Même s’ils ont été accomplis dans le respect des dispositions en vigueur, les actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle peuvent faire l’objet d’une action en nullité pour insanité d’esprit.

La Cour de cassation chambre civile 1re du 15 janvier 2020, F-P+B+I, n° 18-26.683 a rendu une décision dans laquelle elle estime que « Le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit ».

Les régimes de la curatelle et de la tutelle concernent des personnes ayant besoin d’être protégées « d’une manière continue », à la différence de la sauvegarde de justice.

Le principe de subsidiarité entre les régimes de protection judiciaire est réaffirmé. Le juge ne peut prononcer une mesure qu’après avoir vérifié qu’une autre mesure moins contraignante n’apporterait pas une protection suffisante (Code civil article 428).

Ainsi, une curatelle ne peut être mise en place que si la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante. Ce qui est le cas, par exemple, dans une affaire où les éléments médicaux (psychose chronique, délire, déni, etc.) établissent que la personne a toujours besoin d’être conseillée ou contrôlée dans les actes de la vie civile. Par ces différents éléments, le tribunal caractérise la nécessité d’une protection continue et l’insuffisance d’une mesure de sauvegarde nécessairement temporaire (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 9 février 2011, n° 10-10.193).

Peut être placée en curatelle la personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin, du fait de l’altération de ses facultés mentales ou de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté, d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile. Ce régime ne concerne que les « actes importants de la vie civile » et non « les actes de la vie civile », ce qui limite la liste des actes que peut accomplir le curateur (Code civil, article 440).

Les deux conditions doivent être réunies pour l’ouverture de la curatelle (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 24 octobre 1995, n° 93-21.590). Il ne suffit pas de constater une altération des facultés mentales ou corporelles, il faut rechercher si l’intéressé a besoin d’être assisté ou contrôlé dans les actes importants de la vie civile. Ce qui caractérise la curatelle est ce besoin d’assistance, par opposition à la tutelle qui nécessite un besoin de représentation continue (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 20 septembre 2006, n° 05-16.891). Ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement si les deux conditions sont réunies (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 12 février 1998, n° 96-19.083).

Le simple constat fait par les juges qu’il résulte du rapport d’expertise que l’état de santé du majeur nécessite une mesure de curatelle n’est pas suffisant ; ils doivent rechercher si une altération des facultés mentales a été constatée par le médecin ou si l’altération de ses facultés corporelles empêchait le majeur d’exprimer sa volonté (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 21 septembre 2005, n° 03-10.922). De même, pour confirmer le placement en curatelle, le juge doit préciser si l’altération des facultés corporelles de la personne empêche l’expression de sa volonté et si l’altération de ses facultés mentales, non invoquée devant le premier juge, avait été constatée par un médecin spécialiste (Cour de cassation, Chambre civile 1re 3 janvier 2006, n° 02-19.537, n° 34 F - P + B). Le juge ne peut se contenter de produire des éléments médicaux (atteinte psychopathologique de la personnalité, psychorigidité, etc.) pour justifier que l’intéressé relève d’une curatelle renforcée. Il doit en outre caractériser la nécessité pour celui-ci d’être assisté ou contrôlé d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile (Cour de cassation, Chambre civile 1re 9 novembre 2016, n° 15-27.061). Lorsque le juge est saisi par la personne protégée d’une demande de mainlevée de la curatelle, il doit constater, à la date à laquelle il statue, la persistance de l’altération des facultés mentales de la personne et la nécessité pour celle-ci d’être assistée et contrôlée dans l’accomplissement des actes importants de la vie civile. Il ne peut seulement se référer à la décision du juge des tutelles ayant placé la personne sous curatelle sans examiner si aucun élément nouveau intervenu depuis son jugement ne justifiait la levée de la mesure (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1re 11 mai 2016, n° 15-21.241).

Le fait d’être adepte d’une secte ne caractérise pas une altération des facultés mentales justifiant une mise sous curatelle (Cour de cassation, Chambre civile 1re 2 octobre 2001, n° 99-15.577, n° 1430 FS - P + B). L’altération des facultés physiques qui n’empêche pas l’expression de la volonté ne justifie pas l’ouverture de la curatelle (Cour de cassation, Chambre civile 1re 14 décembre 1976 : JCP 1977). Ainsi, une personne mal voyante, qui se déplace en fauteuil, ne peut être placée sous curatelle que si l’altération de ses facultés corporelles l’empêche d’exprimer sa volonté, ce que doivent établir les juges (Cour de cassation, Chambre civile 1re 30 septembre 2009, n° 09-10.127).

Par contre, le placement en curatelle est justifié dès lors qu’il est établi que la personne protégée souffre d’une altération de ses facultés nécessitant qu’elle soit assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile. Tel est le cas lorsque :

La personne présente une psychose chronique ne permettant pas de lui laisser la libre gestion de son capital (Cour de cassation, Chambre civile 1re 9 février 2011, n° 10-10.193) ;

La personne qui a interrompu tout suivi médical psychiatrique paraît toujours délirante, ses propos révélant une confusion manifeste dans l’élaboration de sa pensée, et est très perturbée lorsqu’elle reçoit des documents relatifs à la gestion de son budget (Cour de cassation, Chambre civile 1re 23 mars 2011, n° 10-10.991) ;

Les différents rapports médicaux et auditions attestent que la santé mentale de la personne reste précaire, les troubles ayant conduit à son hospitalisation d’office et à sa mise sous protection judiciaire étant persistants (Cour de cassation, Chambre civile 1re 23 novembre 2011, n° 10-26.249) ;

La personne présente, selon le certificat médical du médecin inscrit, une « immaturité et un niveau intellectuel dans les limites inférieures de la normale », et fait preuve d’un « certain entêtement pouvant prendre l’apparence de traits paranoïaques, avec une difficulté à remettre en question les positions antérieures, une affirmation de soi malgré les difficultés et une méconnaissance de sa problématique personnelle ». Et que, en outre, eu égard à son état de santé, l’instauration d’une mesure de sauvegarde de justice est insuffisante (Cour de cassation, Chambre civile 1re 14 mai 2014, n° 13-14.691).

La nullité pour insanité d’esprit est plus fréquemment invoquée à l’encontre des testaments : les héritiers contestent volontiers le testament qui leur nuit et, devant un acte tout à la fois unilatéral et à cause de mort, le testateur est spécialement vulnérable. On pourrait penser en revanche que la présence du notaire et le dépouillement immédiat qui accompagne la donation préservent suffisamment le donateur pour exclure ce contentieux. Pourtant, l’insanité d’esprit n’épargne pas les actes entre vifs : la nullité a ainsi été admise contre des donations par acte notarié et même contre une donation par contrat de mariage ainsi qu’une donation entre époux. De façon moins inattendue, elle l’a été plus fréquemment à l’encontre de donations déguisées, ou de dons manuels.

En outre, le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit

 

  1. La cosignature du curateur n’exclut pas l’action en nullité pour insanité d’esprit du protégé

 

  1. Faits et Procédures

La personne sous curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte, qui en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille. Lors de la conclusion d’un acte écrit, l’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée (Code civil, article 467).

La nullité de l’acte peut-elle être demandée pour insanité d’esprit du curatélaire alors que l’assistance du curateur n’a pas fait défaut ?

La Cour de cassation répond positivement à cette question aux termes d’un arrêt publié du 15 janvier 2020.

Les faits étaient les suivants. M. X, ayant souscrit une assurance-vie le 12 février 2005, signa, le 17 juin 2010, un premier avenant modifiant la clause bénéficiaire. Par décision du 9 novembre 2010, il fut placé sous curatelle simple, puis par décision du 8 janvier 2012, sous curatelle renforcée. Le 15 septembre 2014, avec l’assistance de son curateur, il signa un second avenant modificatif.

À la suite de son décès survenu le 28 décembre 2014, sa veuve agit en nullité pour insanité d’esprit du premier avenant. Le tribunal prononça sa nullité et déclara valable celui du 15 septembre 2014. La veuve sollicita alors l’annulation de ce second avenant.

La cour d’appel rejeta sa demande, retenant que la demande ayant été faite par l’intermédiaire du curateur qui l’avait datée et signée, il appartenait à ce dernier de s’assurer tant de la volonté de son protégé que de l’adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts.

La haute juridiction casse l’arrêt et décide que le respect des obligations relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit.

En application de ces fondements, la jurisprudence a déjà considéré que l’autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d’un majeur protégé ne fait pas obstacle à l’action en annulation, pour insanité d’esprit, de l’acte passé par celui-ci (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 octobre 2010, 09-13.635).   

 

  1. La position et portée de l’arrêt de la Haute Cour

En l’espèce, la position de la première Chambre civile, rendue au triple visa des articles 414-1, 414-2, 3° et 466 du Code civil est donc logique. Elle repose sur deux évidences complémentaires. Primo, le respect des règles de capacité ne protège pas contre le risque d’annulation de l’acte pour insanité d’esprit (Cour de cassation 1re chambre civile du 27 juin 2018, n° 17-20.428). Secundo, le placement sous le régime de la curatelle ne fait pas à lui seul présumer le trouble mental.

Enfin, cet arrêt est indirectement l’occasion de se souvenir d’une différence essentielle entre l’insanité d’esprit, visée par l’article 414-1 du Code civil et l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, incriminée par l’article 223-15-2 du Code pénal. En effet, pour être caractérisée, cette infraction ne nécessite pas d’apporter la preuve d’une altération des facultés mentales (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 juillet 2017, 17-80.421).

 

 

 

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< >Nullité des actes juridiques pour insanité d’esprit 

 

 

 

< >Nullité des actes pour insanité d’esprit 

 

< >Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit.l’acte peut justifier la nullité de l’acte. C’est à ceux qui agissent en nullité de prouver l’existence de ce trouble mental (Code civil, article 414-1). Toute la difficulté réside donc dans la preuve de l’altération des facultés mentales.

 

Les juges apprécient souverainement cette altération. Le trouble mental dont la preuve doit être rapportée doit exister au moment précis où l’acte a été fait (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 2 décembre 1992, 91-11.428). Il ne suffit pas de prouver que le trouble existait avant et après l’acte litigieux. La preuve de l’existence du trouble mental peut être apportée par tous moyens. Lorsque le requérant apporte des éléments pour prouver l’altération de ses facultés personnelles au moment où les actes ont été passés, il appartient aux juges du fond de répondre à ses conclusions. À défaut, l’arrêt d’appel est annulé (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 mai 2015).   

L’action en nullité se prescrit par le délai de 5 ans prévu à l’article 2224 du Code civil. Mais ce délai est suspendu dès que la personne n’est plus en mesure de contester la validité d’actes juridiques. Tel est le cas d’une personne reconnue médicalement atteinte d’un trouble mental depuis 1979 qui a conclu une convention de bail en septembre 1980, avant son placement sous tutelle le 2 mars 1993. Pour la Cour de cassation, l’intéressée était dans l’impossibilité d’agir en justice dès la date de conclusion de cette convention, jusqu’à son placement sous tutelle. En conséquence, la prescription quinquennale avait été suspendue pendant cette période (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 1er juillet 2009, 08-13.518).

La prescription de l’action en nullité d’un acte à titre gratuit pour insanité d’esprit engagée par les héritiers ne peut commencer à courir avant le décès du disposant (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 29 janvier 2014, 12-35.341).

Du vivant de la personne, l’action en nullité ne peut être exercée que par elle. La personne qui a contracté avec le majeur ne peut demander la nullité de l’acte.

 

< >Décès de l’auteur de l’acte : action pour insanité d’esprit exercée par les héritiersCour de cassation 1re chambre civile du 20 juin 2012, n° 10-21.808). Cette solution, fondée sur les anciens articles 489 et 489-1 du Code civil, reste valable, ces dispositions ayant été reprises par les articles 414-1 à 414-3 du même Code.

 

 

< >Nullité pour insanité d’esprit : éléments de jurisprudenceune action en nullité pour insanité d’esprit à l’encontre d’un acte passé par la personne protégée alors que celle-ci était déjà placée sous protection. En l’espèce, 3 mois avant son décès, une personne sous curatelle renforcée avait vendu par acte sous seing privé, avec l’assistance de sa curatrice, un bien immobilier. La Cour d’appel prononce la nullité de l’acte de vente, l’héritière ayant soulevé une exception de nullité pour insanité d’esprit. Le pouvoir en cassation exercé par l’acheteur est rejeté.

 

Il résulte de la combinaison des articles 414-2, 3° et 466 du Code civil que, dès lors qu’une action a été introduite afin d’ouvrir une curatelle ou une tutelle au profit d’un contractant, les héritiers peuvent agir en nullité pour insanité d’esprit, « que cette action ait ou non été menée à son terme ». Si elle a été menée à son terme, ils peuvent agir « nonobstant le respect des règles régissant les actes passés sous un régime de tutelle ou de curatelle ». En l’espèce, la venderesse était placée sous curatelle renforcée au moment de l’acte de vente litigieux. Les juges du fond en ont exactement déduit que sa petite-fille, en sa qualité d’héritière, était recevable à agir en nullité de cet acte sans qu’il soit nécessaire d’établir la preuve d’un trouble mental résultant de l’acte lui-même (Cour de cassation 1re chambre civile du 27 juin 2018, n° 17-20.428, n° 619 FS - P + B).

 

< >https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041490378&fastReqId=1530695861&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000033564537&fastReqId=639687281&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037196489&fastReqId=1601801017&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022945504&fastReqId=535870208&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000035192645&fastReqId=1471537140&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007030056&fastReqId=580482180&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030654762&fastReqId=1679547489&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000020822206&fastReqId=1112305469&fastPos=1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028547449&fastReqId=1823738270&fastPos=1