vente gagnerait à mettre en œuvre les formalités décrites plus loin, pour éviter de se voir reprocher le fait de ne pas avoir purgé un éventuel droit de préemption du locataire, si ce dernier venait à être reconnu judiciairement.
D’autre part, c’est le dernier alinéa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce qui prévoit une série d’exceptions à la reconnaissance d’un droit de préemption au bénéfice du locataire. On regrettera son manque de clarté évident qui incite donc la jurisprudence (voire le Gouvernement) à distiller ses précisions, au fur-et-à-mesure des contentieux.
Les premières exceptions tiennent à l’identité et à la qualité de l’acheteur. Ainsi, le texte précité n’est pas applicable en cas de :
- cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ;
- cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.
Les autres exceptions tiennent à l’objet de la vente. Ainsi, le texte précité n’est pas applicable en cas de :
- cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial ;
- cession unique de plusieurs locaux commerciaux distincts, ce qui s'entend de locaux faisant l'objet de baux commerciaux distincts consentis à des preneurs également distincts susceptibles chacun d'exercer, dès lors de manière concurrente, le droit de préférence dont ils bénéficient (TGI Paris 24 janvier 2020, n°18/08952, Sté SIXT SAS c/ Société civile immobilière Bocage) ;
- cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux. Le pluriel employé a nourri (et nourrit encore d’ailleurs) des interrogations quant à l’applicabilité de la dérogation aux immeubles ne comprenant qu’un seul et unique local commercial. Pour le moment, il n’existe aucune position jurisprudentielle ferme en la matière. C’est ce qui explique que les praticiens, par mesure de sécurité, continuent généralement de notifier les projets de vente des propriétaires-bailleurs aux locataires, avant toute autre opération. Pourtant, le Gouvernement a, à plusieurs reprises lors de questions qui lui étaient posées, tenté de rassurer. Selon lui, la dérogation a bel et bien vocation à s’appliquer, que l’immeuble ne comprenne qu’un seul ou plusieurs locaux commerciaux (voir notamment Rép. Fabre : AN 14-8-2018 n° 5054).
Enfin, c’est la Cour de cassation qui a récemment précisé le champ de l’article L.145-46-1 du Code de commerce en soustrayant de son application tous les locaux faisant l’objet d’une vente judiciaire, que celle-ci résulte d’une adjudication amiable ou d’une saisie immobilière (CA Aix-en-Provence, 14 février 2017, n° 15/13116 ; Cour de cassation, 3e chambre civile, 17 mai 2018, n°17-16.113).
II) La mise en œuvre du droit de préemption du locataire
Pour que le droit de préemption dont bénéficie le locataire soit effectivement mis en œuvre et juridiquement purgé, le législateur a prévu un processus complet qui jouit, pour le coup, d’une rédaction assez didactique, même si cela n’empêche pas la résurgence de certaines parts d’ombres.
A cet égard, l’article L.145-46-1 du Code de commerce offre, en effet, un guide plutôt exhaustif concernant la marche à suivre.
1ère étape : la notification
Dès lors que le propriétaire-bailleur envisage la vente de son local, il doit en informer son locataire et lui faire parvenir une offre.
Cette notification se fait au moyen d’une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement.
L’esprit du texte voudrait que le propriétaire-bailleur informe le locataire de son dessein de vendre le local immédiatement après qu’il en ait eu l’idée.
Jugée quelque peu rigide, cette conception a pu être relativisée par certains juges du fond. Ainsi, avant même de notifier une offre au locataire, le propriétaire-bailleur semble toujours avoir le droit d’entamer des démarches préalables inhérentes à tout processus de commercialisation afin, notamment, de déterminer le prix de son bien et de vérifier l’existence d’un marché immobilier (TGI Paris, 28 mars 2019, n°18/15054, Association cultuelle Fraternité sacerdotale St Pie X c/ Sté Hôtel de Latour Maubourg).
Toutefois, il est d’abord nécessaire de rappeler que cette décision s’inscrit un contexte factuel et circonstanciel particulier de sorte qu’il ne faut pas en tirer de conclusions trop hâtives. Cette illustration ne constitue encore qu’une simple idée de l’interprétation probable de la norme en la matière.
Par ailleurs, si des démarches préalables peuvent, a priori, être entamées par le propriétaire-bailleur avant toute notification d’une offre au locataire, la Cour d’appel de Douai a manifestement tracé une ligne rouge. Ainsi, ce même propriétaire ne saurait attendre la réception d’une offre d'achat qui émanerait d’un tiers pour informer le preneur de la possibilité qu'il a de se porter acquéreur du local commercial (CA Douai, 28-03-2019, n° 17/03524).
Quoiqu’il en soit, tout propriétaire concerné ne doit pas oublier que la notification de son offre au locataire est soumise à un formalisme ad validitatem. Autrement dit, son contenu est réglementé et certaines mentions doivent obligatoirement apparaître, à peine de nullité de la notification. Ainsi devra-t-elle indiquer le prix de vente mais aussi les conditions de la vente. De surcroît, elle doit reproduire, à l’identique, l’ensemble des quatre premiers alinéas de l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
Cette notification par le bailleur devra impérativement indiquer le prix et les conditions de la vente et constitue une offre de vente au profit du locataire.
2ème étape : la réponse du locataire
Une fois que l’offre de vente a été régulièrement notifiée au locataire, la balle est entre les mains de ce dernier.
A compter de la réception de l’offre, il dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer. En clair, dans ce laps de temps, il doit se manifester pour dire s’il accepte l’offre ou s’il la refuse. Le texte ne dit rien sur l’éventuel silence du locataire mais l’on comprend aisément qu’en pareille hypothèse, son inertie vaudra refus de l’offre.
S’il accepte l’offre, le locataire doit faire en sorte que la vente se réalise dans un délai de deux mois (quatre mois s’il a précisé son intention de recourir à un prêt), à compter de la date d’envoi de sa réponse au propriétaire-bailleur.
Passés ces deux mois, si le locataire avait accepté l’offre mais que la vente définitive n’est pas réalisée, l’acceptation, frappée de déchéance, devient sans effet. En clair, le propriétaire est libéré, le droit de préemption du locataire purgé. Le local pourra donc, sans problème, être cédé à un tiers.
En revanche, il est une hypothèse dans laquelle le droit de préemption du local renaît. Il s’agit du cas dans lequel le propriétaire-bailleur décide de vendre le local à des conditions ou à un prix plus avantageux (ou les deux). Parce que le projet de vente prend une nouvelle tournure et se fonde sur des bases financières différentes potentiellement profitables au locataire, les deux étapes précitées doivent à nouveau être observée, dans les mêmes conditions. A défaut, toute vente plus avantageuse qui serait conclue avec un tiers, sans l’information préalable du locataire, serait frappée de nullité.
Toutes ces règles peuvent sembler, il est vrai, très techniques, trop techniques. Seulement, il faut garder à l’esprit qu’elles sont incontournables. Et pour cause, la Cour de cassation voit dans l’article L.145-46-1 du Code de commerce un texte d’ordre public (Cour de cassation, 3e Chambre civile 3, 28 juin 2018, n°17-14.605). En conséquence, nul ne saurait déroger à ces dispositions, ni même les amoindrir.
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