Dans un arrêt du 22 février 2024, la Cour d’Appel de Pau a estimé, conformément à sa jurisprudence antérieure, que « les inspecteurs du recouvrement ne sont pas autorisés à solliciter des documents d'un salarié de l'employeur qui n'a pas reçu délégation à cet effet, et a fortiori, d'un tiers » (CA Pau, ch. soc., 22 févr. 2024, no 21/04175).

La Cour de cassation le martèle : « les dispositions qui confèrent aux agents de contrôle des pouvoirs d'investigation sont d'application stricte » (Cass.soc., 28 nov. 1991, no 89-11.287 ; Cass. soc., 10 mai 2005, no 04-30.046 ; Cass. soc., 19 sept. 2019, no 18-19.929).

Qui plus est, les règles du code de la sécurité sociale sont des règles d’ordre public, ce qui exclut toute possibilité, pour l'assuré et les organismes de sécurité sociale, d'aménager à leur guise leurs rapports juridiques ; l'Urssaf ne peut donc conclure de conventions de droit privé pour adapter, ou faciliter, les modalités de son contrôle ou du chiffrage du redressement (TJ Lyon, pôle soc., 6 mai 2020, no 14/02654 ; TGI Lyon, pôle soc., 13 sept. 2019, no 16/03412 ; position confirmée par la cour d'appel : CA Lyon, ch. soc. D protection sociale, 18 janv. 2022, no 20/03748).

Ainsi, et s'il est clair que « si les dispositions de l'article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale ne font pas obstacle à ce que l'inspecteur du recouvrement, à réception de la réponse de l'employeur dans le délai de trente jours, puisse demander des justificatifs complémentaires et, tenant compte des éléments recueillis relatifs à un chef de redressement notifié dans la lettre d'observations, lui indiquer que ceux-ci conduisaient à une minoration du redressement envisagé sans envoyer une nouvelle lettre d'observations, elles n'autorisent pas l'agent chargé du contrôle à solliciter d'un tiers à l'employeur [en l'occurrence un expert-comptable] des documents qui n'avaient pas été demandés à ce dernier » (Cass. 2e civ., 20 mars 2008, no 07-12.797 ; voir dans le même sens : CA Douai, ch. soc., 21 déc. 2012, no 11/00504 ; CA Toulouse, ch. 3, 15 juin 2016, no 16/00317 ; CA Paris, pôle 6, ch. 12, 1er mars 2018, no 14/06648).

Or, dans cette affaire devant la Cour d’appel de Pau, l'employeur avait produit divers échanges de courriers électroniques, entre l'inspecteur de l’URSSAF Aquitaine ayant procédé au contrôle et la comptable du groupe de sociétés auquel appartenait la société contrôlée, mais qui n'était donc pas salariée de la société.

Pour se sortir de ce mauvais pas, l'URSSAF se prévalait de la théorie du mandat apparent (C. civ., art. 1985 et 1998). Cependant, comme le rappelle la cour d'appel de Pau, une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent que « lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ».

Or, en l'espèce, aucune preuve de l'URSSAF n'était apportée en ce sens. En particulier, selon la Cour d’appel de Pau, le seul fait que l'interlocutrice de l'URSSAF disposait d'une adresse mail au nom de la société contrôlée était insuffisant à établir l'existence d'un mandat apparent.

Qui plus est, et circonstance aggravante pour l'URSSAF d’Aquitaine, on sait qu'est nul un redressement dès lors qu'un inspecteur du recouvrement a utilisé des documents qui lui ont été transmis même par des salariés qui n'avaient pas le pouvoir d'engager l'entreprise. Or, tel était le cas en l'espèce (on relèvera d'ailleurs que la Charte du cotisant contrôlé, dans sa version issue de l'arrêté du 30 janvier 2024, au JO du 6 février, indique désormais qu'il revient au cotisant de désigner, en amont ou dès le démarrage du contrôle, des interlocuteurs- salariés de l'entreprise ou personnes mandatées - qui auront la capacité de transmettre les données utiles à l'agent chargé du contrôle pour l'exercice de ses missions).

Ce point est cardinal et trop peu souvent évoqué lors des contentieux. Dans l'immense majorité des situations, l'URSSAF ne procède en effet à aucun formalisme pour demander des pièces par mail à des salariés, en invoquant la notion de mandat apparent.

Et pourtant, des décisions censurent de telles pratiques (voir ainsi CA Amiens, 19 sept. 2021, no 10/04496 ; CA Amiens, 17 sept. 2021, no 19/04496 où l'Urssaf ne s'était pas assurée de l'accord du représentant légal de la société pour utiliser les méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation, se contentant de l'accord du directeur administratif et financier - voir également : Cass. 2e civ., 28 sept. 2023, no 21-21.633 ; Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, no 12-17.939 et 12-17.940 ; CA Angers, ch. soc., 12 janv. 2016, no 13/02416 ; CA Angers, ch. soc., 12 janv. 2016, no 13/02414 : est nul un redressement dès lors qu'un inspecteur du recouvrement a utilisé des documents qui lui ont été transmis par des salariés qui n'avaient pas le pouvoir d'engager l'entreprise, CA Pau, ch. soc., 20 juill. 2023, no 20/00778).

Reste un dernier point à résoudre. La Cour d'appel de Pau censure les pratiques de l'Urssaf en relevant que l'interlocutrice de l'organisme de recouvrement n'était ni salariée de la société, « ni détentrice d'une quelconque délégation écrite de pouvoir émanant du dirigeant de la société contrôlée ». Cela signifie-t-il que la solution aurait pu être différente si la personne en question avait été détentrice d’une délégation de pouvoir de la part du dirigeant ?

La question reste en suspens et n’est pas tranchée.

Nicolas Taquet, avocat au barreau de Pau