EXPROPRIATION : Des nouveautés dans la Procédure d’appel

1°) Délai pour communiquer ses pièces en appel

Par un arrêt de la 3e chambre civile du 16 janvier 2025 n°23-20.295, la Cour de cassation a rendu un arrêt important relatif à la procédure d’appel en matière d’expropriation en autorisant un intimé à produire les pièces venant au soutien de son mémoire au-delà du délai de 3 mois prévu pour conclure par l’article R.311-26 du code de l’expropriation.

La demande faite à la Cour était la suivante :

Les propriétaires faisaient grief à l’arrêt de déclarer leur appel caduc, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ».

Que le droit à un procès équitable implique l’accès au juge.

Que selon l’article R. 311-26 du code de l’expropriation, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

Que ce texte répond à un double objectif de respect des droits de la défense et de célérité de la procédure, en considération duquel il est susceptible de satisfaire aux exigences du procès équitable.

Qu’il résulte des énonciations de l’arrêt qu’en l’espèce, l’appelant a transmis au greffe ses conclusions, en autant d’exemplaires que de parties plus un, dans les trois mois de sa déclaration d’appel, mais n’a transmis au greffe les pièces visées dans ses conclusions sur lesquelles il fondait ses prétentions qu’après l’expiration de ce délai de trois mois, lesdites pièces ayant, cependant, pour l’essentiel, déjà été régulièrement versées aux débats en première instance.

Qu’en retenant qu'« il est inopérant, pour les appelants, de faire valoir que la plupart des pièces visées dans leurs conclusions d’appel avaient déjà été produites en première instance, l’appelant devant déposer ou transmettre à la cour dans le délai imparti toutes les pièces qu’il entend invoquer, y compris celles déjà déposées en première instance », la cour d’appel a fait application d’une sanction disproportionnée au but poursuivi par le texte précité .

Qu’elle a ainsi violé l’article R. 311-26 du code de l’expropriation, ensemble l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La réponse de la Cour de cassation est la suivante :

Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :  

Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

Aux termes du second, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

Jusqu’à présent, la Cour de cassation jugeait, en matière d’expropriation, que l’appelant qui dépose les pièces produites au soutien de son mémoire après l’expiration du délai prévu pour conclure, était déchu de son appel (3e Civ., 29 février 2012, pourvoi n° 10- 27.346), y compris lorsque celles-ci étaient identiques à celles produites en première instance (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-50.039 ; 3e Civ., 27 avril 2017, pourvoi n° 16-11.078).

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A n° 333-B).

Si ce droit n’est pas absolu et peut donner lieu à des limitations, celles-ci ne sauraient restreindre l’accès au juge d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.

En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Zubac c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 78, 5 avril 2018).

Si l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces lorsque les conclusions ont été communiquées dans le délai ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

 En conséquence, il doit être jugé que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

Les mêmes considérations conduisent à énoncer que l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé n’est encourue que lorsque celui-ci n’a pas conclu dans le délai prévu par le même texte, la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

Ces nouvelles règles de procédure, en ce qu’elles garantissent l’accès au juge, sont d’application immédiate.

Il en résulte qu’en déclarant l’appel caduc, la cour d’appel a violé les textes susvisés et la Cour a donc cassé et annulé l’arrêt d’appel de Poitiers et renvoyé devant la Cour d’Appel de Bordeaux.

Cet arrêt constitue un revirement et une nouvelle application de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en matière de droit de l’expropriation pour un procès équitable.

 

2°) Délai pour conclure : Point de départ du délai d'appel 

Au cas d’espèce, la société Etablissements Moncassin faisait grief à l’arrêt de déclarer caduc son appel, alors « que lorsque l’appel est interjeté par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, c’est à compter de la réception de cette lettre par le greffe de la cour d’appel que court le délai de trois mois imparti à l’appelant pour déposer ou adresser ses conclusions et les documents qu’il entend produire. »

La Cour d’appel avait en effet retenu que les Etablissements Moncassin avaient un délai de trois mois pour conclure qui courait de l’expédition de leur déclaration d’appel le 15 juillet 2020 et qui expirait donc le 15 octobre 2020, la date d’enregistrement par le greffe étant sans incidence à cet égard.

La Cour de cassation a alors rappelé qu’aux termes de l’article R. 311-26, alinéa 1er, du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

Il résulte ensuite de l’article R. 311-29 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique que, sous réserve des articles R. 311-24 à R. 311-28, R. 311-19, R. 311-22 et R. 312-2 du même code, la procédure devant la cour d’appel statuant en matière d’expropriation est régie par les dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile.

Enfin, selon l’article 930-1, alinéa 3, du Code de procédure civile, il est prévu que lorsque la déclaration d’appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l’acte à la date figurant sur le cachet du bureau d’émission.

Jusque-là, le juge du droit retenait en effet que :

  • En matière d’expropriation, le délai pour déposer ou adresser le mémoire d’appel au greffe de la cour d’appel courait à compter de la date de réception, par le greffe, de l’appel formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (Cass, Civ, 3ème, 20 octobre 1981, n° 80-70.328 ; Cass, Civ, 3ème, 11 mai 2006, n° 05-70 ; Cass, Civ, 3ème, 22 juin 2023, n° 22-15.569).
  • En matière de procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire, ce point de départ était fixé au jour de l’expédition de cette lettre (Cass, Civ, 2ème, 9 janvier 2020, n° 18-24.107).

Au regard de l’objectif d’harmonisation et de simplification des charges procédurales pesant sur les parties, la Cour de cassation a conclu qu’il devait désormais être jugé que le délai de trois mois accordé à l’appelant, à peine de caducité, pour adresser au greffe son mémoire d’appel et les documents qu’il entend produire, court à compter de l’expédition de la déclaration d’appel par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il y a tout de même lieu de préciser que dans le cadre de cette affaire, la Cour de cassation a considéré que l’application immédiate de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutirait à priver la société Etablissements Moncassin, qui n’a pu raisonnablement anticiper ce revirement de jurisprudence, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge.

En résumé, le juge du droit modifie sa jurisprudence sur le point de départ du délai d’appel en expropriation, mais refuse d’appliquer immédiatement ce revirement pour préserver les droits de la partie qui n’a pu l’anticiper.

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