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En l'absence de définition légale, l'insanité d'esprit comprend toutes les variétés d'affections mentales par l'effet desquelles l'intelligence du disposant a été « obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (voir notamment CA Paris 7-3-2012 n° 11/06602 : Gaz. Pal. 13/14-4-2012 p. 37).
Elle suppose donc un trouble psychique tel qu'il affecte la volonté de l'auteur dans son aptitude à comprendre, à réfléchir et dans celle à se décider. Ce trouble peut avoir pour origine une altération durable des facultés intellectuelles ou un accident temporaire et sa cause importe peu (maladie, effets de la prise d'alcool ou de drogue). L'essentiel est que cette altération existe au moment de l'acte et qu'elle soit de nature à exclure une volonté consciente, éclairée et libre.
L'insanité d'esprit n'est ni l'état d'incapacité, ni celui du consentement vicié. En effet, il s'agit d'une notion autonome et les juges l'apprécient souverainement sans être liés par le choix d'une mesure de protection décidée.
Toutefois, l'existence d'une mesure de protection est souvent un indice de l'insanité d'esprit puisque l'ouverture d'une telle mesure intervient fréquemment à l'occasion d'une altération des facultés mentales. La nullité pour insanité d'esprit peut faire double emploi avec celle prévue en faveur des majeurs protégés. Cependant, malgré la mesure de protection, la loi autorise parfois à accomplir une libéralité sous certaines conditions. Par exemple, le majeur sous curatelle peut tester. Par conséquent, le respect des règles relatives à la capacité n'interdit pas la nullité de la libéralité pour insanité d'esprit (voir Cass. 2e civ. 8-6-2017 n° 15-12.544 F-PB : BPAT 4/17 inf. 159). Il est rappelé dans cette affaire qu'une personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l'article 901 du Code civil.
L’acte fait par une personne physique atteinte d’un trouble mental peut être annulé (Code civil articles 414-1 et 1129).
Dénuée de toute précision, la formule « action civile » utilisée dans ces textes par le législateur fut, pour la mise en œuvre de la règle « le criminel tient le civil en l’état », interprétée de manière extensive par la jurisprudence. Cette règle fut ainsi appliquée à toutes les actions civiles et non seulement aux actions civiles tendant à la réparation de dommages causés par des infractions, dès lors que les conditions prévues par l’article 4 du Code de procédure pénale étaient réunies et notamment lorsque la décision sur l’action publique était susceptible d’influer sur la solution du procès civil.
Lorsqu’une action pénale est intentée contre le donataire pour les faits sur lesquels le demandeur en révocation fonde son action, le juge civil doit surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal, en application de la règle selon laquelle “le pénal tient le civil en état”. La solution du litige dépend en effet de la suite qui sera donnée à la plainte pénale, l’exactitude des faits dénoncés étant de nature à asseoir le bien-fondé de l’action devant le juge civil (CA Nancy, 1re ch. civ., 25 janv. 2005, n° 01/02729
- Le délit d’abus de faiblesse nécessite un élément fondamental : « la faiblesse »
- L’élément constitutif
L’article 223-15-2 du Code pénal prévoit qu’est puni « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
En outre, cet article sanctionne le responsable des faits d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Le délit d’abus de faiblesse protège uniquement les personnes en état d’ignorance ou de faiblesse. Sont visés (Code pénal art. 223-15-2) :
- les mineurs ;
- les majeurs particulièrement vulnérables (en raison de l’âge, de la grossesse, d’une maladie ou d’une déficience physique ou psychique apparente et connue de l’auteur) ;
- les personnes en état de sujétion psychologique ou physique (par exemple, sous l’emprise d’un mouvement sectaire).
Cet état de vulnérabilité est apprécié au moment de l’accomplissement de l’acte préjudiciable.
L’infraction suppose qu’une personne abuse volontairement de cette vulnérabilité, qui doit donc être apparente ou connue de son auteur. La victime est amenée à accomplir quelque chose dont elle n’aurait pas voulu si elle n’avait pas été fragilisée. Autrement dit, il est reproché à l’auteur du délit d’avoir exercé une certaine contrainte morale envers la victime afin de parvenir à ses fins.
L’acte (ou l’abstention) résultant de cette contrainte doit porter un préjudice grave à la personne vulnérable. Lorsque la personne vulnérable a été placée en curatelle renforcée, aucun acte de disposition ne pouvant plus être accompli par elle seule, le délit ne peut être retenu. En revanche, ce préjudice n’a pas à s’accompagner nécessairement d’un enrichissement de l’auteur de l’infraction.
- L’élément intentionnel
L’intention délictueuse réside dans la conscience que le prévenu a de la faiblesse ou de l’ignorance de la victime et dans sa volonté d’exploiter en connaissance de cause cet état.
L’élément intentionnel, il correspond à la démonstration de la volonté de l’accusé de profiter de la faiblesse de la victime. Il convient dans ce cadre de montrer que l’accusé avait conscience de l’état de vulnérabilité de sa victime, ou au moins qu’il ne pouvait pas l’ignorer, et qu’il a décidé d’utiliser celui-ci à des fins d’enrichissement.
Pour tenter de s’exonérer ou d’atténuer sa responsabilité, le prévenu invoque parfois son absence d’intention délictueuse en prétendant ignorer l’état de faiblesse ou d’ignorance de la victime. Cet argument est inopérant. Lorsqu’il est salarié, le prévenu avance parfois qu’il a agi sous la pression de son employeur, mais les juges estiment qu’il n’y a pas contrainte.
Enfin, dans le cas où il a remboursé la victime, le prévenu utilise ce moyen pour tenter d’échapper à sa responsabilité. Mais ce procédé n’est pas retenu ; il constitue même, aux yeux des magistrats, une preuve supplémentaire de sa culpabilité.
L’affaire étant jugée au pénal, la décision s’impose donc au juge civil.
- Le criminel tient le civil en l’état
- Ce qui a été jugé au pénal, s’impose au civil
Il est exceptionnel que ce qui a été jugé par une juridiction civile s’impose à une juridiction pénale.
En revanche, ce qui a été jugé par le tribunal répressif s’impose, en principe, aux juges civils qui ne doivent pas contredire la décision rendue sur l’action publique (pour des décisions récentes témoignant de la fidélité à ce principe : D’ailleurs, cette décision s’impose aussi aux juges répressifs eux-mêmes qui, s’ils statuent subsidiairement sur l’action civile, ne doivent pas davantage contredire leur propre décision sur l’action publique.
Par décisions pénales ayant autorité sur le civil, il convient d’entendre avant tout les seules décisions rendues sur le fond ce qui exclut les décisions avant dire droit, comme une déclaration de « donné acte » et présentant un caractère irrévocable, c’est-à-dire qui ne sont plus susceptibles d’être modifiées par l’exercice des voies de recours où le condamné était décédé avant que la décision soit devenue irrévocable).
Les décisions répressives ont une autorité absolue de chose jugée et s’imposent aux juridictions civiles, administratives et disciplinaires qui doivent surseoir à statuer dans l’attente de la décision pénale lorsqu’elles sont saisies de l’action civile en dommages-intérêts, ce qui est exprimé par la règle : « Le criminel tient le civil en l’état. »
Le sursis à statuer ne peut être demandé par les parties civiles que si elles ont été déclarées recevables, ce qui n’est pas le cas si, s’étant constituées parties civiles, elles ne justifient pas du versement de la consignation fixée ou de sa dispense en application de l’article 88 du Code de procédure pénale. Il doit être demandé avant toute défense au fond, cette règle étant applicable à toute demande même si celle-ci ne fait valoir aucun moyen de défense.
En revanche, la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil (CPP art. 4, al. 3).
Notamment, l’obligation de sursis à statuer ne concerne ni la poursuite d’une voie d’exécution (Cass. com. 3-10-2006 n° 1109 : RJDA 2/07 n° 193) ni celle d’une instance relative à un arbitrage international.
L’autorité de la chose jugée au pénal dépend des conditions suivantes :
- elle ne résulte que des décisions de jugement définitives statuant au fond ;
- elle ne s’attache qu’aux éléments constitutifs de l’infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que des éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l’appréciation de la juridiction non répressive (Cass. civ. 15-11-2001 : JCP G 2002.II.10130) ;
La décision pénale qui relaxe la partie poursuivie peut être invoquée par elle pour la première fois devant le Conseil d’État statuant en cassation de l’arrêt d’appel qui l’a condamnée pour infraction fiscale, même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d’État (CE 16-2-2018 n° 395371 : RJF 5/18 n° 536, transposable au pourvoi porté devant la Cour de cassation en raison de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal qui s’applique également aux juridictions civiles).
- il n’est pas nécessaire qu’il y ait entre l’action pénale et l’action civile identité d’objet et de cause (Cass. civ. 24-6-1998 : JCP G 1998.IV.2877).
Par exemple :
- le créateur d’un modèle de vêtement ne peut agir à nouveau en contrefaçon contre le fabricant d’un vêtement identique à celui pour lequel le juge pénal a déjà jugé qu’il n’y avait pas contrefaçon (CA Paris 25-1-1979 : Ann. prop. ind. 1980.40) ;
- le boulanger relaxé du délit d’achat de farine sans factures au motif que les livraisons n’étaient pas établies ne peut être l’objet d’une imposition pour paiement en espèces de ces livraisons (Cass. com. 16-1-1980) ;
- Décision rendue par la haute juridiction judiciaire
Soupçonné d’abus de faiblesse à l’encontre d’une personne âgée, un proche, Mr O. avait été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris, à la requête du Procureur de la République.
Il lui était reproché d’avoir, entre 1994 et 1999, frauduleusement tiré parti de l’état physique ou psychique défaillant de Mme B. pour bénéficier (largement) de sa dévolution successorale.
Les faits avaient de quoi intriguer ; alors qu’elle souffrait d’une psychose sévère, Mme B. modifiait à deux reprises, en 1994, un testament olographe qu’elle avait rédigé en 1990. Elle instituait Mr O. comme son exécuteur testamentaire, en lieu et place de C, lui léguait les meubles de son appartement et elle léguait à Mme O. la totalité de ses bijoux. Elle confirmait, par un nouveau codicille pris en 1995, ce dernier legs. Elle décédait quelques années plus tard, sans avoir pris de nouvelles dispositions à cause de mort.
Ses petits neveux portaient les faits à la connaissance du Procureur de la République qui décidait de poursuivre Mr O. pour avoir illicitement profité de la faiblesse de la défunte, tant pour lui faire rédiger des codicilles en sa faveur et celle de son épouse, que pour avoir pesé ensuite sur son consentement, afin qu’elle ne revienne pas sur ses choix.
Examinant les circonstances avec soin, les magistrats de la juridiction pénale parisienne relaxaient Mr O., d’abord par un jugement du 18 janvier 2007, puis par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 décembre 2007.
Évidemment insatisfaits, les parents de Mme B. portaient alors l’affaire devant le tribunal civil ; ils sollicitaient de la juridiction qu’elle prononce la nullité des différents codicilles qui favorisaient Mr et Mme O., pris par leur parente en 1994 et 1995. Ils arguaient de l’insanité d’esprit de la testatrice, caractérisé par la psychose dont elle souffrait et se fondait sur les dispositions bien connues des avocats spécialistes en droit des successions, l’art. 901 Code civil :
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »
La Cour d’appel de Paris, le 7 mars 2018, leur donnait raison pour une bonne part, retenant que Mme B. présentait :
« Une pathologie psychiatrique affectant, par les troubles délirants développés, sa perception de la réalité et son jugement, dont la prise en charge ne lui permettait pas de juguler les effets. »
C’était au tour de Mr O. de contester, en formant un pourvoi en cassation. Il faisait valoir qu’il avait été relaxé (donc reconnu innocent) par les juridictions pénales et ne pouvait pas se voir sanctionner, même indirectement, pour les mêmes faits et actes par une juridiction civile.
En réalité, la chambre civile de la cour d’appel de Paris avait tenté de manœuvrer subtilement : pour ne pas heurter de front les décisions pénales, elle ne déclarait pas que Mr O. avait abusé de la faiblesse de Mme B., mais se contentait d’affirmer que cette dernière n’était pas en état de tester de manière valide, en raison de sa psychose.
Malheureusement, ce faisant elle « oubliait » que si les juges pénaux avaient relaxé Mr O., c’était en relevant que manquait un élément fondamental de l’infraction d’abus de faiblesse : la « faiblesse » !
Ce que ne manque pas de lui rappeler la Cour de cassation : ce qui est jugé définitivement « au pénal » s’impose « au civil ».
La cour d’appel ne devait pas ignorer que les magistrats correctionnels avaient jugé que, Mme B. quoique malade, était restée apte à gérer ses biens et à prendre ses décisions concernant son patrimoine ; tant en 1994 qu’en 1995, elle n’était donc pas « insane » et incapable de prendre des dispositions par voie de codicille, et ses actes de 1994 et 1995 ne pouvaient donc être annulés. L’affaire a été renvoyée devant une autre cour d’appel.
Sources :
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