Le contentieux de l'urbanisme commercial a été récemment renouvelé du chef de l'imbrication des procédures d'instruction des projets soumis, à la fois, à permis de construire et à autorisation d'exploitation commerciale.

La mécanique en résultant est parfois reluisante, elle est aussi déconcertante pour les acteurs concernés puisqu'il s'agit désormais de jongler entre les dispositions législatives et réglementaires du code du commerce, de l'urbanisme et, même, du code de justice administrative...

Le tout a aussi donné lieu a des règles spéciales régissant le contentieux des permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et à la naissance d'intérêts à agir différenciés selon la qualité du requérant.

Sans prétendre à l'exhaustivité, le présent article vise à répondre à des questions simples les plus fréquemment posées en la matière.

 

I. Quels projets sont soumis au permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ?

Aux termes d'une lecture combinée des articles L. 425-4 du code de l'urbanisme et de l'article L. 752-1 du code de commerce, sont, en substance, soumis à autorisation d'exploitation commerciale, les permis de construire un projet ayant pour objet :

  • la création ou l'extension d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 m² ou devant dépasser ce seuil ;
  • l'extension de la surface de vente d'un tel magasin ayant déjà atteint le seuil des 1000 m² ;
  • tout changement de secteur d'activité d'un commerce d'une surface de vente supérieure à 1000 m² lorsque l'activité nouvelle est à prédominance alimentaire, et 2000 m² pour les autres ;
  • la création ou l'extension d'un ensemble commercial de plus de 1000 m² ou devant dépasser ce seuil.;
  • la réouverture au public, sur le même emplacement, d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1000 m² dont les locaux ont cessé d'être exploités pendant 3 années ;
  • la création ou l'extension d'un "point permanent de rentrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès automobile", autrement dit un drive...

Ainsi, par exemple, un projet visant à la réalisation d'un village de marques de plusieurs milliers de m² peut s'analyser comme un ensemble commercial (article L. 752-3 du code de commerce), de sorte que le permis de construire les différentes cellules commerciales est soumis aux dispositions précitées.

 

II. Quelle est la procédure d'instruction d'une demande de permis de construire un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale ?

Le dossier de demande de permis de construire est classiquement déposé en Mairie.

Ce dossier est, ensuite et à l'initiative du maire de la Commune compétent pour statuer sur la demande d'autorisation d'urbanisme, transmis au secrétariat de la commission départementale d'aménagement commercial (ci-après "CDAC") dans le délai de sept jours francs suivant le dépôt (article R. 423-13-2 du code de l'urbanisme).

S'ouvre alors une double instruction du projet menée parallèlement dont l'aboutissement est la délivrance, lorsque le projet satisfait l'ensemble des règles applicables, d'une seule autorisation sanctionnant, à la fois, les règles d'urbanisme et celles du code de commerce régissant l'autorisation d'exploitation commerciale.

Ainsi, le service d'urbanisme compétent instruit le projet à l'aune de la réglementation d'occupation des sols, tandis que la CDAC examine le volet commercial du projet à l'aune des critères énoncés par le législateur à l'article L. 752-6 du code de commerce.

La CDAC dispose alors d'un délai de deux mois pour rendre son avis. A défaut, son avis est réputé favorable (article L. 752-14, II du code de commerce).

C'est la raison pour laquelle, hors les hypothèses d'une demande de pièces complémentaires ou encore d'une saisine de la commission nationale d'aménagement commercial (ci-après "CNAC") ayant pour objet de le prolonger davantage, le délai d'instruction du permis de construire un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale est majoré de deux mois pour atteindre un total de cinq mois (articles R. 423-23 c) et R. 423-25 e) du code de l'urbanisme).

Lorsque le projet a reçu un avis favorable de la CDAC ou de la CNAC le cas échéant saisi, le permis de construire qui serait alors délivré tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Autrement dit, le permis de construire vaut autorisation d'exploitation commerciale.

 

III. Quels sont les critères d'autorisation évalués pour le volet commercial du projet ?

III.1. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce, l'autorisation d'exploitation commerciale doit être compatible avec le SCOT ou les orientations d'aménagement et de programmation du plan local d'urbanisme.

III.2. Ce même article précise que la Commission (CDAC, CNAC) "prend en considération" plusieurs critères d'appréciation organisés autour des thématiques suivantes :

  • aménagement du territoire. 

Pour illustration, la CNAC n'hésite pas à stigmatiser l’absence d’étude de trafic pour motiver un avis défavorable à la réalisation d’un projet – CNAC, 16 mars 2017, n° 3209DCNAC, 18 janvier 2018, n° 3472T.

  • développement durable. 

De manière générale une lecture attentive des avis de la CNAC montre que cette dernière est très attentive à l'insertion paysagère du projet dans son environnement, à la qualité architecturale du projet, au recours aux énergies renouvelables ainsi qu'à tous dispositifs d'économie d'énergies (rayonnages frigorifiques vitrés par exemple) et, enfin, aux mesures prises pour limiter l'imperméabilisation des sols (parkings en nids d'abeille etc...).

Ainsi, pour illustrer la mise en oeuvre de ce critère, la CNAC délivre un avis défavorable aux projets qui sont pas accompagnés d’un « effort particulier en matière de performance énergétique», en particulier lorsqu’ « aucun dispositif de recours aux énergies renouvelables n’a été prévu, ni par l’exploitation des surfaces de toiture par la pose de panneaux photovoltaïques, ni par l’installation d’ombrières sur le parking » - CNAC, 22 juin 2017, n° 3297T.

La Commission examine ainsi l'insertion paysagère du projet et n'hésite, sous le contrôle du Conseil d'Etat, à délivrer un avis défavorable à des projets lacunaires à cet égard :

5. Considérant que si la requérante soutient que la commission nationale a estimé à tort que le projet qu'elle présentait compromettrait l'objectif de développement durable, il ressort des pièces du dossier que le projet en cause présentait un certain nombre d'insuffisances, s'agissant notamment de l'imperméabilisation des sols et des ruissellements induits ; qu'enfin, et contrairement à ce que soutient la requérante, la commission nationale a pu légalement contrôler l'insertion paysagère du projet et estimer, sans commettre d'erreur d'appréciation, que les bâtiments projetés ne s'inséraient pas de manière harmonieuse dans les paysages environnants ;

Conseil d'Etat, 23 novembre 2014, n° 371582.

  • protection des consommateurs.

Sur ce volet, la Commission analyse l'impact de la réalisation du projet, lorsqu'il est par exemple situé à l'écart des grandes agglomérations, sur la revitalisation du tissu urbain et le renouvellement de l'offre commerciale.

La Commission examine aussi le respect, par le projet, des servitudes liées à un risque naturel tel que le risque inondation. Pour un exemple récent d'avis favorable motivé en ce sens : CNAC, 19 juillet 2018, n° 3642T.

III.3. Il est aussi précisé que la commission "peut" prendre en considération la contribution du projet en matière sociale.

 

IV. Les avis de la CDAC sont-ils portés à la connaissance du public ?

En cas d'avis favorable, le Préfet fait publier "dans les dix jours suivant la réunion de la commission ou la date de l'autorisation tacite" un extrait de l'avis dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département (article R. 752-19 du code de commerce).

Les avis favorables sont donc portés à la connaissance du public par voie de presse.

Au surplus tous les avis de la CNAC peuvent être consultés sur le site internet suivant : https://www.entreprises.gouv.fr/cnac

 

V. Qui peut contester l'avis favorable d'une CDAC ? 

Hormis l'hypothèse d'une auto saisine, la CNAC peut, dans le délai d'un mois, être saisie d'un recours contre l'avis de la CDAC par les personnes énumérées à l'article L. 752-17 du code de commerce, à savoir :

  • le demandeur;
  • le représentant de l'Etat dans le département ;
  • les membres de la CDAC ;
  • les professionnels "dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet", ou toute association les représentants.

Pour les autres personnes, telles que les voisins au projet, il faudra patienter jusqu'à la délivrance du permis de construire pour envisager un recours. Cependant, il ne sera pas possible, pour ces derniers, de contester le permis en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale (article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme).

Ainsi, en pratique et dans la grande majorité des cas, la contestation des avis favorables des CDAC est le fait de concurrents situés dans la zone de chalandise du projet alors autorisé.

 

VI. Comment contester l'avis d'une CDAC ?

VI.1. Le point de départ du délai de recours varie selon la personne qui intente le recours.

Ainsi, pour les professionnels précités, à savoir pour l'essentiel les concurrents, le point de départ du délai est la plus tardive des deux mesures de publicité de l'avis favorable. L'article R. 752-30 du code de commerce prend le soin de préciser que "le respect du délai de recours est apprécié à la date d'envoi du recours".

De la sorte, il est recommandé aux professionnels souhaitant contester l'avis favorable d'une CDAC, de saisir la CNAC par lettre recommandée avec accusé de réception.

Les échanges avec la Commission pour communiquer toutes pièces et écritures complémentaires au recours, le sont habituellement en la forme électronique par l'intermédiaire d'adresse email dédiée.

VI.2. Le requérant autre que le demandeur doit, aussi et parallèlement à cette saisine, notifier une copie du recours par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout autre moyen sécurisé, au bénéficiaire de l'avis favorable et ce, dans le délai de 5 jours (article R. 752-32 du code de commerce). A défaut, la saisine de la CNAC est irrecevable.

Enfin, la saisine la CNAC est, pour les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, un préalable obligatoire à l'éventuel recours contentieux dirigé contre le permis de construire en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale (article L. 425-4 du code de l'urbanisme).

 

VII. De quel délai la CNAC dispose-t'elle pour se prononcer sur le recours ?

La CNAC dispose d'un délai de 4 mois à compter de la réception du recours pour se prononcer.

A l'expiration de ce délai et en l'absence de tout avis exprès, l'avis de la CDAC est réputé implicitement confirmé.

Conformément aux règles propres aux recours préalables obligatoires, l'avis de la CNAC se substitue à celui de la CDAC.

En cas d'avis favorable, et lorsque le projet satisfait au règles d'urbanisme, l'autorité compétente délivre le permis de construire. Comme il est dit ci-avant, ce permis de construire tient alors lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

 

VIII. Comment contester un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ?

Seul le permis de construire peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En application de l'article L. 600-10 du code de l'urbanisme, "les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale". Est territorialement compétente, la Cour dans le ressort de laquelle est située la CDAC ayant rendu l'avis favorable (article R. 311-3 du code de justice administrative).

Ainsi et par exemple, lorsqu'un permis de construire a été délivré sous le bénéfice d'un avis favorable de la Commission départementale d'Indre et Loire, seule la Cour administrative d'appel de Nantes est territorialement compétente pour statuer sur un recours dirigé contre le permis de construire.

Le délai de recours est, classiquement en la matière, de deux mois "à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain" du panneau réglementaire (article R. 600-2 du code de l'urbanisme).

Cette requête doit impérativement et conformément à l'article R. 600-1 du même code, être notifiée à l'auteur de l'arrêté de permis de construire et au titulaire de l'autorisation. Il s'agit, à nouveau, d'une formalité exigée à peine d'irrecevabilité de la requête.

Attention : lorsque la requête est le fait d'un concurrent mentionné à l'article L. 752-17 du code de commerce, il n'est pas possible de contester la régularité du permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation de construire. A l'inverse, lorsque le recours est le fait d'un voisin, son intérêt à agir est seulement "urbanistique" de sorte qu'il ne peut pas contester le permis en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale. C'est le sens des dispositions de l'article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme.

Au demeurant la Cour administrative d'appel de Nantes a récemment jugé qu'un concurrent visé à l'article L. 752-17 du code de commerce ne peut pas se prévaloir de sa seule qualité de voisin pour contester le permis de construire en tant qu'il vaut autorisation de construire, de sorte qu'à défaut de saisine préalable de la CNAC, sa requête est irrecevable :

5. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'un professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet n'est recevable à contester un permis de construire délivré à un concurrent qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale ; 

6. Considérant que pour contester le permis de construire délivré le 9 septembre 2015 à la société Saint-Doulchard Distribution pour la réalisation d'un centre commercial d'une surface de plancher totale de 24 195,23 m², composé d'un hypermarché E. Leclerc de 5 999 m², de 8 cellules commerciales sous la même enseigne d'une surface de vente de 1 367,50 m² et de 5 boutiques d'une surface totale de vente de 275 m², la société Distribution Casino France, qui exploite un magasin Géant Casino situé à 2 km, se prévaut de sa seule qualité de voisin et précise d'ailleurs expressément qu'elle n'entend contester cette décision qu'en tant qu'elle vaut autorisation de construire ; que par suite, sa requête est irrecevable et ne peut qu'être rejetée ; 

Cour administrative d'appel de Nantes, 25 janvier 2018, n° 17NT01192.

Cette solution paraît de prime abord sévère en ce qu'elle ferait obstacle à toute possibilité de contester l'autorisation de construire pour un concurrent susceptible de justifier d'un intérêt à agir au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme.

Pour autant, la difficulté en résultant ne paraît pas dirimante. Il pourrait être envisagé de distinguer selon que le recours est présenté par le propriétaire du local commercial (le plus souvent une société civile immobilière), et la société commerciale exploitant ce local. La première pourrait justifier d'un intérêt à agir au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme lui permettant alors de contester par la voie du recours par excès de pouvoir le permis de construire en tant qu'il vaut autorisation de construire, tandis que la seconde devrait suivre la procédure de saisine préalable de la CNAC avant d'envisager une requête en excès de pouvoir contre le permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Le recours de ces deux entités devrait alors permettre aux concurrents situés à proximité du projet autorisé, de contester le permis de construire en tant qu'il tient lieu d'autorisation de construire et en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.


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