Article publié dans la Nouvelle République du 19 octobre 2022.

Rappel de la question :

« Deux amies pratiquant la marche à pied, l’une d’elles accompagnée de sa petite chienne, à quelques kilomètres de chez elles, ont été agressées par deux chiens qui divaguaient. La première qui portait des bottes a été écorchée, la seconde a été mordue à la jambe gravement, une belle entaille, soignée pendant plus d’un mois. Ces chiens d’après les voisins du propriétaire, n’en sont pas à leur coup d’essai, les autres victimes n’ayant jamais déposé plainte, d’après ces voisins, elles auraient été menacées par le propriétaire.

Mes deux amies ont déposé plainte à la gendarmerie, sans se porter partie civile, ce qui est à mon sens à tort. Un mois plus tard, le procureur a classé l’affaire sans suite, et a fait prévenir les victimes de sa décision par la gendarmerie.

Mes deux amies ont fait intervenir leur assurance par le biais de la protection juridique, les avocats de ces assurances n’arrivent pas à obtenir l’adresse de l’assurance du propriétaire des chiens, il se refuse à la donner.

Comment se fait-il que la justice n’arrive pas à contraindre celui-ci à communiquer ses adresses ?

Depuis cette date, aucune avancée. Quelle est solution la solution ? Doivent-elles déposer une deuxième plainte avec constitution de partie civile ? »

*

Madame, Monsieur,

Les questions ci-dessus rappelées et soumises à mon appréciation appellent de ma part les réponses qui suivent.

1.

De manière générale, rien ne contraint vos amies à agir exclusivement contre l’assureur du propriétaire des chiens, de sorte qu’elles peuvent naturellement et en cas de difficulté à obtenir l’identité dudit assureur, concentrer leurs actions contre le propriétaire dont l’adresse et donc, l’identité, sont connues ou facilement identifiables.

A mon sens et en l’état, elles disposent des actions et options suivantes dont les chances de succès pourraient être conditionnées par les résultats d’une expertise pour chiffrer les préjudices corporels:

  • Se constituer partie civile pour déclencher l’action pénale.

Le classement sans suite par le Procureur de la République de la plainte déposée par vos deux amies ne met pas définitivement un terme à toute action pénale à l’encontre du propriétaire des deux chiens.

Il est possible de mettre en mouvement l’action publique par 

  • Une plainte avec constitution de partie civile auprès du Doyen des juges d’instruction compétent, lequel va instruire le dossier et décider, le cas échéant, de renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel (article 85 du code de procédure pénale) ;
  • Ou une citation directe du propriétaire des chiens devant le tribunal correctionnel compétent, ceci selon le formalisme prévu par les articles 550 et suivants du code de procédure pénale.

Si elles privilégient l’action pénale, il faudra opter pour l’une ou l’autre de ces alternatives selon les pièces de leur dossier et les conseils de leur Avocat. Aussi, elles devront agir impérativement dans le délai de prescription de l’action publique de six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

D’un point de vue procédural et sauf obtention de l’aide juridictionnelle, elles seront également soumises au versement d’une consignation dont le montant est fixé selon leurs ressources (articles 88 et 392-1 du code de procédure pénale).

Il leur sera encore possible de saisir le Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions (SARVI) pour obtenir le versement des condamnations pécuniaires pour l’hypothèse où le propriétaire serait insolvable.

  • Actionner la responsabilité civile du propriétaire ou du gardien des chiens devant le tribunal judiciaire pour obtenir la réparation de leurs préjudices.

Il s’agit alors de délivrer assignation au propriétaire, ou de leur gardien, de comparaître à l’effet de voire juger, par le tribunal, les demandes de réparations des préjudices directement subis. Elles pourraient aussi et judicieusement solliciter la condamnation du propriétaire, sous astreinte, de communiquer son attestation d’assurance.

Leurs demandes de réparation des préjudices seraient pertinemment présentées sur leur fondement de l’article 1243 du code civil organisant une responsabilité de plein droit du gardien d’un animal responsable d’un dommage ; le propriétaire étant présumé gardien de l’animal.

L’exercice de cette action est enfermé dans un délai de prescription de cinq années à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, soit en l’espèce, à compter du jour de l’incident à compter de la survenance du dommage (article 2224 code civil).

Dans un arrêt récent rendu au visa des dispositions précitées, la Cour d’appel de POITIERS a jugé dans les termes suivants qui synthétisent bien la mécanique de ce régime juridique :

« L’article 1243 du code civil dispose que le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.

La responsabilité du gardien est une responsabilité de plein droit. La preuve d’une faute est inutile, l’absence de faute inopérante.

Cette responsabilité est fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent.

Le gardien ne peut s’exonérer de sa responsabilité que pa run fait extérieur, imprévisible, irrésistible.

Il est de droit constant que la responsabilité d’un dommage survenu à l’occasion de l’action commune de deux animaux incombe au propriétaire de chacun d’eux à moins qu’il ne rapporte la preuve que le sien n’a pas participé à la réalisation de ce dommage ou qu’il ne s’exonère de sa responsabilité par un fait extérieur, imprévisible et irrésistible. » CAPoitiers, 1re ch., 10 mai 2022, n° 20/01817.

2.

Enfin, il me faut encore préciser qu’il est probablement indispensable de signaler ces morsures auprès du Maire de la commune de résidence du propriétaire des chiens.

Ce signalement incombe au propriétaire des chiens ainsi qu’à tout professionnel ayant eu connaissance de l’incident (article L.211-14-2 du code rural et de la pêche maritime).

Dès lors que ces chiens n’en sont pas à leur coup d’essai, ce signalement et les mesures précitées n’ont probablement pas été réalisés puisque, dans le cas contraire, le propriétaire des chiens est contraint à une évaluation comportementale des chiens pendant une période de surveillance.

Pour l’hypothèse où le propriétaire ne respecte pas ses obligations, il peut être ordonné par arrêté du maire ou du Préfet le placement des animaux dans « un lieu de dépôt adapté ». L’euthanasie peut par ailleurs être envisagée en cas de danger grave et immédiat et après avis d’un vétérinaire désigné par le Préfet.

 

Maître Nicolas FORTAT, Avocat associé

Maître Antonin LIAUD, Avocat collaborateur

fortat.nicolas@avocat-conseil.fr

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