Lors d’une procédure judiciaire, la preuve a toute son importance et c’est elle qui va déterminer l’issue du procès (retrouvez mon article "La Justice : une affaire de preuve, plus que de vérité").
Toutefois, dans certains cas, les preuves classiques (photographies, constats d’huissier notamment) vont être insuffisantes pour que le Juge soit « éclairé » car il aura besoin de disposer d’un « avis technique ».
C’est le cas en matière immobilière (vice caché, malfaçons, infiltrations, etc) où la preuve va justifier l’intervention d’un expert dans le cadre d’une expertise laquelle pourra être « judiciaire » ou « amiable ».
Lorsque l’expertise est ordonnée par le juge (qui peut être notamment le juge des référés), on dit qu’elle est « judiciaire ».
A défaut d’être ordonnée par un Juge, elle est « amiable » (on parle d’ailleurs plus justement d’ « expertise officieuse » ou d’ « expertise privée »).
Une expertise amiable, à la différence d’une expertise judiciaire, est diligentée à la requête de ceux qui le souhaitent (souvent réalisée à l’initiative d’une assurance). En clair, elle est diligentée par les parties elles-mêmes, voire par une seule d’entre-elles (expertise unilatérale) et l’expert amiable est choisi par les parties (et non par le Juge).
Quelle est la portée d’une expertise amiable ? Quelle est la valeur probatoire de ce type d’expertise non-judiciaire ? Une expertise amiable peut-elle permettre, à elle seule, de gagner un procès ? Quid de la différence avec l'expertise judiciaire ?
Une valeur probatoire conditionnée au respect du principe du contradictoire
L’expert amiable, à la différence de l’expert judiciaire, n’est pas soumis au respect du contradictoire.
Il n’est donc pas obligé de convoquer la partie adverse, de lui demander ses observations ou encore ou de lui communiquer son rapport.
Et c’est là la première difficulté.
Lorsque les expertises amiables sont des expertises unilatérales c’est-à-dire en présence d’une seule des parties (par exemple en matière d’expertise de l’assurance en présence du seul assuré), il y a un risque pour que l’expertise amiable unilatérale soit considérée comme inopposable à la partie non appelée ou représentée
En effet, les opérations d’expertise impliquent que les parties au litige y soient appelées et que l’avocat en soit avisé.
Cette solution est logique au regard du principe du contradictoire et de celui d’« égalité des armes ».
A noter toutefois que le Juge pourra tenir compte d’une expertise non-contradictoire mais soumise à la libre discussion des parties.
En effet, en vertu du principe du contradictoire (article 16 du Code de procédure civile), le juge ne doit tenir compte que des pièces débattues contradictoirement.
A partir du moment où l’expertise a été régulièrement versée aux débats et soumise à la libre contradiction des parties, elle n’est donc pas inopposable.
En clair, l’expertise amiable non-contradictoire peut être « sauvée » et donc retenue par un Juge comme mode de preuve alors même que l’une des parties n’a pas pu participer aux opérations d’expertise à condition que le rapport d’expertise ait été communiqué aux parties dans le cadre de l’action judiciaire ultérieure et que, dans le respect du principe contradictoire, les autres parties aient ainsi eu l’occasion de prendre connaissance du rapport d’expertise amiable et le cas échéant de le contester.
Reste que des expertises non-contradictoires pourront être bien plus facilement contestées en Justice, ce qui sera plus délicat pour une expertise judiciaire.
Une preuve imparfaite
L’expertise amiable a une valeur probatoire qui reste imparfaite dans la mesure où si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties.
En effet, dans un arrêt en date du 28 septembre 2012, la Cour de cassation a précisé que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties :
« le juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d’autres éléments de preuve ». (Cass. ch. mixte 28-9-2012 no 11-18.710 PBRI : Bull. civ. ch. mixte no 2).
En cas de litige, le juge ne peut pas fonder sa décision exclusivement sur une expertise non-judiciaire réalisée par l’une des parties, même si la partie adverse a été régulièrement convoquée à l’expertise.
Un arrêt récent reprend ce principe, la Cour de cassation rappelant que le juge ne peut se fonder « exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée » (Civ. 3e, 14 mai 2020, n° 19-16.278).
En d’autres termes, l’expertise officieuse n’est qu’une preuve imparfaite qui doit être corroborée par un autre élément.
En conclusion, l’expertise amiable a une valeur probatoire moins importante que celle de l’expertise judiciaire.
Elle pourra être plus facilement contestée en Justice.
L’expertise amiable peut toutefois s’avérer moins longue et moins coûteuse que l’expertise judiciaire et peut avoir un intérêt dans le cadre de la recherche d’un accord amiable. A noter qu’elle est d’ailleurs obligatoire dans certaines matières (assurance dommages-ouvrage).
Reste qu’en pratique un rapport d’expertise judiciaire va bien souvent orienter directement la décision du Juge, ce qui ne sera pas nécessairement le cas de l’expertise amiable et ce qui nous amènera à privilégier l'expertise judiciaire laquelle obéit à des règles de procédure strictes (retrouvez mon article "Comment se déroule une expertise judiciaire ?")
Si vous avez des questions en lien avec mon article ou que vous souhaitez que je vous conseille ou vous défende dans un dossier, vous pouvez me contacter.
Pas de contribution, soyez le premier