En droit des étrangers, la préfecture dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation des demandes de titres de séjour. Le préfet possède même la faculté de délivrer un titre de séjour à un étranger en situation irrégulière, en particulier en matière de régularisation, même lorsque les textes de lois ne lui enjoignent pas explicitement. Il n’empêche qu’il peut se tromper dans l’appréciation de la situation personnelle de l’étranger. Ce dernier, victime d’une erreur manifeste d’appréciation, doit alors saisir le juge qui remédiera à cette erreur.

I.- Le pouvoir discrétionnaire de la préfecture

Les dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) sont souvent rédigées dans des termes vagues et imprécis. Il appartient donc au préfet d’interpréter ces dispositions générales en se référant aux circulaires gouvernementales, dans le but de déterminer l’opportunité de régulariser un étranger en tenant compte, bien évidemment, l’ensemble des éléments caractérisant sa situation personnelle.

Néanmoins, il existe un fossé entre la théorie et la pratique. Dans la réalité, le préfet va davantage utiliser son pouvoir discrétionnaire pour refuser de délivrer des titres de séjour à des étrangers, alors même que ceux-ci se trouveraient en situation régulière et rempliraient les conditions d’octroi d’une carte de séjour (durée de vie en France, durée de travail, preuve de diplômes, mariage ou PACS, etc.). Il est fréquent que les agents de préfecture appréhendent la situation personnelle de l’étranger de façon subjective, puisqu’il n’y a pas de critères objectifs déterminés. Ils pourront ainsi user de ce pouvoir discrétionnaire pour refuser de délivrer un titre de séjour. La situation personnelle du demandeur est étudiée au regard des liens personnels et familiaux qu’il possède en France. Or, ces liens sont parfois difficiles à démontrer, et la préfecture profite largement de cette ambigüité lorsqu’elle examine les dossiers de demande d’un titre de séjour.

C’est pourquoi il est vivement conseiller aux étrangers, qui se rendre en préfecture pour déposer leur dossier, de se prémunir d’un maximum de pièces justificatives pour que la préfecture possède le plus d’éléments possibles pour examiner leur situation. Or, toutes les pièces variées ne se valent pas. Certaines sont plus importantes que d’autres. La préfecture opère souvent une hiérarchisation des preuves selon leur degré de fiabilité. Du plus important au moins important, on retrouve la classification suivante :

1. Les documents émanant de l’administration (préfecture, mairie, établissement scolaire, URSSAF, service des impôts, etc.) ;

2. Les documents émanant des organismes privés (relevés bancaires, fiches de paie, certificats médicaux, factures gaz/électricité/téléphone, etc.) ;

3. Les documents personnels (attestation d’un proche, diplômes, contrat de location, etc.).

Réunir tous ces documents est certes une tâche fastidieuse, mais nécessaire. En effet, en cas de refus, il sera plus facile pour l’étranger ou son conseil de rédiger un recours  (hiérarchique ou judiciaire) contre la décision du préfet, et surtout pour réfuter chaque argument grâce à ces mêmes pièces qui prouveront l’intégration du demandeur dans la société française.

II.- Le recours pour excès de pouvoir

L’exercice du pouvoir discrétionnaire d’appréciation du préfet est soumis contrôle du juge administratif qui va déterminer si le préfet s’est trompé dans l’appréciation de la situation personnelle de l’étranger. Le juge peut déceler plusieurs types d’erreurs :

1. L’erreur manifeste d’appréciation est caractérisée lorsque la préfecture se trompe dans l’interprétation de la réglementation légale applicable aux étrangers.

2. Le préfet commet une erreur de fait lorsque sa décision de refus se fonde sur l’absence d’une pièce justificative, alors même que l’étranger a fourni cette pièce lors du dépôt du dossier à la préfecture. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que la constitution du dossier par un avocat serait judicieuse, puisque ce dernier pour insérer dans le dossier une liste des pièces communiquées, validée et tamponnée à l’aide du cachet de l’avocat.

3. L’erreur de droit (ou violation de la loi) est moins fréquente, mais se produit lorsque la préfecture n’a pas appliqué le bon texte de loi, ou aurait mal compris son contenu.

Si le juge administratif relève l’une de ces trois erreurs, il imposera à la préfecture de délivrer un titre de séjour au demandeur concerné.

III.- L’exercice d’un recours contre le refus implicite de titre de séjour

Nombreux sont les étrangers qui attendent une réponse à la demande de titre de séjour qu’ils ont déposée à la préfecture depuis des mois, voire plusieurs années. Il est vrai que les préfectures sont débordées, particulièrement en région parisienne. Mais cette situation n’est pas la seule raison du silence de la préfecture. Il s’agit en réalité d’une excuse pour cacher la volonté politique de réguler les flux migratoires en France. Ainsi, des milliers de dossiers restent en attente de traitement, la préfecture n’ayant pris aucune décision d’acceptation ou de refus. Au guichet, les agents de préfecture diront au demandeur d’écrire des courriers de relances, en sachant que ceux-ci resteront désespérément sans réponse.

Il existe toutefois des moyens de contraindre la préfecture à répondre. En effet, sachant que le silence de la préfecture durant un délai de quatre mois après le dépôt du dossier vaut décision implicite de refus, le demandeur pourra, passé ce délai, faire un recours gracieux auprès du préfet. La démarche consiste à écrire un courrier au préfet, par lettre recommandée avec accusée de réception, afin de lui demander la communication de la motivation de la décision implicite née du silence de la préfecture, conformément à l’article 5 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public. Le préfet disposera alors d’un délai d’un mois à compter de la réception du courrier recommandé pour répondre à la demande de transmission des motifs. Bien souvent, le préfet ne répondra pas dans le délai imparti, ce qui entraînera l’illégalité de la décision implicite de refus. Cette illégalité ouvrira alors la voie au recours pour excès de pouvoir par le biais duquel il sera possible de demander au juge soit d’obliger le préfet à réexaminer la situation du demandeur dans un délai déterminé (souvent trois mois), soit l’obliger à délivrer directement au demandeur un titre de séjour.

IV.- L’exercice d’un recours contre le dysfonctionnement du service public

Le principe de continuité du service public a été reconnu par le Conseil d’Etat comme un principe fondamental. C’est dans ce cadre que l’Etat a mis en place, en 2011, un nouveau système de prise de rendez-vous par Internet pour certaines demandes de titre de séjour. Cette nouvelle organisation visait à limiter les déplacements en préfecture pour désengorger le service des étrangers dans les préfectures. Le résultat est que les prises de rendez-vous par Internet s’avèrent extrêmement difficiles, voire impossibles, car le calendrier s’affiche toujours complet. Il est donc assez rare de réussir à trouver une plage horaire disponible, quelle que soit l’heure de la journée ou du soir.

En outre, les préfectures précisent sur leur site que « si aucune date ne vous est proposée, il est inutile de contacter la préfecture par téléphone ou par mail, des plages horaires sont ajoutées régulièrement. Merci de votre compréhension ».

Le fait de ne pas proposer aux demandeurs de rendez-vous constitue une violation du principe de continuité du service public, qui est une obligation inhérente à la préfecture. Cela revient, ni plus ni moins, à une interdiction d’accès à la préfecture.

Ce dysfonctionnement de la préfecture, en tant que service public, est constitutive d’une faute au regard de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui consacre le principe de bonne administration : « Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union ».

Lorsque la faute résulte d’une défaillance dans l’organisation ou le fonctionnement normal du service public, la préfecture peut voir sa responsabilité engagée, dès lorsqu’elle a l’obligation d’administrer d’une façon vigilante, impartiale et équitable.

A noter que des cas de responsabilité sans faute se sont développés dans la jurisprudence. Ainsi, l’administration est tenue responsable lorsqu’elle créée un risque, alors même qu’aucune faute de l’administration n’est démontrée. C’est le cas en l’absence de réponse concernant une demande de titre de séjour. Durant la période où l’étranger n’a pas de prise de rendez-vous, il ne possède aucune assurance de pouvoir rester sur le territoire français. L’absence de rendez-vous en préfecture créée donc un risque pour l’étranger qui peut être renvoyé à tout moment dans son pays d’origine. La préfecture est dès lors responsable pour le risque créé en raison du dysfonctionnement du service public.

Les tribunaux indemnisent la perte de chance de pouvoir déposer un dossier de demande de titre de séjour. Dans les faits, il est assez rare qu’un étranger demande la réparation du préjudice subi en cas de refus illégal ou dysfonctionnement du service public, car il estime le plus souvent que le dommage est réparé par la délivrance du titre.

En tout état de cause, l’étranger ne doit jamais hésiter à exercer un recours explicite ou implicite de refus de délivrance d’un titre de séjour.

Notre Cabinet se tient à votre disposition pour étudier votre dossier et accomplir toutes les diligences nécessaires, moyennant une rémunération forfaitaire convenue d'avance.

 

Maître Mourad MEDJNAH

Avocat à la Cour d'appel de Paris

Docteur en droit

Cabinet d'avocat Medjnah

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