Au contraire de certains droits étrangers qui admettent de tels pactes, le droit civil français a toujours manifesté son hostilité à la faculté de disposer, par contrat, de droits relatifs à une succession non encore ouverte. C'est, donc, l'impossibilité de la succession contractuelle en droit français. Cette hostilité, qui est une constante du droit français, s'est traduite par la prohibition des pactes sur succession future énoncée à l'article 722 du Code civil (Cour de cassation 1ère chambre civile, 22 oct. 2014, no 13-23657).

La protection de la liberté testamentaire est le meilleur fondement théorique de la prohibition des pactes sur succession future. C'est du moins la seule justification qui demeure "pertinente" (M. Grimaldi, Droit civil. Successions, préc., n° 341) pour interdire les pactes sur sa propre succession. À la Cour de cassation, des magistrats du parquet et du siège, se sont fait l'écho de cette doctrine majoritaire. Citons d'abord, les conclusions de l'avocat général R. Lindon (Avis ss Cass., ch. mixte, 27 nov. 1970 : Defrénois 1971, art. 29786, p. 94 à 102, spécialement p. 98) : "Pourquoi ce code interdit-il de tels pactes ?

Parce qu'il ne veut pas qu'une personne se dépouille du droit de disposer de ses biens par testament. Elle peut faire une donation, oui, mais elle ne peut se lier de telle sorte que, sans donner un bien, elle s'interdise d'en disposer dans ses dernières volontés". Puis, dans un arrêt de rejet, la Cour de cassation a justifié l'illicéité d'une reconnaissance de dette "dans le cadre d'un contrat dont le caractère irrévocable porte atteinte à la liberté de tester" (Cour de cassation, 1re chambre civile du 6 février 1996, n° 94-13.072 : JurisData n° 1996-000395 ; Bull. civ. 1996, I, n° 67 ; D. 1997, jurispr. p. 369, I. Najjar, et somm. p. 368, obs. M. Grimaldi ; RTD civ. 1996, p. 679, obs. J. Patarin).

 

  • Principes applicables avant le 1er janvier 2007

On ne peut faire aucune stipulation sur une succession non ouverte, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s’agit (Code civil, article 1163). Cette interdiction souvent critiquée limitait la possibilité des arrangements de famille. Ainsi une vente prévoyant un prix payable sur 10 ans constitue-t-elle un pacte sur succession future si le contrat prévoit qu’en cas du décès du vendeur avant ce délai l’acquéreur sera libéré du règlement des annuités non encore échues. De même, est annulable sur le fondement de l’article 1130 du Code civil la vente d’un bien non encore donné et pour lequel le donateur ne voulait pas renoncer à son usufruit, dès lors qu’aucune clause n’en différait la réalisation jusqu’au décès.

Le législateur apportait à cette règle un certain nombre d’exceptions et la jurisprudence en tempérait la rigueur. Ainsi un époux peut-il, par contrat de mariage, obliger ses héritiers à consentir un bail à son conjoint survivant.

De même, une convention est reconnue valable lorsque le décès constitue un terme et non une condition. Il en a ainsi été décidé en matière de ventes ou de reconnaissance de dette.

Enfin la convention intervenant entre les bénéficiaires d’un don manuel et fixant les modalités du rapport ne constitue qu’une modification licite des règles du rapport et non un pacte prohibé ; de même un protocole portant reconnaissance de dations en paiement d’une créance de salaire différé établi du vivant de l’ascendante débitrice ne tombe-t-il pas sous le coup de la prohibition dès lors qu’il ne contenait aucune renonciation à revendiquer après le décès un complément de créance.

Enfin, la jurisprudence distingue du pacte sur succession future la promesse « post mortem » validant ainsi la clause d’un acte de prêt prévoyant le remboursement par prélèvement sur le prix de vente de l’immeuble qu’il a servi à acquérir et déchargeant totalement le débiteur de sa dette en cas de prédécès du prêteur.

  • Principes applicables depuis le 1er janvier 2007

D’importantes exceptions ont été apportées au principe de l’interdiction des pactes sur succession future par la loi du 23 juin 2006 (L. n° 2006-728, 23 juin 2006 : JO, 24 juin). Le principe est désormais qu’on ne peut renoncer à une succession non ouverte, ni faire aucune stipulation sur une pareille succession, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s’agit, que dans les conditions prévues par la loi (Code civil, article 1163).

Ainsi, outre la renonciation à agir contre l’acquéreur d’un bien donné et la renonciation anticipée à l’action en réduction, la loi du 23 juin 2006 (L. n° 2006-728, 23 juin 2006 : JO, 24 juin) crée depuis le 1er janvier 2007, un mandat à effet posthume par lequel une personne convient avec un mandataire que ce dernier gérera sa succession lorsqu’elle viendra à s’ouvrir (Code civil, article 812 à 812-7).

D’autre part la loi, pour faciliter les règlements successoraux, incite l’ascendant à les réaliser de son vivant en répartissant ses biens entre ses héritiers au moyen de donations-partages qui constituent de véritables pactes sur succession future.

Ces règlements anticipés peuvent prendre également la forme des partages testamentaires. Ils ne constituent pas des pactes sur succession future puisqu’ils ne naissent pas d’un contrat ; ils ne réalisent pas non plus une anticipation successorale et n’ont d’autre effet que de transmettre une succession déjà partagée par le défunt, les héritiers n’ayant d’autre choix que d’accepter le lot qui leur est destiné ou de renoncer à la succession.

Ce mode de règlement anticipé est très peu usité, car il ne peut permettre une transmission patrimoniale par deux époux puisque le testament conjonctif est frappé de nullité par l’article 968 du code civil.

 

  1. Exposé des fondements

 

  1. Illicéité fondée sur une considération morale

Dans une formule saisissante de réprobation, les pactes sur succession future sont appelés pactum corvinium : le pacte des corbeaux est la marque d’infamie qui caractérise ces accords de volonté. L’immoralité du pacte sur succession future est le premier argument dans l’ordre chronologique. Née à Rome, la pratique des pactes sur succession future fut sévèrement condamnée pour des considérations morales.

Il s’agissait de mettre un terme à l’esprit de spéculation qui animait les captateurs d’héritage (captores hereditatum) parvenus à se faire instituer par convention les héritiers de vieillards en instance de mourir, mais aussi des fils de famille qui, pressés par le besoin d’argent, avaient négocié à des usuriers les droits détenus dans la succession non ouverte de leur père. Ces pactes successoraux furent interdits, non pas pour absence d’objet, mais parce qu’ils bafouaient les principes moraux de l’époque.

À l’inverse, les conventions qui organisent la dévolution de toute la succession sont devenues valables à Rome lorsqu’elles sont devenues acceptables sous l’angle de la moralité publique. À ce sujet, les rédacteurs du Code civil ont-ils manqué de l’esprit de nuance ?

On peut le croire puisque le spectre du votum mortis était dans le Discours préliminaire de Portalis : "la cupidité qui spécule sur les jours d’un citoyen est bien souvent voisine du crime qui peut les abréger". Plus loin, il ajoutait que "la successibilité n’est point un droit naturel : ce n’est qu’un droit social qui est entièrement réglé par la loi politique ou civile, et qui ne doit point contrarier les autres institutions sociales" (Discours préliminaire sur le projet de Code civil, in Discours et rapports sur le Code civil : PU Caen, 1989, p. 1 à 62, spécialement p. 61).

  1. Illicéité fondée sur tout ou partie de la succession

Un pacte sur succession future a nécessairement pour objet une succession non ouverte. Mais cette condition peut être entendue plus ou moins strictement. Et, de façon générale, la jurisprudence a tendance à adopter les positions les plus sévères : elle applique la prohibition aux actes portant sur la succession des parties comme aux actes portant sur la succession d’un tiers; et, dans ce dernier cas, l’accord de la personne dont on prétend régler la succession n’empêche pas la nullité.

La jurisprudence ne distingue pas davantage suivant que l’acte a pour objet d’augmenter ou de diminuer (par ex. par une renonciation) les droits successoraux de ceux qui l’ont passé. Et, ce qui est le plus lourd de conséquences, elle applique la prohibition des pactes sur succession future aux actes portant sur l’ensemble de la succession, une quote-part de celle-ci (Cass. req., 2 févr. 1874 : DP 1874, 1, p. 238 ; S. 1874, 1, p. 350 ; l’arrêt annule, comme pacte sur succession future, la cession, faite par un héritier présomptif, de sa part dans la succession à venir de son père, en paiement forfaitaire de ses dettes. – Cass. civ., 9 mai 1894 : DP 1894, 1, p. 546 ; l’arrêt annule, pour la même raison, un cautionnement donné par un père de famille à un créancier de son fils, avec stipulation que le créancier ne pourrait se payer qu’après son décès, dans sa succession, sur la quote-part de celle-ci revenant au fils débiteur).

La solution est maintenant claire, même si elle était acquise dès 1845, date à laquelle la Cour de cassation a jugé qu’en prohibant sans distinction les conventions sur une succession non ouverte, le Code civil a compris dans ses dispositions, tout aussi bien l’aliénation d’une chose particulière que celle de la totalité, ou d’une quote-part de cette succession.

 

  1. Sanction du pacte prohibé

 

  1. Sanction d’ordre public

La sanction essentielle de la prohibition des pactes sur succession future est la nullité absolue de l’acte, en raison des motifs d’ordre public sur lesquels repose la règle prohibitive.

Dès 1903, la Cour de cassation a jugé, après avoir rappelé le contenu des articles 791 et 1130 du Code civil, cités au visa d’un arrêt de cassation, que "ces prohibitions sont formelles et d’ordre public, et que toute convention qui a pour conséquence de les éluder est nulle aux termes de l’article 6 du Code civil". Les arrêts consacrant la nullité absolue sont assez nombreux.

Leur influence est encore présente dans des pourvois récents (8). Néanmoins, l’étude de la jurisprudence met en évidence que le débat porte davantage sur la qualification de l’acte que sur sa sanction. Ainsi, dans de nombreux arrêts, la nullité du pacte prohibé est sous-jacente ou évoquée, comme une évidente conséquence.

 

  1. La responsabilité du notaire rédacteur de l’acte irrégulier

Si la nullité du pacte prohibé a causé un préjudice à autrui, notamment aux parties qui se seraient fiées, de bonne foi (V. a contrario : CA Montpellier, 1re ch., sect. A, 27 nov. 2001, n° 00/01207 : JurisData n° 2001-164939. – CA Grenoble, 1re ch., 27 mai 2002, n° 00/02220 : JurisData n° 2002-203144, où la mauvaise foi est une exception efficace à l’action en responsabilité délictuelle), aux conventions qu’elles croyaient valables et les auraient exécutées, cette sanction peut s’accompagner, suivant le droit commun, d’une action en responsabilité.

 Comme il s’agit souvent d’actes authentiques, l’action en responsabilité sera plus souvent dirigée contre le notaire rédacteur, qu’à l’encontre du cocontractant que son ignorance met à l’abri : il est plus souvent victime que fautif. Le préjudice subi par le demandeur à l’action en responsabilité devra être réparable en droit, c’est-à-dire être certain, direct et personnel. Une faute délictuelle devra avoir été commise par le notaire qui a instrumenté l’acte, en dépit de la prohibition des pactes sur successions future.

Le principe de la responsabilité éventuelle de l’officier ministériel ne fait pas de doute (V. par exemple, CA Bordeaux, 8 juin 1954 : Gaz. Pal. 1954, 2, p. 289), mais il ne faut pas oublier qu’en raison de la complexité de la notion de pacte sur succession future, le juge ne pourra relever une faute à la charge du notaire que s’il a accepté d’insérer dans un acte une clause dont la nullité, comme pacte sur succession future, était incontestable au jour où l’acte a été dressé. On ne peut pas demander au notaire de deviner les évolutions et les nuances, souvent imprévisibles, de la jurisprudence.

La Cour de cassation a jugé, à propos d’une question étrangère au pacte sur succession future, que "les éventuels manquements d’un notaire à ses obligations professionnelles ne peuvent s’apprécier qu’au regard du droit positif existant à l’époque de son intervention, sans qu’on puisse lui imputer la faute de n’avoir pas prévu une évolution ultérieure du droit ; qu’en énonçant que l’on ne pouvait reprocher à M. X. de n’avoir pas prévu un revirement de jurisprudence, la cour d’appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision, sans introduire la discrimination évoquée par le troisième grief du moyen".

La tendance actuelle est néanmoins à plus de sévérité – Cour de cassation, 1re chambre civile du 14 mai 2009, n° 08-15.899 : JurisData n° 2009-048152 ; Bull. civ. 2009, I, n° 92, à propos de la responsabilité d’un avocat ayant commis la faute de ne pas tenir compte d’une "évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l’extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer".

Les recours contre les notaires demeurent exceptionnels. Néanmoins, la Cour de cassation est parfois sévère.

Dans cette affaire, elle a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt qui avait condamné à des dommages-intérêts in solidum un "conseiller en investissements viagers" et un notaire, qui avaient introduit dans des actes de vente (sous seing privé en ce qui concerne le conseiller, authentique en ce qui concerne le notaire) une clause stipulant que le prix serait payé en dix annuités ou seulement jusqu’au décès du vendeur si celui-ci survenait avant l’expiration du délai de dix ans.

Qu’il soit annulé ou simplement exposé à la nullité, le pacte prohibé peut néanmoins faire l’objet d’un nouvel acte : la validité de ce pacte est un tempérament à la nullité.

NB : a jurisprudence a néanmoins admis des tempéraments à la nullité, en cas de volonté des héritiers de réitérer l’acte irrégulier dans un acte valable.

 

SOURCES :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000020824319&fastReqId=539415553&fastPos=1