Lorsqu’une entreprise voit partir des collaborateurs clés, souvent suivis de clients fidèles, des interrogations légitimes surgissent : s’agit-il d’une concurrence normale ou d’une concurrence déloyale ? Ces situations, malheureusement fréquentes, touchent des secteurs aussi divers que les services, l’industrie ou la construction, et font souvent apparaître des comportements aux frontières de la légalité.

 

Ce que recouvre réellement la concurrence déloyale

La concurrence n’est pas prohibée en soi. Ce qui l’est, en revanche, c’est la déloyauté dans son exercice : manœuvres frauduleuses, détournement de clientèle, dénigrement, ou encore non-respect des règles de la profession. Autant de comportements qui engagent la responsabilité civile de leur auteur et justifient une action en justice.

La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé dans un arrêt rendu à propos du marché des éditeurs juridiques (CA Paris, 7 mai 2025, n° 23/06063) les contours de trois notions parfois confondues : la concurrence déloyale, les pratiques commerciales trompeuses, et le parasitisme.

 

Quatre pratiques à surveiller de près

1. La violation des règles du commerce :
Un concurrent qui exerce sans respecter les règles propres à un marché — par exemple, un maître d’œuvre intervenant sans assurance ou sans garanties obligatoires inhérentes au contrat de construction de maison individuelle — peut être sanctionné pour concurrence déloyale.

2. Le détournement de la clientèle

L’appropriation ou l’utilisation, par d’anciens salariés ou partenaires, de fichiers clients, devis, bases de données, voire d’e-mails professionnels contenant des informations stratégiques, constitue l’un des cas les plus typiques de concurrence déloyale. Il n’est pas nécessaire que ces personnes soient liées par une clause de non-concurrence : la simple exploitation d’informations confidentielles, obtenues dans un cadre de confiance, peut caractériser une faute civile. La Cour de cassation l’a rappelé à plusieurs reprises : la détention et l’usage non autorisé de fichiers commerciaux justifie une action (Cass. com., 6 avril 2022, n° 21-11434 ; 1er juin 2022, n° 21-11921 ; 7 septembre 2022, n° 21-13505).

3. Les pratiques commerciales trompeuses :
Celles-ci incluent toute communication susceptible d’induire en erreur un consommateur, altérant ainsi son comportement économique.

4. Le parasitisme économique :
Il s’agit de capter indûment la valeur créée par un concurrent — notoriété, savoir-faire, investissement — sans effort propre (Cass. com., 26 juin 2024, 22-17647, publié au bulletin).

 

Agir efficacement : le rôle central de la preuve

Toute action repose sur la démonstration d’une faute. La jurisprudence permet heureusement d’établir cette faute par présomptions graves, précises et concordantes, notamment grâce à des mesures d’instruction préalables.

Ainsi, un transfert massif de fichiers ou d’informations confidentielles effectué par un salarié peu avant son départ peut suffire à justifier l’intervention d’un commissaire de justice (assisté d’experts techniques, voire des forces de l’ordre) dans un cadre strictement encadré, mais d’une efficacité redoutable.

Ces investigations peuvent viser non seulement la nouvelle société employeuse, mais aussi le domicile privé des anciens salariés, même en l’absence de clause de non-concurrence.

 

Une stratégie juridique qui se prépare

Réagir à temps est essentiel. L’efficacité d’une action repose souvent sur la capacité à anticiper, à sécuriser la preuve, et à circonscrire précisément les recherches. Mal préparée, une mesure d’instruction peut être annulée. Bien conduite, elle ouvre la voie à une action au fond solide et légitime.