On sait qu'en cas d'embauche d'un étranger sans titre, l'administration (l'OFII, et aujourd'hui le Ministre de l'Intérieur) peut émettre une importante amende contre l'employeur.

Au delà des moyens de défense classiques sur le fond (le salarié a fourni une fausse carte d'identité d'un Etat membre de l'Union ou un faux titre de séjour; la personne visée n'était pas employée ...) ou sur la procédure (méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense), les victimes de cette amende tentent souvent de plaider une réduction du montant de celle-ci en faisant valoir leur bonne foi.

Mais en vain ... Une telle demande est clairement peine perdue puisque les juridictions administratives répètent inlassambelemnt depuis de nombreuses années que : « le législateur n'ayant pas prévu d'autre modulation de la sanction que celle que comportent les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail (...) il n'appartient pas au juge administratif d'atténuer ou d'en moduler le montant » (ex : CAA Paris, 3 décembre 2020, n° 19PA03763).

Toutefois, cela pourrait bien changer et même pour les instances atuellement en cours devant les juridictions administratives !

En effet, il est de jurisprudence constante que les « contributions » spéciales et forfaitaire émise sur le fondement des dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail sont des sanctions administratives sur lesquelles le juge administratif statue comme juge de plein contentieux.

A cet égard, le Conseil d’État a par exemple jugé :

« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conclusions présentées par la société française des travaux de la Guyane dans la demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de la Guyane tendaient à l'annulation de la décision mentionnée au point 1. Il appartenait dès lors au tribunal administratif d'y statuer comme juge de plein contentieux, quelle qu'ait pu être la présentation que la société requérante avait faite de sa contestation. Par suite, en jugeant que le tribunal administratif avait pu à bon droit opposer à la demande de cette société, pour la rejeter comme irrecevable, une " exception de recours parallèle " au motif que la requérante s'était à tort placée dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, la cour a commis une erreur de droit. La société française des travaux de la Guyane est, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque » (CE, 28 mai 2021, n° 439276).

D’ailleurs, concernant l’office du juge, le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser que :

« Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions citées au point 2, ou en décharger l'employeur » (CE, 12 avril 2022, n° 449684, B).

Or, le principe, en matière de plein contentieux, et notamment pour les sanctions administratives, est celui de l’application immédiate de la loi pénale plus douce (rétroactivité « in mitius »), garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que par les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En effet, depuis le célèbre arrêt Société Atom, le Conseil d’État estime que :

« Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue ; que, par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux » (CE, 16 février 2009, n° 274000).

Toutefois, il est parfois compliqué de déterminer ce qui relève d’une « loi pénale plus douce ».

En ce qui concerne notre sujet, la très décriée loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 a été récemment adoptée puis promulguée. Et l’article 34 de cette loi modifie profondément le système des sanctions de l’article L. 8253-1 du code du travail.

Assez incontestablement, cette loi constitue une « loi pénale plus douce » et ce, à au moins deux titres :

  • D’abord, car le nouvel article L. 8253-1 du code du travail prévoit désormais un pouvoir de modulation de la sanction à l’autorité administrative :

« Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière. Le montant de l'amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux ».

Or, la Cour administrative de Marseille a déjà jugé qu’une loi qui introduit un pouvoir de modulation d’une amende administrative constituait bien une loi "plus douce" :

« le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration était tenu de faire application de cet article R. 8253-2 dans sa rédaction la plus récente dès lors que ces dispositions, qui ont tenu compte de la modification de l'article L. 8253-1 résultant de l'article 42 de la loi du 29 décembre 2012, prévoyaient désormais la possibilité de moduler la sanction et constituaient donc une loi plus douce » (CAA Marseille, 23 février 2018, n° 16MA03940 ; v. dans le même sens : CAA Marseille, 1er décembre 2017, n° 16MA00220).

  • Ensuite car le VII de l’article 34 de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 procède à l’abrogation de « La section 2 du chapitre II du titre II du livre VIII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » qui concerne la contribution forfaitaire.

Ainsi, au regard de ces développements, il est clair que les juridictions administratives doivent faire application de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 en modulant le montant de l'amende.