Dans un arrêt du 6 mai 2014, la cour administrative d’appel de Paris rejette la requête d’un candidat évincé en raison de son offre anormalement basse. Elle précise ainsi qu’un délai de quatre jours est suffisant pour permettre au candidat de présenter utilement ses justifications et rappelle les conditions d’indemnisation du candidat évincé irrégulièrement.
Par un arrêt en date du 6 mai 2014, la cour administrative d’appel de Paris apporte des précisions sur l’étendue du délai à laisser au candidat lorsqu’il lui est demandé de justifier ses prix suspectés d’être anormalement bas et sur l’étendue des justifications que peut apporter le candidat.
En l’espèce, Pôle emploi avait lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence pour un marché public de services ayant pour objet l’insertion professionnelle de demandeurs d’emploi. Le TA avait fait droit à la demande de l’association. Le requérant conteste le rejet de son offre qualifiée d’offre anormalement basse, et notamment le délai qui lui a été laissé pour répondre, ainsi que le rejet de ses justifications par le pouvoir adjudicateur.
1) L’exigence d’un délai raisonnable permettant au candidat de présenter ses observations
Au préalable, rappelons que la procédure prévue par le Code des marchés publics dans le cadre d’une éviction d’une offre anormalement basse vise à mettre en place une procédure contradictoire, dans laquelle le candidat doit être mis en mesure de présenter ses justifications suite à l’information qui lui est donnée par le pouvoir adjudicateur quant à sa potentielle éviction. Une telle procédure exclut, par exemple, qu’il soit recourue à une formule mathématique pour exclure d’office une offre anormalement basse, sans avoir offert la possibilité au candidat d’apporter des explications (CE, 29 octobre 2013, Office public d’habitat Val d’Oise Habitat, n° 370789).
Pour autant, si le Code des marchés publics exige que le candidat puisse présenter ses observations dans le cadre de l’article 55, il n’apporte aucune précision sur le délai à laisser au candidat. Tout au plus peut on estimer qu’il doit s’agir d’un délai raisonnable afin de rendre cette possibilité réelle et effective.
En l’espèce, Pôle Emploi, après avoir détecté l’offre de l’association Frate Formation Conseil comme anormalement basse, a laissé quatre jours au candidat pour présenter ses observations. L’association contestant la brievété du délai, la cour y apporte les éléments de réponse suivant : « le délai de quatre jours qui a été laissé à l’association Frate Formation Conseil pour préciser les éléments de nature à justifier le prix qu’elle proposait était suffisant pour lui permettre de donner suite à la demande qui lui a été adressée par Pôle Emploi, s’agissant de précisions portant sur l’offre qu’elle venait d’élaborer et sur ses modalités de fonctionnement, et qui n’appelaient pas de réponses d’une particulière technicité ; que, d’ailleurs, l’association Frate Formation Conseil a adressé sa réponse dès le 6 juillet 2009, alors que le délai fixé n’expirait que le lendemain, sans jamais se plaindre auprès de Pôle Emploi de l’insuffisance du délai qui lui avait été fixé ; ».
La cour confirme ainsi le caractère suffisant du délai laissé par le pouvoir adjudicateur au candidat. On notera que le juge relève à la fois que les réponses à apporter n’étaient pas « d’une particulière technicité » ainsi que le fait que l’association avait répondu en temps et en heure « sans jamais se plaindre (…) de l’insuffisance du délai qui lui avait été fixé ». Le juge analyse ainsi in concreto le délai laissé au candidat, prenant en compte la complexité du marché et vérifiant que le candidat ait pu répondre. Il prend également en compte l’attitude du candidat qui ne s’est à aucun moment de la procédure, plaint du délai laissé par le pouvoir adjudicateur.
Difficile cependant de tirer de cette affaire une solution générale, on peut néanmoins conseiller aux pouvoirs adjudicateurs de veiller à adapter le délai laissé au candidat qu’ils suspectent d’être anormalement bas en tenant compte de la complexité du marché et des réponses à apporter. Rappelons également que d’un point de vue achat, un prix anormalement bas doit constituer une alerte qui doit amener l’acheteur à s’interroger sur la raison de ce prix. Celui-ci peut refléter soit la politique commerciale de l’entreprise qui souhaite s’installer sur un nouveau marché ou une innovation permettant la réduction des coûts, mais il peut également être la conséquence d’une mauvaise compréhension du besoin, ou plus grave, d’une santé financière incertaine ou d’un prix prédateur à l’égard du marché concurrentiel (Toute la fonction Achat, P. Petit, ed. Dunod, 2012). Enfin il peut également être la conséquence du non respect par le candidat de ses obligations en matière de cotisations sociales et de droit du travail.
L’association conteste également le fait que ses justifications n’aient pas été prises en compte par Pôle Emploi. En premier lieu, elle estime que ses justifications n’ont pas été prises en considération en raison du délai très bref intervenue entre les éléments de réponses apportés par elle, et la prise de décision du pouvoir adjudicateur. Ce moyen n’est pas retenu par le juge qui estime qu’au regard des justifications apportées et leur nature, ce dernier était en mesure de prendre sa décision dans le délai imparti. Conformément à ce qui est prévu par l’article 55, les éléments pouvant être pris en considération sont notamment relatifs aux modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation de service, les procédés de construction, les conditions favorables du marché, l’originalité de l’offre ou au fait que le candidat bénéficie d’une aide d’état.
Néanmoins, la charge d’apporter les éléments suffisant pour justifier ses prix pèsent sur le candidat. En l’espèce, en se limitant à évoquer « la permanence des locaux », « le statut à but non lucratif » de l’association ou encore le fait qu’elle ait été l’ancien attributaire du marché, l’association n’a pas apporté de justifications suffisantes.
Le juge relève également la « généralité » des justifications apportées ainsi que l’absence de précisions chiffrées ou encore de justificatifs comptables permettant d’appuyer les dires du candidat. L’arrêt apporte ainsi des précisions sur les éléments susceptibles de justifier les prix d’un candidat dont l’offre serait suspectée d’être anormalement basse. Il convient ainsi de ne pas se limiter à de simples déclarations, mais à apporter la preuve de la réalité des éléments justificatifs (éléments comptables, processus technique permettant la baisse des coûts...).
Certains des arguments invoqués en l’espèce n’étaient pourtant pas sans pertinence, le caractère non lucratif de l’association impactant certainement la marge attendue, tout comme le fait d’avoir été attributaire du marché, qui sans avoir d’incidence sur les obligations du titulaire, apporte sans aucun doute une connaissance antérieure des prestations attendues, voir un amortissement des investissements éventuels. Ces éléments ne suffisent toutefois pas au juge administratif pour caractériser l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration, le juge exerçant un contrôle restreint sur le choix du pouvoir adjudicateur. La cour estime donc que l’éviction de l’offre du requérant, qui étant d’environ 20 % inférieur à l’offre du candidat retenue après la phase de négociation ainsi qu’à l’estimation du pouvoir adjudicateur, était justifiée.
2) Le rappel des conditions permettant l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé
Enfin, la cour administrative d’appel rappelle enfin l’étendue du préjudice indemnisable du candidat irrégulièrement évincé dans le cadre d’une procédure d’offre anormalement basse. En premier lieu les juges rappellent que l’indemnisation est subordonnée à une chance de remporter le marché. Ensuite, le préjudice indemnisable est distinct selon que le candidat ait eu ou non une chance sérieuse de remporter le marché (CE, 29 décembre 2006, Société Bertele SNC, n°273783). Cette chance est en pratique appréciée au regard du classement du candidat (hormis le cas où son offre n’a pas été déclarée irrégulière, inacceptable et par conséquent n’a pas été classée). Dans le cas où l’offre n’a pas été notée il apparaît cependant plus difficile d’établir cette chance en l’absence de classement de l’offre, sauf à se substituer à l’analyse technique de l’acheteur.
Dans le cas où le candidat a été évincé irrégulièrement, mais qu’il ne disposait pas de chance sérieuse de remporter le marché, il a alors droit à une indemnité visant à rembourser les frais engagés pour son offre (CAA Nancy, 28 nov. 2013, n° 13NC00967, OPH Metz Habitat Territoire : JurisData n° 2013-031368 ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 53).
Si au surplus, le requérant avait une chance sérieuse de remporter le marché, il a droit à l’indemnisation du manque à gagner, qui inclut alors nécessairement les frais engagés pour la présentation de l’offre. Ces frais doivent en effet être inclus dans une seule et même indemnité et ne donne pas lieu à une indemnisation supplémentaire. (CAA Lyon 4 novembre 2010, Soprema, n° 08LY010008). Concernant, le calcul de l’indemnité visant à couvrir le manquer à gagner, celui-ci n’est pas sans poser de difficultés.
Au regard de la jurisprudence en la matière, ce manque à gagner doit être déterminé en fonction du bénéfice net qu’aurait procuré le marché au candidat s’il l’avait obtenu, ce bénéfice étant lui même déterminé au travers de différents éléments : marge bénéficiaire habituellement réalisé sur des activités de même nature, niveau de l’offre... (« Indemnisation du concurrent évincé », par Florian Linditch, Sem. Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n°20, mai 2014).
En l’espèce, ce calcul n’était pas à opérer puisque le juge a estimé que la qualification d’offre anormalement basse était justifiée. Le candidat était dès lors dépourvu de toute chance d’obtenir le marché et n’avait donc pas le droit à indemnisation.
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