La crise sanitaire du Coronavirus que nous vivons actuellement s’accompagne d’une crise économique avec de nombreux commerçants qui rencontrent des difficultés pour payer leur loyer notamment tous ceux dont le commerce a été fermé brutalement.

L'état d'urgence sanitaire a été déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020, le confinement a été prolongé jusqu’au 11 mai prochain à minima.

Le gouvernement, par la voie d’ordonnances, a pris des mesures afin de tenter de contrer les conséquences économiques de la crise et soutenir l’activité du pays.

En ce qui concerne les baux professionnels et commerciaux, ces mesures gouvernementales nous semblent très limitées mais les entreprises notamment celles qui ne sont pas éligibles à ces mesures peuvent se fonder sur les dispositions du code civil pour suspendre leurs obligations.

I – Les mesures limitées prises par le Gouvernement

Le Président de la République avait annoncé le 13 mars 2020, la « suspension des factures d'eau, de gaz ou d'électricité ainsi que des loyers » au profit des entreprises.

Cette annonce n’est pas passée inaperçue et a suscité beaucoup d’espoir pour les locataires et d’inquiétudes pour les bailleurs.

L’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 a été publiée au Journal Officiel le 26 mars 2020.

Si cette ordonnance a le mérite d’exister, elle est bien loin de répondre aux attentes des locataires en difficultés.

L’article 4 de l’Ordonnance dispose : « Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée. »

Des conditions d’éligibilité restrictives

Sont concernées, selon l’article 1er, « les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d'une attestation de l'un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. »

Les critères d’éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus ont été précisés par un décret du 30 mars 2020.

Les conditions pour pouvoir prétendre à l’octroi du fonds de solidarité sont les suivantes :

  • avoir débuté son activité avant le 1er février 2020
  • avoir moins de 10 salariés,
  • réaliser un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros et présenter un bénéfice imposable inférieur à 60.000 euros
  • subir une fermeture administrative ou avoir connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% (ramené à 50% par le décret du 2 avril 2020) au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019
  • avoir fait l’objet d’une procédure collective (décret n°2020-378  du 31 mars 2020)

Attention, ces conditions sont cumulatives.

On s’aperçoit donc que les conditions d’éligibilité sont très restrictives et la majorité des entreprises ne pourront pas en bénéficier.

L’ordonnance ne prévoit pas d’exonération du paiement des loyers

Contrairement à ce qu’ont cru de nombreux locataires en écoutant le Président de la République, l’ordonnance ne les autorise pas à ne pas payer leur loyer, même à titre provisoire. Le terme « suspension » n’est d’ailleurs pas une seule fois employé.

L’ordonnance du 25 mars 2020 interdit simplement au bailleur de réclamer au locataire des pénalités, des intérêts de retard ou d’engager pendant la crise sanitaire une procédure en résiliation de bail et d’expulsion.

Ainsi, le bailleur, qui n’est pas réglé de son loyer pendant cette période, ne pourra pas invoquer,  pour le moment, le bénéfice de la clause résolutoire insérée au bail dans un commandement de payer.

L’obligation de régler le loyer demeure, mais les effets de la non-exécution de cette obligation sont suspendus.  

Plutôt qu’un report du paiement des loyers, l’ordonnance prévoit juste la neutralisation provisoire des effets du non-paiement des loyers et charges.

L'exécution de l'obligation est seulement suspendue jusqu’à « l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. »

Ainsi, le locataire devra payer ses arriérés de loyer à la fin de l’épidémie sous réserve d’éventuels moratoires négociés avec son bailleur.

Le bailleur pourra reprendre ses poursuites, à plus forte raison si la suspension qui lui a été imposée, l’a été de mauvaise foi ou si son locataire ne remplissait pas les conditions susvisées d’éligibilité au fond de solidarité.

A partir de quand cette mesure s’applique-t-elle ?

Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 : « l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi ».

Cette loi ayant été publiée au Journal Officiel le 24 mars, sauf prolongation éventuelle, l’état d’urgence sanitaire expirera le 24 mai 2020.

Ne sont donc pas concernés les loyers échus impayés avant le 12 mars 2020.

Concrètement, les effets du non-paiement des loyers sont suspendus à compter du 2ème trimestre 2020 (que le loyer soit à terme échu ou à échoir) jusqu’à « l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. »

Cette ordonnance est donc décevante pour les nombreux locataires qui s’imaginaient pouvoir bénéficier d’un report du paiement de leur loyer pendant l’épidémie mais également pour tous ceux qui ne sont pas éligibles au fond de solidarité.

Mais, il leur reste la possibilité de se fonder sur les dispositions du Code civil.

II. Les dispositions du Code civil  

Sans les conditions d’éligibilité restrictives prévues par l’ordonnance, le code civil prévoit pour toutes les entreprises deux possibilités qui permettent au locataire de suspendre l’exécution de ses obligations pendant l’épidémie ou de renégocier le montant de son loyer.

         1. La Force majeure (article 1218 du Code civil)

L’article 1218 du Code civil dispose : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

La force majeure est établie lorsque l’événement survenu est imprévisible et irrésistible.

La condition d’imprévisibilité ne présente pas de difficulté, dès lors que la conclusion du contrat est antérieure à l’apparition de l’épidémie. En effet, les parties ne pouvaient pas prévoir cette pandémie, ni ses effets, et notamment les mesures de confinement ordonnées par les pouvoirs publics.

Il peut néanmoins y avoir débat pour les baux signés récemment, notamment depuis la fin janvier 2020.

En revanche, la condition d’irrésistibilité peut poser question. La survenance de l’événement et ses conséquences doivent être inévitables.

C’est au locataire, qui entend invoquer la force majeure, de démontrer que les conditions d’applicabilité de cette dernière sont réunies, sans omettre le lien de causalité entre l’épidémie du COVID-19 et l’impossibilité d’honorer son engagement contractuel.

Il devra démontrer que l’épidémie justifie une incapacité totale d’exécuter son obligation.

L’interdiction d’ouverture du local constitue bien, pour de nombreux commerces, la condition d’irrésistibilité.

Le locataire privé de l’exploitation de son local peut alors se prévaloir de la force majeure dès lors que son activité est exclusivement liée à l’exploitation de ce local.

Au contraire, lorsque l’exécution de son obligation est seulement plus difficile, le locataire ne pourra pas bénéficier de la force majeure.

Ainsi, dès lors qu’il n’est pas impossible pour le débiteur d’exécuter son obligation, mais que cette exécution est seulement rendue plus difficile par les circonstances, la force majeure ne peut être retenue [i].

S’agissant des épidémies, la jurisprudence se fait au cas par cas. Ainsi, elle n’a pas retenu la force majeure :

  • s’agissant du virus Ebola, dont le caractère avéré de l’épidémie ne suffit pas à établir ipso facto l’absence ou la baisse de trésorerie invoquée par le preneur [ii]
  • ou lorsque l’épidémie de Dengue était récurrente et que dans la majorité des cas, il n’y avait pas de complications de la maladie, et qu’il existait des moyens individuels pour s’en protéger [iii]
  • à propos de la grippe aviaire, jugeant que « son impact sur les résultats de l’exploitation n’établit pas qu’il présentait un caractère insurmontable et irrésistible susceptible de lui conférer la qualification d’événement de force majeure » [iv]

Il a en revanche été jugé qu’un défaut de paiement était justifié par la survenance d’une épidémie qui a eu des conséquences irrésistibles pour l’exploitation d’un débiteur [v].

On l’aura compris, le juge fait un contrôle au cas par cas.

Concrètement, le contrat sera suspendu par l’effet de la force majeure jusqu’à la fin du confinement et la réouverture du commerce.

C’est surtout, au-delà des critères de la force majeure, une question de preuve. Il faut prouver les deux critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité (ce qui est assez simple pour le coronavirus), mais surtout appliquer cela au cas d’espèce, et prouver, par exemple, que la trésorerie ou l’impossibilité d’exploiter ne permettent pas au preneur de payer ses loyers.

Mais attention, suspension ne veut pas dire annulation ! Lorsque la force majeure constitue un empêchement temporaire, l’obligation demeure, mais les effets de la non-exécution de cette obligation sont suspendus jusqu’à ce que l’évènement constituant la force majeure cesse (en l’espèce, l’obligation de fermer les commerces).  

La force majeure ne fait obstacle à l'exécution des obligations qu'autant qu'elle empêche le débiteur de donner ou de faire ce à quoi il était obligé ; il suit de là que si l'empêchement est momentané, le débiteur n'est pas libéré et l'exécution de l'obligation est seulement suspendue jusqu'au moment où la force majeure vient à cesser. 

L’article 1218 du Code civil (ancien article 1148) prévoit implicitement que l’effet exonératoire de la force majeure suppose que l’obligation ne puisse plus jamais être exécutée.

La nature pécuniaire de l’exécution présume qu’il est toujours possible qu’elle soit exécutée.

Ainsi, à l’instar des bénéficiaires de l’ordonnance, le locataire devra payer ses arriérés de loyer à la fin de l’épidémie.

Si le retard perdure dans le temps et s’aggrave, le bailleur pourra solliciter la résiliation du bail. En effet, l’absence prolongée du locataire s’analyse en un empêchement définitif qui justifie la résiliation de plein droit du bail (article 1218 alinéa 2).

Le locataire, qui ne parvient pas à prouver cette impossibilité, pourra alors tenter d’invoquer l’imprévision.

         2. La révision pour imprévision (article 1195 du Code civil)

Les locataires qui subissent la crise du COVID 19 et qui ne peuvent bénéficier de la force majeure, car ils ne sont pas dans l’impossibilité totale de payer leur loyer mais simplement dans une grande difficulté, peuvent invoquer le changement de circonstances imprévisible.

Autrement dit, la théorie de l’imprévision peut s’appliquer quand l’épidémie ne rend pas l’exécution de l’obligation impossible mais seulement beaucoup plus difficile, et qu’elle conduit à la ruine du preneur.

Il s’agit d’une nouveauté issue de la réforme du droit des contrats portée par l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016 (sauf si le contrat signé avant cette date prévoit un mécanisme équivalent).

Cela signifie que l’imprévision ne peut s’appliquer que pour les baux signés ou renouvelés après le 1er octobre 2016.

L’article 1195 du Code civil dispose : « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Cet article comporte trois conditions cumulatives :

La première condition du changement de circonstance imprévisible au moment de la formation du contrat ne pose pas de réelle difficulté en ce qui concerne la survenance de l’épidémie de COVID 19.

La deuxième condition est la conséquence directe de la première, puisqu’elle doit rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse », ce qui laisse une grande place à l’appréciation et à l’interprétation. Une simple exécution plus difficile ne devrait pas suffire : l’exécution du contrat doit conduire le preneur à la ruine, sans pour autant être impossible.

Enfin, cet article prévoit une troisième condition : la victime ne doit pas en avoir accepté le risque. Autrement dit, le contrat ne doit pas comporter de clause selon laquelle le preneur accepterait le risque d’un tel événement (une épidémie ou pandémie par exemple).

L’objectif du législateur est surtout de prévenir les contentieux en incitant les parties à renégocier les conditions du contrat.

Le locataire qui subit les effets de l’épidémie COVID 19, et en particulier la baisse de sa clientèle en raison des mesures de confinement, a donc intérêt à initier une renégociation de son contrat avec le bailleur.

Attention, lors de cette renégociation, le locataire doit impérativement continuer à payer son loyer courant. Il ne peut se faire justice à lui-même et diminuer unilatéralement le montant du loyer.

Sa bonne foi sera d’ailleurs appréciée par le juge en cas de refus ou d’échec de la renégociation avec le bailleur.

Là encore, le locataire a intérêt à bien motiver sa demande de renégociation et à fournir des justificatifs comptables et financiers établissant la baisse de son chiffre d’affaires et le fait que la poursuite du contrat tel quel est « excessivement onéreuse ».

Si le bailleur refuse la renégociation ou qu’aucun accord n’a pu être trouvé, les parties peuvent conjointement décider de résoudre le contrat « à la date et aux conditions qu’elles déterminent » ou de recourir à l’adaptation judicaire du contrat au moyen d’une requête conjointe prévue à l’article 57-1 du Code de procédure civile [vi].

En pratique, c’est plutôt la partie à l’origine de la renégociation qui saisira le juge afin de réviser le bail ou d’y mettre fin, à la date et aux conditions que le juge fixera.

En conclusion, la force majeure pourra être invoquée par le locataire dès lors que son commerce est totalement fermé tandis que l’imprévision sera plus adaptée pour les commerces qui restent ouverts pendant l’épidémie mais à la condition que la pandémie de Covid-19 rende l’exécution de leur contrat « excessivement onéreuse ».

Les contentieux risquent d’être nombreux, tant pour les locataires que pour les bailleurs, et il sera très long pour les parties de faire valoir leurs droits devant les tribunaux, qui sont eux-mêmes fermés pendant l’épidémie…

 


[i] Cass. com. 31-5-1976, n°75-14.625 : Bull. civ. IV n° 186

[ii] Cour d'appel de Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263

[iii] Cour d’appel de Nancy, 1ère Chambre civile, Arrêt du 22 novembre 2010, RG nº 09/00003

[iv] Toulouse, 3 oct. 2019, n° 19/01579

[v] CA Bourges 21-5-2010 n°09/01290

[vi] En réalité, tous les auteurs de doctrine se demandent dans quels cas cela va s’appliquer. On voit mal dans quelles situations les parties pourraient ne pas s’accorder sur la date et les conditions de fin du contrat, mais s’accorder pour saisir conjointement le juge, avec le risque judiciaire que cela implique...