Il y a deux ans, lorsque la crise sanitaire frappait et que le premier confinement venait d’être décrété, je me posais la question de savoir si cette pandémie allait condamner la justice[1].  

Aujourd’hui, le constat est sans appel.

L’état actuel de nos juridictions est à la hauteur des inquiétudes suscitées par les conséquences prévisibles de la crise sanitaire.

Du fait de l’arrêt du fonctionnement des juridictions pendant plusieurs mois, les stocks de dossiers se sont accumulés. Les juridictions qui étaient déjà surchargées, le sont donc encore plus.

Les délais d’audiencement atteignent des horizons particulièrement lointains.  

A titre d’exemples, en matière de droit du travail, les nouveaux dossiers déposés devant le conseil de prud’hommes de Nanterre ne seront pas audiencés avant 2025.

En matière familiale, alors qu’il est souvent question de fixer un droit de visite et d’hébergement pour permettre à un père ou à une mère de voir ses enfants ou de fixer une pension alimentaire, il faudra désormais attendre près d’un an avant de pouvoir rencontrer un juge aux affaires familiales.

Une tribune publiée par le Barreau des Hauts-de-Seine[2] illustre précisément la situation du pôle famille du Tribunal judiciaire de Nanterre :

  • Au pôle famille 1 : sur 10 cabinets JAF, 1 est vacant, 3 sont tenus par des magistrats à 80%, 1 est tenu par un magistrat à 50% et 2 cabinets dysfonctionnent en raison d’arrêts maladie.
  • Au pôle famille 2 : sur 3 magistrats, 1 est à 60%, 1 est à 20%. Le seul poste de greffier est vacant.
  • Au pôle famille 3 : sur 3 magistrats, 2 sont à 50%.
  • En divorce, le délai d’audiencement est supérieur à 12 mois.
  • Les  audiences sur assignation aux fins d’obtention d’une ordonnance d’orientation et sur les mesures provisoires se tiennent sur des créneaux uniques, contraignant justiciables et avocats à des attentes inutiles et indignes ;
  • En procédures écrites, les délais entre la clôture et la plaidoirie sont actuellement de 8 à 11 mois, ce qui n’est pas acceptable s’agissant d’un contentieux humain et donc évolutif.
  • Hors divorce, le délai d’audiencement des requêtes est de 12 à 15 mois.

 

Cette situation qui n’est malheureusement pas propre au Tribunal de Nanterre, engendre par ailleurs des réponses judiciaires parfois peu satisfaisantes : rédaction des décisions susceptible d’interprétation, omission de statuer ou simple erreur matérielle.

Mais alors, qui doit supporter le coût d’une justice défaillante, épuisée, vidée ?

Tous le savent, la récente augmentation du budget de la justice ne sera pas suffisante.

Les innombrables et incessantes réformes visant à réaliser des économies d’échelle ne seront pas suffisantes.

Elles sont d’ailleurs d’autant moins efficaces qu’elles ont pour effet de remettre en cause tous les savoirs, tous les acquis et créent des confusions chez l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire qui passent désormais leur temps à s’interroger, à vérifier, à chercher des réponses là où, parfois, il n’y en a pas.

Les lois, les décrets, les circulaires qui s’accumulent en des délais records sont rédigés à la va-vite, par des technocrates qui agissent sans concertation alors même qu’ils ignorent le fonctionnement d’une juridiction.

L’absence de moyens humain et matériel conjuguée à la cadence des réformes épuisent.

Fait unique, les magistrats et les greffiers, soutenus par les avocats, ont manifesté dans la rue le 15 décembre 2021 pour réclamer les moyens nécessaires à l’exercice de leur fonction.

Cette manifestation aurait pu être le moyen d’alerter les responsables politiques et l’opinion publique sur l’état déplorable des juridictions. Pourtant, la Justice demeure muette, on ne l’entend nulle part, pas même lors des débats en cette année d’élection présidentielle.

A l’heure où les idéologies les plus extrêmes portent leur voix au plus haut, la Justice, pilier de la démocratie, fait quant à elle figure de grande oubliée.

Face à ce constat à la fois triste et inquiétant, c’est finalement individuellement peut-être, que nous parviendrons à sauver notre institution, du moins à la ménager.

Cette responsabilité pèse sur tous les acteurs judiciaires, sur les avocats notamment mais aussi sur les justiciables.

En tant qu’avocat, il incombe, dès lors que cela est possible, d’accompagner les justiciables dans toutes les voies qui leur sont ouvertes et pas seulement dans la voie judiciaire.

Faut-il rappeler que depuis la loi du 8 février 1995, soit depuis plus de 27 ans, la justice est plurielle ?

Il existe en dehors des prétoires, une justice amiable qui s’incarne dans les modes alternatifs de règlement des litiges auxquels le code de procédure civile consacre un titre entier sous les articles 127 à 131-15.

La médiation fait partie de cette justice plurielle et est particulièrement efficace et satisfaisante.

Elle présente une réelle opportunité pour les parties qui veulent trouver elles-mêmes des solutions à leurs différends.

C’est également une opportunité pour les avocats qui peuvent s’y former pour proposer d’être eux-mêmes médiateurs, ou pour apprendre à accompagner leur client en médiation ou tout simplement pour les informer et les conseillers sur le processus de médiation.

Informer, conseiller, n’est-ce pas là le devoir des avocats ?

Surtout, faut-il rappeler que les avocats viennent d’obtenir l’apposition de la formule exécutoire sur l’acte d’avocat constatant une transaction ou un accord issu d’un mode amiable de résolution des différends ?

L’article 1568 du Code de procédure civile prévoit en effet que « Lorsque l’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative prend la forme d’un acte contresigné par les avocats de chacune des parties, cet acte peut être revêtu, à la demande d’une partie, de la formule exécutoire. La demande est formée par écrit, en double exemplaire, auprès du greffe de la juridiction du domicile du demandeur matériellement compétente pour connaître du contentieux de la matière dont relève l’accord. 

Le greffier n’appose la formule exécutoire qu’après avoir vérifié sa compétence et la nature de l’acte. »

 

Cela signifie que les accords trouvés en médiation par les parties, rédigés par leurs avocats, peuvent être dotés de la même force qu’une décision judiciaire sans même avoir à être soumis à un juge, simplement en envoyant au greffe du tribunal une demande écrite en double exemplaire.

Bien sûr, cela suppose que les avocats conseillent utilement leurs clients, les accompagne et acceptent de changer leurs pratiques professionnelles.

Cela suppose également que les parties en litige acceptent d’assumer la responsabilité de leurs propres choix et, ainsi, de se passer du glaive de la justice.

Être acteur de ses choix plutôt que d’attendre une solution imposée, n’est-ce pas une formidable opportunité ?

La médiation est une chance, une chance pour ceux qui parviendront à s’entendre, une chance pour l’institution judiciaire qui, saisie en dernier recours, pourra se concentrer sur les seules affaires insolubles et y apporter l’attention qu’elles méritent. 

 

Marie-Charlotte Lazzarotti,

Avocat au Barreau de Paris

Médiateur.

 

 

 


[1] https://www.lazzarotti-avocat.fr/covid-19-et-justice/

[2] https://matoque92.com/mon-espace-personnel/actualites/actualites/motion-du-conseil-de-l-ordre-du-7-avril-2022-degradation-dramatique-de-la-situation-du-pole-affaires-familiales-au-tribunal-judiciaire-de-nanterre.html