La loi ELAN n° 2018-1021 du 23 Novembre 2018 pour l’Evolution du logement, de l'Aménagement et du Numérique dite ELAN dont le chapitre III du titre 3 s’intitule « Améliorer les rapports entre propriétaires et locataires» n’a manifestement pas répondu à son objectif.

C’est d’ailleurs ce qui a conduit le député Mickael NOGAL a déposé une proposition de loi à l’Assemblée Nationale le 14 janvier dernier visant à « réconcilier les bailleurs et les locataires ». Toutefois, cette proposition ne prévoit aucune disposition visant à faciliter et accélérer la procédure d’expulsion du locataire mauvais payeur.

La procédure d’expulsion reste un véritable parcours du combattant.

• Le commandement de payer visant la clause résolutoire

En cas de non-paiement du locataire, le premier réflexe du bailleur doit être de faire délivrer au locataire, le plus rapidement possible et par huissier de justice, un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail prévue pour le défaut de paiement du loyer et des charges.     

Le recours à un huissier de justice est indispensable pour la délivrance de ce commandement.

La clause de résiliation de plein droit ne produit effet que deux mois après un commandement demeuré infructueux délivré par acte d’huissier. Ce délai est ramené à un mois en cas de location meublée.

Si le locataire n’exécute pas ses obligations dans le délai, la clause résolutoire reprend son plein effet et le locataire est déchu de tout titre d’occupation.

Attention, sous peine de nullité, le commandement doit reproduire intégralement la clause résolutoire insérée au bail, ainsi qu’un certain nombre de dispositions légales prévues par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989.

Cet article a été modifié à de nombreuses reprises et les formalités qui accompagnent ce commandement se sont multipliées ces dernières années.

Depuis le 1er janvier 2015 (Art. 27-II de la Loi ALUR), le bailleur doit informer la Commission de coordination des actions et de prévention des expulsions locatives (Ccapex). Le bailleur doit « signaler dans les conditions réglementaires aux organismes payeurs des aides au logement » les impayés de loyer s’ils dépassent un certain seuil fixé par arrêté du Préfet, au moins deux mois avant l’assignation (sous peine d’irrecevabilité de celle-ci).

• L’assignation en référé

Le bailleur doit ensuite assigner en référé le locataire devant le juge des contentieux de la protection (ancien tribunal d’instance) du lieu de situation de l’immeuble pour faire constater l’acquisition de la clause résolutoire et demander la condamnation provisionnelle du locataire au paiement des arriérés de loyers.

Attention, à peine d'irrecevabilité de la demande, cette assignation doit être notifiée à la diligence de l'huissier de justice au locataire au moins deux mois avant la date d’audience. 

Cela fait déjà un délai incompressible de quatre mois minimum entre la délivrance du commandement de payer initial et la délivrance de l’assignation.

• La procédure devant le juge des contentieux de la protection

Depuis le 1er janvier 2020, les tribunaux d’instance ont été supprimés en application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019.

Ils ont été remplacés par le juge des contentieux de la protection qui dépend du nouveau Tribunal Judiciaire.

La date d’audience est fixée par le greffe et dépend donc de l’encombrement du Tribunal  et de la période de l’année. Les délais d’audiencement sont très différents d’un tribunal  à un autre.

Il est par ailleurs très fréquent que l’affaire ne soit pas plaidée à la première audience ni même à la seconde, en cas de demande de renvoi justifiée du locataire. Cette demande de renvoi est automatiquement accordée quand le locataire sollicite la désignation d’un avocat à l’aide juridictionnelle, ce qui peut prendre plusieurs mois.

Il faut également garder à l’esprit que le juge saisi, même si les délais du commandement sont expirés, peut suspendre les effets de la clause résolutoire et accorder d’office au locataire des délais de paiement qui peuvent aller jusqu’à trois ans, s’il estime que ce dernier à la possibilité et les moyens de régler sa dette locative. 

Si le locataire se libère de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixées par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet.

À noter que le juge ne rend pas son ordonnance sur le siège et fixe en général son délibéré un mois ou deux mois plus tard. Le délai s’allonge encore…

Une fois l’ordonnance d’expulsion rendue, il faut la signifier au locataire.

• L’exécution de l’expulsion

Une fois cette décision de justice ordonnant l’expulsion du locataire et sa condamnation aux arriérés de loyer rendue, il faut encore faire délivrer au locataire, par huissier, un commandement d’avoir à libérer les locaux dans les deux mois.

Là encore, il faut notifier (par lettre recommandée avec A.R) ce commandement doit être notifié au Préfet, par lettre recommandée avec accusé de réception.

S’ajoute donc un nouveau délai de deux mois.

L’article L 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution interdit en effet toute expulsion avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement d’avoir à libérer les lieux, dès lors que l’expulsion porte sur « un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef ». Il s’agit pour la personne expulsée d’organiser son relogement et son déménagement. Ce délai est de rigueur et son non-respect peut entraîner la nullité de la procédure.

Mais le locataire a encore la possibilité de demander des délais de grâce après l’ordonnance d’expulsion, auprès du juge de l’exécution du Tribunal Judiciaire après la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux.

L’article L 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution donne en effet la faculté au juge d’accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.

La durée de ces délais ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement.

Ces délais supplémentaires sont donc accordés aux personnes de bonne foi, car le premier délai légal de deux mois ne peut être réduit ou supprimé qu’en cas de voie de fait (notamment pour les squatteurs).

Ces délais sont cumulatifs et se combinent avec la trêve hivernale prévue à l’article L 613-3 du code de la construction et de l’habitation, qui s’étend du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante pendant laquelle toutes les expulsions sont suspendues.

Pendant ces délais incompressibles, il n’est pas rare que l’occupant, devenu sans droit ni titre, n’ayant plus rien à perdre, ne procède désormais plus à aucun règlement, tout en se maintenant dans les lieux.

Le bailleur doit donc se montrer très patient et il n’est pas arrivé au bout de ses peines.

• Le concours de la Force publique

Même après avoir épuisé tous les moyens légaux, il n’est pas rare que l’occupant se maintienne dans les lieux en l’absence d’exécution de la décision d’expulsion.

Dès lors que l’ordre public n’est pas en cause, l’Etat dont le concours a été sollicité, a l’obligation en application de l’article L 153-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution de fournir son concours à l’expulsion et il ne peut s’y soustraire sauf à voir sa responsabilité engagée. Le bailleur peut réclamer à l’Etat l’indemnisation du préjudice qu’il subit du fait de la carence de ce dernier.

Attention, le fait de forcer une personne à quitter les lieux sans avoir obtenu le concours de la force publique est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans et de 30.000 € d’amende.

 

En définitive, l’expulsion d’un locataire pour non-paiement des loyers est très longue et difficile à obtenir et toujours aléatoire, puisque elle dépend d’abord des délais légaux de procédure, puis de la clémence du juge et enfin du bon vouloir de l’autorité publique.

La loi ELAN, tout comme la loi ALUR avant elle, n’ont pas facilité la procédure d’expulsion. Au contraire, ces lois sont venues durcir le formalisme légal que doit respecter le bailleur.

La proposition de loi du député Mickael NOGAL déposée à l’Assemblée Nationale le 14 janvier dernier qui vise à « réconcilier les bailleurs et les locataires » ne prévoit à priori aucune simplification de la procédure d’expulsion.

Bref, la situation du bailleur reste toujours aussi aléatoire et plus que jamais l’expulsion du locataire pour impayés de loyer reste un long chemin parcourus d’embûches.

 

Romain ROSSI-LANDI

www.rossi-landiavocat.fr