Article co-rédigé avec Me Cécilia MOTA
Depuis plus de vingt ans désormais, les juridictions sociales sont régulièrement saisies de demandes à titre de harcèlement moral.
Cette tendance ne faiblit pas, la crise COVID ayant même fait émerger des nouvelles situations susceptibles de générer une « souffrance au travail », notamment en lien avec le développement du télétravail.
Cette multiplication des contentieux sur ce thème peut également trouver sa source dans une volonté de tenter d’échapper aux limitations indemnitaires posées par le barème Macron, puisque la démonstration d’une situation de harcèlement moral permet de retenir la nullité d’une mesure de sanction ou de licenciement.
Dans ce contexte, les différents certificats médicaux produits par le plaignant sont souvent judiciairement déterminants.
L’employeur a cependant la possibilité de remettre en cause ces pièces médicales lorsque celles-ci sont « tendancieuses » et/ou « de complaisance ».
Rappel du cadre juridique du harcèlement moral
Le harcèlement moral se définit comme le fait pour un salarié de subir des agissements répétés « … qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel … » (article L. 1152-1 du Code du travail).
Ainsi, l’un des éléments constitutifs essentiels du harcèlement moral repose sur la démonstration d’un impact des agissements répétés sur l’état de santé du salarié.
Dans ce cadre, les pièces de nature médicale sont indispensables pour que la demande du salarié soit consistante et puisse avoir des chances d’aboutir à la condamnation de l’employeur.
Du point de vue de l’employeur, les éléments médicaux paraissent délicats à combattre, puisqu’ils relèvent du domaine réservé des médecins et de la pratique médicale.
Or, cela peut être considéré par l’employeur comme une profonde injustice et un procès à charge, en particulier en matière de risques psychosociaux, d’autant plus lorsqu’il est manifeste que le document médical a été établi à la demande expresse du salarié.
Cela étant, la profession de médecin, omnipraticienne ou spécialisée, est réglementée et elle n’échappe pas au respect de certaines règles de déontologie, dont les employeurs peuvent tirer profit si le médecin a été imprudent et/ou se met en faute sur la rédaction de son certificat.
Le principe déontologique
En effet, les certificats médicaux et plus largement, les documents médicaux pouvant être communiqués au patient (certificats, attestations, arrêts de travail, soit-transmis à médecins spécialistes ou au médecin du travail, etc) ne doivent contenir que des informations que le médecin peut constater.
C’est l’article 28 du code de déontologie des médecins, repris au sein le Code de la santé publique, qui indique clairement que « La délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite » (article R. 4127-28 du Code de la santé publique).
La jurisprudence de la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins et des conseils régionaux de l’Ordre des médecins en la matière est abondante et accessible en libre accès en ligne sur une base de données dense et très bien référencée (http://www.jurisprudence.ordre.medecin.fr/RechercheSimple.do).
C’est le cas en matière de « souffrances au travail », au sujet desquelles la jurisprudence ordinale est limpide : le médecin n’a pas le droit, déontologiquement, de reprendre à son compte les propos relatés par son patient, salarié, qu’il ne pourrait pas lui-même constater.
Quelles conséquences ?
En cas de violation de l’interdiction de délivrer des rapports « tendancieux » et des certificats de « complaisance », le médecin peut être poursuivi devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins dont il dépend, à l’initiative de toute personne y ayant intérêt.
Cela est évidemment le cas lorsque l’employeur se voit opposer, dans une procédure judiciaire en matière de conflits au travail, d’accidents du travail, de maladies professionnelles ou de faute inexcusable, ce document médical comme preuve des conséquences d’un comportement de l’employeur.
L’employeur a donc tout intérêt à se saisir de cette situation et contester le document médical tendancieux ou complaisant.
Et en pratique, comment faire ?
Le processus est simple. Il suffit d’adresser une plainte devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins (CDOM) compétent à l’encontre du médecin rédacteur, par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le CDOM convoquera alors médecin et plaignant, ainsi que leurs représentants et/ou avocats, à une audience de conciliation, à l’occasion de laquelle chacun peut émettre des observations écrites et pourra être entendu.
En pratique, les CDOM font preuve de pédagogie à l’égard des soignants qui, bien souvent, ont été simplement imprudents dans la rédaction de leurs certificats et ne réalisent pas que leur travail est instrumentalisé dans le cadre d’un procès.
Dans ce cadre et de manière quasiment systématique, le médecin rectifie à l’audience le contenu de son certificat médical avec les précautions d’usage, afin de se mettre en conformité avec ses règles déontologiques.
Le procès-verbal de conciliation emportant rectification du certificat médical litigieux établi devient alors une pièce importante du dossier prud’homal permettant de contrebalancer, du côté de l’employeur, la crédibilité du dossier du salarié.
En bref, il s’agit d’une démarche rapide, efficace et utile, qui permet à l’employeur d’obtenir de meilleures chances d’être entendu par le juge prud’homal, mais aussi de devenir un acteur du procès et ne plus avoir le sentiment de le subir.
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