Il s’agit d’un acte de donation par lequel l’instituant promet à son conjoint, l’institué, de lui laisser à sa mort tout ou partie de sa succession (Code civil, articles 1091 à 1100). La promesse porte aussi bien sur des biens actuels dont la propriété se trouve immédiatement transférée (un fonds de commerce ou de clientèle, des titres de société, etc.) que des biens à venir (dividendes futurs, etc.) au décès de l’instituant.

Parce qu’elle permet de disposer de biens à venir, la donation au dernier vivant est un des rares cas de pacte sur succession future, avec la donation - partage, légalement institué et autorisé par la loi par exception à la règle commune de l’interdiction des pactes sur succession future édictée par l’article 1130 du Code civil, devenu l’article 1163.

La donation au dernier vivant n’est ni automatique ni de droit. Elle est soumise à la seule bonne volonté du disposant. Elle est recueillie par un acte authentique au cours du mariage (révocable) ou dans le contrat de mariage (irrévocable sauf exception).

Elle permet au conjoint survivant de recueillir, au décès du disposant, une fraction plus substantielle du patrimoine du disposant, en usufruit et/ou en nue-propriété, que la quotité disponible légale (Code civil, article 767) : la quotité disponible entre époux.

La quotité disponible entre époux varie en fonction de la présence ou non d’enfants, de descendants, soit légitimes, issus ou non du mariage, soit naturels de l’instituant (Code civil, article 1094 et s.).

Le conjoint a la faculté de choisir au décès de l’instituant l’option qui lui sera la plus favorable étant précisé qu’il peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur dont l’entreprise ou des droits sociaux (Code civil, article 1094-1, al. 2).

Il n’est pas possible d’agir en complément de part pour cause de lésion contre les donations-partages et les testaments-partage (Code civil, article 1075-3 réd. L. n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 22).

 

  1. Caractéristique de la donation au dernier vivant

Les donations au dernier vivant présentent la caractéristique d’être librement révocables (Code civil, art. 1096, al. 1). La révocabilité est dite ad nutum, c’est-à-dire que le donateur peut révoquer la donation à tout moment sans motif légitime. Il ne peut pas renoncer à son droit de révocation, qui est d’ordre public.

La forme de la révocation est libre ; la révocation peut être expresse, par acte notarié ou testament. Elle peut également être tacite, et résulter par exemple de l’aliénation du bien objet de la donation au dernier vivant ou de l’incompatibilité des dispositions contenues dans la donation avec celles d’un testament postérieur ou de tout fait ou acte du donateur qui indique d’une manière non équivoque son intention de révoquer la donation. Par exemple, le donateur a fait au profit de son second conjoint une nouvelle donation au dernier vivant portant sur les mêmes biens. Face à ces situations, le juge a un pouvoir souverain pour apprécier si la donation a été ou non tacitement révoquée.

Les donations de biens à venir consenties depuis le 1er janvier 2005 sont révoquées de plein droit par le divorce du donateur. Toutefois, l’époux qui a consenti la donation peut renoncer à la révocation automatique (ce qui est franchement déconseillé) ; il doit alors faire constater sa volonté par le juge au moment du divorce (Code civil, art. 265, al. 2).

Une donation au dernier vivant peut être assortie d’une condition dont l’inexécution entraînera la révocation de la donation. Est notamment valable la stipulation que la donation ne produira pas d’effet en cas de divorce, de séparation de corps ou s’il existe une instance en divorce ou séparation de corps en cours au moment du décès.

La donation de biens à venir est une disposition à cause de mort assimilée à un legs. Il en résulte les conséquences suivantes au décès du donateur :

-  le conjoint dispose, comme un héritier, de l’option successorale : il peut accepter purement et simplement, à concurrence de l’actif net ou renoncer à la libéralité. Sauf stipulation contraire de la donation, il peut comme un légataire cantonner son émolument ;

-  la donation obéit aux règles d’imputation et de réduction des libéralités testamentaires : imputation après les donations et concurremment avec les legs.

 

  1. Pourquoi faire une donation au dernier vivant ?

Bien que les droits successoraux du conjoint héritier ne soient pas négligeables, une libéralité entre époux permet dans la majorité des cas d’augmenter les droits de son conjoint.

Avant d’évoquer les différentes situations susceptibles de se présenter, il faut signaler que le conjoint survivant ne peut pas cumuler ses droits légaux avec ceux qu’il retire d’une disposition de dernières volontés.

Une donation au dernier vivant ne peut pas avoir pour objet de restreindre les droits du conjoint survivant. Si un époux veut retirer à son conjoint certain des droits que la loi lui accorde, c’est par la voie du testament qu’il lui faut procéder. Il en est ainsi à notre avis même dans le cas où les droits retirés sont compensés par d’autres droits et où, de ce fait, l’acte est globalement protecteur du conjoint (cas, par exemple, de l’époux qui a des enfants d’un précédent mariage et veut octroyer à son conjoint des droits en usufruit, à l’exclusion du quart en pleine propriété prévu par la loi).

 

  1. Intérêt d’une donation au dernier vivant en présence de descendants

 

Par rapport aux droits que le conjoint tirerait de la loi, une libéralité entre époux présente les avantages suivants :

-  elle permet à l’époux qui a des enfants d’un autre lit de laisser à son conjoint l’usufruit de toute sa succession, ce que la loi ne prévoit que lorsque tous les enfants sont communs ;

-  s’il y a moins de trois enfants, elle offre au conjoint survivant une quotité en pleine propriété supérieure à celle prévue par la loi, qui est fixée à un quart quel que soit le nombre d’enfants : le conjoint qui opte pour la quotité disponible ordinaire recueille la moitié de la succession s’il n’y a qu’un enfant et les deux tiers s’il y a deux enfants ;

-  elle permet de cumuler des droits en propriété et des droits en usufruit, ce que la loi ne prévoit pas ;

-  sauf indication contraire de l’acte, elle offre au conjoint survivant le choix entre les trois quotités autorisées. Par comparaison, la loi n’offre de choix au conjoint qu’en présence d’enfants communs, et encore cette option est-elle réduite à deux branches (usufruit du tout ou propriété du quart) ;

-  toujours sauf indication contraire de l’acte, elle permet au conjoint survivant de cantonner son émolument à certains biens dont il a été disposé en sa faveur.

 

  1. Intérêt d’une donation au dernier vivant en l’absence de descendants

En l’absence de descendants et en présence des père et/ou mère, une libéralité entre époux permet de déshériter les ascendants pour laisser l’intégralité de la succession à son conjoint. Ajoutons toutefois que la libéralité au profit du conjoint ne peut à notre avis faire obstacle au droit de retour institué au profit des père et mère par la loi du 23 juin 2006 en compensation de la suppression de leur droit à réserve.

Les personnes qui ne laissent ni descendants ni ascendants n’ont guère de raison de faire une donation au dernier vivant : leur conjoint hérite de la totalité de leur succession par le seul effet de la loi. La libéralité peut toutefois présenter un intérêt résiduel : s’il existe des biens de famille, la donation au dernier vivant permet de faire obstacle au droit de retour des frères et sœurs, le conjoint recevant la pleine propriété de l’intégralité des biens.

 

  1. Protection des héritiers réservataires

La réserve héréditaire est une fraction de la succession dont la loi organise impérativement la dévolution au profit des héritiers qui en sont les bénéficiaires : elle consiste en une limite à la liberté de disposition à titre gratuit du de cujus. En présence de réservataires, la succession se divise ainsi en deux fractions distinctes : la réserve héréditaire dont la loi interdit de disposer à leur préjudice et la quotité disponible dont il peut être librement disposé au profit de quiconque par voie de libéralités.

L’article 912 du Code civil dispose ainsi que : « La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ». Ainsi conçue, la réserve héréditaire remplit une double fonction de protection de la proche famille contre les libéralités que le de cujus peut vouloir faire à des étrangers au premier cercle familial et de protection individuelle de ses bénéficiaires entre lesquels elle garantit le respect d’une égalité successorale minimale.

Des mesures spécifiques protègent les descendants contre les libéralités effectuées au profit du conjoint survivant.

D’abord, le Code civil permet aux enfants non communs, si la libéralité au profit du conjoint est faite en pleine propriété, de substituer à l’exécution de cette libéralité l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’ils auraient recueillie en l’absence de conjoint survivant (Code civil, art. 1098). Recevant alors des droits en nue-propriété dans la succession de leur auteur, ils deviendront pleins propriétaires au décès du conjoint survivant usufruitier. N’étant pas d’ordre public, ce droit à réclamer un usufruit forcé du conjoint peut être écarté par la volonté contraire du disposant. Une telle stipulation permettra d’éviter un démembrement de propriété entre le conjoint et les enfants du lit précédent.

Indépendamment de cette mesure spécifique, les enfants peuvent demander dans les conditions de droit commun la réduction des libéralités faites au conjoint et qui empiéteraient sur leur réserve, sauf à ce qu’ils aient renoncé par avance à l’exercice de l’action en réduction.

 

  1. Une solution alternative : le testament

Contrairement à la donation au dernier vivant, le testament n’est pas spécifiquement destiné à la protection du conjoint, et peut d’ailleurs être utilisé aux fins d’exhérédation du conjoint soit partiellement si le conjoint est réservataire, soit totalement dans le cas contraire.

Cependant, pour celui qui souhaite avantager son conjoint, les deux actes peuvent remplir le même objet et produisent les mêmes effets :

-  le maximum qui peut être laissé au conjoint reste la quotité disponible spéciale entre époux, avec les mêmes options et la même faculté de cantonnement pour le conjoint survivant ;

-  si l’époux a fait de nombreuses donations de son vivant, le risque de réduction pour atteinte à la réserve est le même, puisque les règles d’imputation et de réduction sont dans les deux cas celles des dispositions testamentaires ;

-  la date d’effet de la donation au dernier vivant est celle du décès de son auteur, comme celle du legs fait par testament ;

-  la révocation de l’acte est possible dans les deux cas jusqu’à la mort de son auteur.

Il n’y a donc pas de raison particulière de privilégier l’un des actes par rapport à l’autre. Tout au plus peut-on observer que la pratique notariale conseille aux époux de faire une donation au dernier vivant, acte obligatoirement notarié et qui est généralement établi de façon réciproque entre les conjoints.

 

SOURCES :