Lors des vendanges en Champagne au mois de septembre 2023, à Nesle-le-Repons (51), au sud-ouest de Reims, l'Inspection du travail a constaté que des travailleurs étaient logés dans des conditions insalubres (rapport circonstancié de 22 pages avec 92 photos - plusieurs ayant été diffusées lors de l'audience). 

Ces 57 travailleurs et travailleuses, pour la plupart originaires d'Afrique de l'Ouest (Mali, Sénégal, Mauritanie etc.), étaient en situation administrative irrégulière pour une majorité d’entre eux et sans ressources, en grande vulnérabilité.

Ces personnes avaient été recrutées en région parisienne, transportées en Champagne en car et hébergées dans des conditions indignes.

Ces personnes ont indiqué avoir travaillé à un rythme excessivement intense, en subissant des menaces, souvent jusqu'à 10 heures par jour, avec une courte pauses en milieu de journée, sans équipement de protection, avec trop peu d’eau (malgré la canicule) et de la nourriture en quantité insuffisante et en partie non consommable, transportées chaque jour sur les parcelles entassées dans des véhicules aveugles.  

La plupart de ces travailleurs et travailleuses n'ont reçu aucune rémunération, quelques-uns ayant perçu une rémunération dérisoire au regard des heures de travail accomplies. Ces personnes ont indiqué qu'un salaire de 80 euros par jour leur avait été promis (soit un salaire inférieur au Smic lors des faits).

Ces personnes ont déposé plainte.

À la suite des enquêtes menées par la Gendarmerie, des poursuites notamment pour traite des êtres humains (TEH) ont été engagées par le procureur de la République.

L’infraction de traite des êtres humains repose sur trois éléments :

  • une action en amont de l’exploitation : le recrutement, le transport et l’hébergement,
  • un moyen, notamment une promesse de rémunération ou d’avantage (manoeuvres dolosives),
  • une finalité : l’exploitation du travail dans des conditions de travail contraires à la dignité.

Selon le Code pénal (modifié par la LOI n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France),

La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger à des fins d'exploitation notamment dans l'une des circonstances suivantes :

- avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

- par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

- en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage.

L'exploitation est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité.

La traite des êtres humains est punie de 7 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende (Code pénal, article 225-4-1).

L'infraction prévue est punie de 10 ans d'emprisonnement et de 1 500 000 € d'amende lorsqu'elle est commise avec la circonstance supplémentaire : à l'égard de plusieurs personnes (Code pénal, Article 225-4-2).

Le procès s'est tenu le jeudi 19 juin de 9 h à 23 h, une audience de 14 h dans la sérénité.

Pour soutenir les victimes, la CGT, le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH) s'étaient constitués parties civiles. 

Le procureur de la République a requis à l'égard des prévenus pour l'infraction de traite des êtres humains : des peines d'emprisionnement (dont une partie ferme), des peines d'amende et notamment la dissolution de la société poursuivie, l'interdiction définitive de gérer toute société à l'égard de la gérante, des interdictions de séjour dans le département, des confiscations et la diffusion par presse de la condamnation.

 

Délibéré du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne le 21 juillet 2025. Condamnations prononcées. 

 

Action pénale.

 

Personnes physiques

Des peines de prison ferme pour les trois prévenus de l'infraction de traite des êtres humains (TEH).

 

Madame G.

Coupable de l’ensemble des faits reprochés notamment l'infraction de Traite des êtres humains (TEH).

Peines :

o 4 ans d’emprisonnement ferme dont 2 avec sursis simple, mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire

o 20 000 euros d’amende délictuelle

o Interdiction définitive de gérer toute société commerciale

o Confiscation d'une maison, où avaient été hébergés des travailleurs, avec exécution provisoire 

o Interdiction de détenir ou de porter une arme pendant 5 ans

 

Monsieur M.

Coupable de l'infraction de Traite des êtres humains (TEH).

Peines :

o 3 ans d’emprisonnement dont 2 assortis d’un sursis simple, pas d’aménagement ab initio

o 5 000 euros d’amende délictuelle

o Interdiction de séjour dans la Marne pendant 5 ans

o interdiction détenir ou porter arme 5 ans

o confiscation liquide au titre du produit de l’infraction

 

Monsieur C. 

Coupable de l'infraction de Traite des êtres humains (TEH).

Peines :

o 2 ans d’emprisonnement dont 1 avec sursis simple, pas d’aménagement ab initio

o 3000 euros d’amende délictuelle

o Interdiction de séjour dans la Marne pendant 5 ans

o Interdiction détenir ou porter arme 5 ans

 

Personnes morales 

SASU ANAVIM

Coupable de l’ensemble des faits reprochés, notamment l'infraction de Traite des êtres humains (TEH).

Peines :

o Dissolution de la société à titre de peine principale

o Diffusion décision par la presse nationale écrite et par tout moyen de communication au public par voie électronique à titre de peine complémentaire avec exécution provisoire

SARL LE CERSEUILLAT DE LA GRAVELLE

Coupable des faits reprochés, notamment l'infraction de travail dissimulé

Peines :

o 75 000 euros d’amende à titre de peine principale

o Diffusion décision par la presse nationale écrite ou par tout moyen de communication au public par voie électronique à titre de peine complémentaire avec exécution provisoire.

 

Action civile

Personnes physiques (les travailleurs)

57 victimes personnes physiques : condamnation solidaire de tous les prévenus (sauf la SARL CERSEUILLAT DE LA GRAVELLE) à verser à chaque victime 4 000 euros en réparation du préjudice moral

Personnes morales (associations, syndicats et autres) 

Associations

o LIGUE DES DROITS DE L'HOMME (LdH) : le tribunal condamne solidairement tous les prévenus à lui verser 1 000 euros préjudice moral + 1000 euros 475-1 CPP (frais exposés)

o COMITE CONTRE L'ESCLAVAGE MODERNE (CCEM) : condamne solidairement tous les prévenus à verser 1 000 euros préjudice intérêt collectif + 1 311 euros préjudice économique subi + 1000 euros 475-1 cpp

Syndicats

o CONFERERATION GENERALE DU TRAVAIL / UNION DEPARTEMENTALE CGT DE LA MARNE / FEDERATION NATIONALE AGRO-ALIMENTAIRE et FORESTIERE CGT :  condamne solidairement tous les prévenus à verser 1000 euros préjudice moral x3 (pour chaque pc) + 1 000 euros 475-1 cpp (pour les trois à la fois) ;

o INTERSYNDICAT CGT DES SALARIES DU CHAMPAGNE DE REIMS ET DE SA REGION DELIMITEE : condamne solidairement tous les prévenus à verser 1 000 euros + 1000 euros 475-1 cpp

Autres

o Mutualité Sociale Agricole (MSA) ILE DE FRANCE  : condamne solidairement ANAVIM + Mme G. à verser 315 137 euros préjudice économique + 1 000 euros 475-1 cpp

o COMITE INTERPROFESSIONNEL DE VIN DE CHAMPAGNE (CIVC) :  condamne solidairement tous les prévenus à verser 5 000 euros préjudice d’image + 1000 euros 475-1 cpp

 

À la suite de cette procédure pénale, l'action judiciaire va se poursuivre avec une procédure civile devant le Conseil de prud'hommes, engagée pour permettre aux travailleurs d'obtenir les salaires non perçus pour le travail effectué. 

 

Maître Michel Miné représentait la Ligue des droits de l'Homme, partie civile, aux côtés des travailleurs.

 

Cette affaire et son traitement judiciaire ont bénéficié d'une large couverture médiatique.

Illustrations : 

https://www.franceinfo.fr/faits-divers/justice-proces/vendanges-de-la-honte-en-champagne-des-peines-de-3-a-4-ans-de-prison-requis-contre-les-prevenus-accuses-notamment-de-traite-d-etres-humains_7324626.html 

https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/vendanges-les-nouveaux-esclaves-68051254.html