"Le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n’a droit, au titre de cette nullité, qu’à la rémunération qu’il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective."

C’est un arrêt surprenant que celui rendu le 13 janvier 2021 par la Cour de cassation.

Les faits :

Un salarié avec 3 ans d’ancienneté sollicite début 2011 le paiement de certaines sommes et la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

En juillet 2011, alors que le conseil de prud’hommes n’a pas encore statué, l’employeur décide de licencier le salarié.

Le demandeur va alors modifier ses demandes pour y inclure à titre subsidiaire que son licenciement soit reconnu comme étant sans cause réelle et sérieuse.

En mars 2016, 5 ans après le licenciement le salarié va solliciter que son licenciement soit considéré comme nul.

Enfin en 2018, le salarié va demander sa réintégration (puisqu’il considère que son licenciement est nul).

Procédure :

La Cour d’appel de Paris qui statue sur renvoi estime que le licenciement est nul. En conséquence, elle condamne l’employeur à réintégrer son salarié et à lui verser la somme colossale de plus d’un million d’euros de dommages et intérêts correspondant (entre autres) aux salaires non perçus depuis le licenciement.

L’employeur se pourvoi en cassation pour deux motifs :

  • D’une part, il estime que le salarié ne pouvait pas se contredire au détriment d’autrui et qu’en conséquence il ne pouvait pas après avoir demandé durant plusieurs années que son licenciement soit qualifié de sans cause réelle et sérieuse changer d’avis et demander la nullité du licenciement ;
  • D’autre part, il affirme que le salarié ne pouvait que réclamer les salaires qu’à partir du moment où il avait sollicité sa réintégration (en 2018) et qu’en conséquence la Cour d’appel ne pouvait pas le condamner au paiement des salaires à compter de 2011.

La décision de la Cour :

La Cour va rejeter le premier moyen en estimant que l’employeur n’avait jamais formulé de fin de non-recevoir devant les juridictions du fond.

Cependant, les juges du droit vont casser l’arrêt d’appel en estimant que « Le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n’a droit, au titre de cette nullité, qu’à la rémunération qu’il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective. »

Les deux réponses de la Cour sont intéressantes.

La première car elle n’exclue pas totalement le recours à l’estoppel (l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui). Elle rappelle simplement à l’employeur que s’il souhaitait opposer une fin de non-recevoir, encore fallait-il le faire devant la Cour d’appel.

La seconde car elle vient limiter de façon très importante les indemnités qui seront perçues par le salarié.

Il faut se souvenir que la solution classique en cas de demande de réintégration est la suivante :

  • « Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé » Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 30 septembre 2010, 08-44.340,

Bien qu’il faille se féliciter de la solution rendue par la Cour (une condamnation à plus d’un million d'euros de dommages et intérêts pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse semble déraisonnable) le raisonnement de la Cour me parait trop artificiel.

La Cour semble déduire du délai qui s’est écoulé entre l’introduction de l’instance et la première demande de réintégration que le salarié a commis un abus de droit.

Or, non seulement le salarié n’était pas prescrit et il pouvait donc formuler cette nouvelle demande, mais en sus cette demande bien que tardive n’a vraisemblablement eu aucune conséquence sur l’attitude de l’employeur.

En effet, si le salarié avait formulé cette demande dès son licenciement, la décision de la Cour d’appel aurait été la même, le licenciement aurait été déclaré nul. Le retard dans la demande du salarié n’avait donc aucune conséquence l’employeur avait eu le temps de présenter sa défense.

Olivier Javel

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