L’évolution des pratiques a conduit les influenceurs à occuper une place de plus en plus importante dans le monde de la publicité. Dans le même temps, ces pratiques ont conduit à des dérives qui posent aujourd’hui des questions quant à l’encadrement de cette nouvelle profession.

Un influenceur peut être défini comme une personne qui bénéficie d’une grande communauté sur les réseaux sociaux avec laquelle il partage du contenu. Cette « base » sert aujourd’hui de tremplin aux marques et aux entreprises qui n’hésitent plus à recourir à des influenceurs afin de jouir d’une visibilité plus importante à moindre coût et toucher un public jeune féru de réseaux sociaux.

Le recours massif aux influenceurs constitue un véritable bouleversement dans les habitudes des consommateurs. Le compte de l'influenceur sur les plateformes de réseaux sociaux ou de partage de vidéos est à la fois un espace de divertissement qui parfois se transforme en un espace publicitaire. Les influenceurs sont ainsi susceptibles d’influer sur la décision d’achat des internautes, qui deviennent tous des consommateurs potentiels.

Malgré l’existence d’obligations en la matière, le recours au marketing d’influence connaît des abus et laisse parfois la place aux pratiques commerciales trompeuses et à des opérations de promotions non autorisées (chirurgie esthétique, compléments alimentaires, copy trading, publicité clandestine, la vente de formations hasardeuses parfois financées par le CPF, etc.).

Face à ce fléau qui se propage, la protection du consommateur doit être renforcée. Pour ce faire, le législateur semble vouloir « prendre le mal à la racine » en imposant de nouvelles obligations aux influenceurs et aux intermédiaires.

C’est dans ce contexte que trois propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée nationale entre novembre et décembre 2022.

Avant d’étudier les apports de ces propositions de loi, il conviendra de dresser le portrait des obligations existantes pour les influenceurs.

I.             Les obligations des influenceurs au regard du cadre juridique en vigueur

A.           La protection du consommateur au cœur des obligations des influenceurs

Contrairement à un contenu dit éditorial, lorsque l’influenceur produit un contenu commercial il n’établit pas librement son contenu, et fait la promotion d’une marque, de produits ou d’un évènement en contrepartie d’une rémunération.

Créant de fait une potentielle confusion chez les internautes qui le suivent, l’influenceur doit se conformer à certaines obligations prévues par la loi. Ces obligations permettent de signaler aux internautes que le contenu ou ce qui y est mis en avant relève de la pratique commerciale.

•             La notion de pratique commerciale

La notion de “pratique commerciale” est plus large que la notion de publicité.

Elle n'est pas définie dans le Code de la consommation, mais la directive européenne n° 2005-29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs.  

En France, l'article L. 121-1 du Code de la consommation pose un principe général d’interdiction des pratiques commerciales déloyales. Parmi les pratiques commerciales déloyales, on distingue notamment les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives.

Afin de ne pas être identifié comme relevant des pratiques commerciales déloyales, l’influenceur doit se conformer lors de la diffusion de son contenu à un ensemble d’obligations déjà existantes. Il doit donc procéder à l'identification des contenus publiés, condition de loyauté de la pratique commerciale. 

•             L’indication du caractère publicitaire de la publication

Selon la recommandation l’ARPP l’identification de la publicité doit permettre au public d’avoir immédiatement connaissance de la nature publicitaire du contenu. L’éditeur de contenu (ou l’influenceur) a donc une obligation de transparence envers les internautes qui visionneront son contenu.
Cette obligation d’identification du caractère publicitaire est aussi mentionnée à l’article 20 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004.

En pratique, l’indication de la nature promotionnelle du message doit être claire, facilement accessible, non équivoque, lisible et visible. Ainsi, la mention du caractère publicitaire ou du partenariat commercial doit être faite dans la langue française.
Cette mention doit également apparaître dès le début du post ou de la vidéo afin de ne pas être immergée dans le contenu et par conséquent semer le doute chez l’internaute.

•             Les opérations de promotion non autorisées

Au-delà des règles générales applicables en matière de pratiques commerciales loyales et de publicité, certains secteurs sont régis par des dispositions spécifiques en matière de publicité qui s'appliquent en cas de recours à des influenceurs.

Afin de protéger les consommateurs de la publicité de produits qui pourraient constituer des dangers, un certain nombre d’opérations de promotions sont prohibées ou font l’objet d’un encadrement très strict.

La loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi Évin fixe des cas limitatifs où la publicité de ces produits peut être effectuée.

Ainsi, l’alinéa 1 de l’article L. 3512-4 du code de la santé fixe les cas dans lesquels la publicité pour le tabac est interdite. Les exceptions à ce principe sont prévues par l’article L. 3512-4 du code de la santé publique et sont extrêmement limitées. (Cass. crim., 18 mai 2016, n°15-80922).

En outre, l’article L. 3323-2 du Code de la santé publique précise les cas dans lesquels la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques sont autorisées. Elle ne peut emprunter que certains supports limitativement énumérés : presse écrite, radiodiffusion, affichage, et depuis 2009, les services de communication en ligne. (Cass. 1re civ., 3 juill. 2013, n° 12-22.633)

Selon l'ARPP, seuls les influenceurs qui sont des professionnels du vin (sommelier, chef de cuisine, etc.) ou des amateurs éclairés (ce qui implique une analyse au cas par cas du degré de professionnalisation au regard de la récurrence de l'activité de l'influenceur, de sa compétence et des revenus qu'il en tire) peuvent publier des contenus en ligne.

Il en va de même pour les produits de vapotage, les produits de santé et à finalité cosmétique, les jeux et paris en ligne ainsi que des placements financiers ou encore les produits alimentaires.

Toutes ces catégories de produits font l’objet d’une réglementation très stricte qui n’est malheureusement pas toujours respectée, notamment sur les réseaux sociaux.

 

B.            Les autorités compétentes en France et leurs pouvoirs

Ce sont notamment trois entités qui veillent au bon respect des pratiques commerciales et publicitaires. Elles sont l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et la Chambre du Commerce international.

•             Le rôle de l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP)

L’ARPP est une association (loi 1901) indépendante des pouvoirs publics. Il s’agit de l’organisme de régulation professionnelle de la publicité en France. Elle intervient en faveur d’une publicité transparente, loyale et véridique. Elle établit à ce titre de nombreuses recommandations et œuvre afin d’encadrer les pratiques des influenceurs dans le secteur de la publicité.

Afin d’inciter les influenceurs et de les sensibiliser aux recommandations de l’ARPP, cette dernière a procédé à la création du Certificat de l’influence responsable.

Dans l’optique de favoriser le respect des bonnes pratiques, l’ARPP collabore avec l’Observatoire de l’influence responsable. Elle s’appuie sur les rapports produits par l’Observatoire.

Afin de mettre en exergue les publicités déguisées dans les posts d’influenceurs, l’Observatoire a recours à l’utilisation de deux plateformes spécialisées : Reech et Traackr. Elles permettent de détecter par l’intermédiaire de l’intelligence artificielle, des posts qui seraient éventuellement litigieux. L’information est ensuite relayée à un être humain afin d’être vérifiée puis traitée si cela est nécessaire. Selon l’Observatoire de l’influence responsable entre 2021 et 2022, seuls 47 % des contenus sponsorisés ont été correctement signalés.

•             Le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

La DGCCRF est une émanation du ministre de l’Économie chargée de veiller au respect du droit de la consommation, qui peut donc intervenir dans le cadre de cette mission auprès des influenceurs. Elle diligente des enquêtes, notamment à la suite de signalements en ligne effectués par des particuliers qui suspectent des publicités déguisées et, partant, des comportements trompeurs de la part d’influenceurs. C’est d’ailleurs à ce titre que l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara avait été condamnée en 2021 à la suite d’une enquête menée par la DGCCRF.

Pour rappel, le défaut d'identification du caractère commercial ou publicitaire d'un contenu publié par un influenceur est susceptible d'engager la responsabilité pénale de ce dernier en matière de protection du consommateur sur le fondement notamment des pratiques commerciales déloyales interdites, ce qui n'exclut pas la mise en cause de la responsabilité de l'annonceur.

La DGCCRF a le pouvoir d’intervenir afin de faire cesser une pratique commerciale trompeuse. Un agent habilité a la possibilité d’émettre des injonctions. Dans les autres cas, la cessation peut être ordonnée soit par un juge d'instruction ou par le tribunal saisi des poursuites.

•             La chambre du commerce international (ICC)

Depuis 1937, cette importante autorité édicte des règles majeures pour le secteur du marketing et de la communication. Celles-ci sont principalement insérées dans son « code de communications » qui vise à protéger les consommateurs en énonçant clairement les « choses à faire et à ne pas faire » en matière de marketing responsable. L’article 7 de ce code rappelle par exemple la nécessité, d’une part, d’identifier le contenu commercial du message quel que soit son support et, d’autre part, d’indiquer la mention claire et obligatoire de la finalité commerciale de la communication.

 

II.            Vers l’émergence d’un cadre juridique adapté

A.           L’élaboration de nouvelles obligations applicables aux influenceurs

La première proposition de loi visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet, a été déposée à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2022. Elle vise à créer un cadre légal général dans lequel pourra s’inscrire l’activité des influenceurs.

Son premier article prévoit l’insertion de nouveaux articles au Code du travail (L.7125-1 à L.7125-8). Ces dispositions permettraient d’introduire la définition de l’influenceur. Ainsi, l’influenceur correspondrait à « toute personne physique ou morale qui détient, exploite ou anime, à titre professionnel ou non, une page ou un compte personnel accessible sur une plateforme en ligne […] en vue du partage de contenus exprimant un point de vue ou donnant des conseils susceptibles d’influencer les habitudes de consommation. » L’article prévoit que le seuil d’audience d’un influenceur soit défini par décret. Elles ajoutent également la définition de l'agent d'influenceur.

Dans un souci de sécurisation juridique, cet article pose également l’obligation d’établir un contrat comprenant des mentions obligatoires entre un influenceur et son agent. L’absence de contrat entre un influenceur et son agent, pourrait être sanctionnée de 75 000 euros d'amende et 6 mois d'emprisonnement.

Par ailleurs, force est de constater que de nombreux influenceurs ne mentionnent pas le caractère publicitaire de leurs publications. Son deuxième article prévoit donc l’insertion des articles L.122-26 à L.122-30 au Code de la consommation. Ces derniers imposeraient de nouvelles obligations de transparence pour les influenceurs. Enfin un contrat écrit est rendu obligatoire entre l'influenceur et l'utilisateur de ses services. Il devra également comprendre des mentions obligatoires.

Son troisième article envisage de nouvelles sanctions administratives et pénales qui seront insérées aux articles L. 132-29 à L. 132-33 du Code de la consommation. Dès lors qu’un manquement de l’influenceur à son devoir d'information et de transparence est constaté, il pourra encourir 300 000 euros d'amende ou 10% du CA annuel.

En cas absence de contrat entre l'influenceur et l'annonceur, ces derniers pourront être sanctionnés de 75 000 euros d'amende et 6 mois d'emprisonnement.

La dernière proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, déposée à l’Assemblée nationale le 27 décembre 2022, a cependant fait l’objet d’un retrait le 9 février 2023.

Elle prévoyait d’interdire la promotion des produits pharmaceutiques, médicaux et investissements financiers et tendait à responsabiliser les influenceurs dans leurs pratiques en instaurant une obligation de vérification sur les produits dont ils font la publicité (drop shipping).

B.            Le renforcement de la lutte contre les dérives et abus commis par les influenceurs

La première proposition de loi prévoit également en son article 4 une modification de l’article 7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Cette modification permettrait de soumettre les opérateurs de plateformes en ligne à l’obligation de mettre en place un dispositif de signalement des contenus relevant des pratiques commerciales interdites, agressives et trompeuses. On retrouve également cette suggestion dans la seconde proposition.

La seconde proposition de loi visant à renforcer la prévention contre les pratiques commerciales illicites liées au marché de l’influence sur internet et à renforcer la lutte contre ces pratiques, datée du 15 décembre 2022, vient quant à elle renforcer la prévention des fraudes en ligne et les moyens des autorités de répression des fraudes.

Pour ce faire, elle envisage en son article premier de mettre à disposition de nouveaux moyens et d'effectif à la DGCCRF en complétant l’article L. 511-3 du code de la consommation. En effet, comme le soulignent députés dans leur proposition « les agents de la DGCCRF ne sont pas assez nombreux pour pouvoir agir sereinement et efficacement sur un pan entier du numérique en constante expansion.

Un nombre conséquent d’influenceuses et d’influenceurs et leurs agences sont domiciliés dans d’autres pays tels que les Émirats arabes unis ou l’Arabie Saoudite afin de payer moins d’impôts et de rendre les sanctions à leur égard plus difficilement applicable, et ce alors qu’une part considérable de leurs revenus provient de consommateurs français. »

Il est également abordé la possible création d’un Comité interministériel de prévention contre les pratiques commerciales illégales en ligne afin de veiller sur les différentes pratiques commerciales illégales en ligne, et de proposer des politiques de prévention en adéquation avec les différents publics touchés par ces pratiques. 

Selon les députés « Les plateformes qui hébergent ces marchés de l’influence devront prendre leur part dans la lutte contre les arnaques en ligne. » Ils proposent ainsi de nouvelles obligations qui incomberont aux fournisseurs de services de communications en ligne. Ces derniers devront veiller à informer les utilisateurs sur les pratiques commerciales et favoriser les signalements de pratiques commerciales trompeuses.

Enfin, elle introduirait pour les banques et les services de paiements en ligne de nouvelles obligations relatives à la lutte contre les pratiques commerciales illégales.

Les propositions initiées par ces textes nous permettent de saisir l’ampleur du phénomène et des dérives qui nécessitent aujourd’hui un cadre juridique. Elles sont le reflet de la volonté des députés d’alerter le Gouvernement sur le problème que ces pratiques représentent pour l’intérêt général. Cette stratégie semble avoir porté ses fruits comme en témoigne la mise en place début janvier 2023, d’une consultation sur le métier d’influenceur. Cette consultation était disponible sur le site internet make.org, et devait permettre aux citoyens de donner leurs avis sur l’encadrement des pratiques commerciales des influenceurs.

 

SOURCES :

  1. Directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur :
    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32005L0029&from=FR
  2. Article L. 121-1 du Code de la consommation (pratiques commerciales déloyales) :  https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032227301
  3. Article L. 3512-4 du code de la Santé publique : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032550568
  4. Article L. 3323-2 du Code de la santé publique :
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034110404/
  5. Décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 18 mai 2016, n°15-80922 : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2016/06/fl0606vt1580922.pdf
  6. Paiement d’une amende de 20 000€ par l’influenceuse Nabilla BENATTIA-VERGARA, pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux :
    https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/paiement-dune-amende-de-20-000eu-par-linfluenceuse-nabilla-benattia-vergara-pour-pratiques-0
  7. Proposition de loi n°456 du 15 novembre 2022 :
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0456_proposition-loi
  8. Proposition de loi n°653 du 15 décembre 2022 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0653_proposition-loi.pdf
  9. Réseaux sociaux : 6 influenceurs sur 10 ne respectent pas la réglementation :
    https://www.vie-publique.fr/en-bref/287945-marketing-dinfluence-6-influenceurs-sur-10-en-infraction
  10. Julien Canlorbe, « Loi Evin, Publicité indirecte et marques », 2021 :
    https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2021-1-page-15.htm
  11. Alain Hazan, Gaëlle Loinger-Benamran, « Influence et responsabilité : les obligations juridiques des influenceurs », 2022 :
    https://www.cairn.info/revue-legipresse-2022-HS1-page-9.htm
  12. Alexandra Di Maggio, « Contrôle des influenceurs aux frontières : petit tour d'horizon de quelques réglementations nationales », 2022 :
    https://www.cairn.info/revue-legipresse-2022-HS1-page-64.htm
  13. La loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne :

 https://www.vie-publique.fr/loi/273385-loi-19-octobre-2020-travail-enfants-youtubeurs-influenceurs-sur-internet