Aujourd'hui, la séparation d'un couple (qu'il s'agisse d'un divorce, de la fin d'un PACS ou d'une simple rupture entre concubins) laisse aux parents la possibilité d'organiser la répartition du temps passé par les enfants chez l'un et l'autre.

En cas d’absence d’accord, l’intervention du Juge aux affaires familiales qui statuera au regard des demandes des deux parties et avant tout, de l'intérêt supérieur des enfants, est souvent nécessaire et fixe un cadre juridique pour l’enfant.

Actuellement, les parents séparés peuvent opter soit pour la garde alternée permettant aux enfants de passer autant de temps chez les deux parents (sauf à décider que l'alternance se fera sur des durées inégales ce qui arrive souvent pour faciliter l’emploi du temps des parents et lorsque les enfants sont petits, il est souvent opté pour une alternance de 15 jours), et la « garde exclusive » fixant la résidence habituelle de l'enfant au domicile de l’un des parents avec l'aménagement d'un droit de visite et d'hébergement plus ou moins large pour l'autre parent.

Dans le cadre d'une nouvelle proposition de loi n°3163 favorisant l’émergence d’un modèle de coparentalité dans l’intérêt supérieur de l’enfant, il est envisagé que la résidence alternée soit être examinée prioritairement par le Juge qui pourrait ensuite examiner la question de la résidence habituelle, modifiant ainsi l’article 373-2-13 du Code civil. Il serait également imposé le recours à une médiation préalable, comme cela est actuellement le cas dans certains Tribunaux qui ont testé cette méthode.

1.      La situation actuelle : l’arbitrage souverain du Juge aux affaires familiales sur le mode de « garde » dans l’intérêt de l’enfant

Le juge s'intéresse toujours à ce que dicte l'intérêt de l'enfant qui lui permet de motiver et d’orienter sa décision, laquelle se trouve donc soumise aux aléas de son appréciation.

Selon le magistrat à qui est confié le litige, la charge de la preuve de la non-conformité d'un mode de résidence à l'intérêt de l'enfant pèse sur l'une ou l'autre des parties.

Pour certains juges, c'est au parent qui prétend à la garde exclusive qu'il appartient de démontrer que la garde alternée nuirait à l'enfant. Ils estiment en effet que les apports contrastés de deux parents présentent pour les enfants une complémentarité qui est bénéfique à leur éducation[1].

D'autres juges se contentent d'inverser la charge de la preuve en reprochant au parent qui prétend à la garde alternée de n'avoir pas suffisamment démontré le potentiel de nuisance que porterait une garde exclusive à l'intérêt de l'enfant[2].

L'aléa de l'appréciation du Juge n'est cependant pas d'une mesure déraisonnée, et la sécurité juridique des justiciables est assurée grâce à une prévisibilité de l'issue des litiges portant sur le mode de résidence de l'enfant. Il existe en effet un ensemble de critères auquel le juge est invité à se référer, par l'article 373-2-11 du Code civil.

Le Juge tient ainsi compte de :

•        la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu'ils avaient pu précédemment conclure ;

•        les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l'article 388-1 du Code civil ;

•        l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre ;

•        le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l'âge de l'enfant;

•        les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l'article 373-2-12 ;

•        les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre.

 

La Jurisprudence a complété l'édifice légal du contenu de l'intérêt de l'enfant par l'ajout de critères concrets :

•        la proximité géographique des domiciles ou du lieu de scolarisation de l'enfant :

Voir en ce sens, un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation qui jugeait le 19 septembre 2017 que « les parents résidant à proximité l'un de l'autre et dans l'intérêt de l'enfant, il y avait lieu de mettre en place une résidence alternée une semaine sur deux afin d'éviter à Victor des changements trop fréquents de domicile et de faciliter sa vie quotidienne »[3]

•        les qualités éducatives et affectives de deux parents :

Voir en ce sens un arrêt rendu par la Cour d'appel de Besançon le 10 juillet 2015 qui énonce « que si Mme Floriane M. démontre disposer des qualités affectives et éducatives  ainsi que des conditions matérielles pour accueillir Mathéo dans de bonnes conditions, force est de constater que les capacités éducatives et affectives du père de l'enfant de même que ses conditions matérielles d'accueil sont tout autant avérées » pour se prononcer favorablement à une garde alternée ;

•        les conditions matérielles d'accueil de l'enfant :

Par exemple, dans un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour d'appel de Bastia affirmait «  que les deux parents ayant été reconnus avoir les aptitudes morales et  matérielles équivalentes, il n'existait pas plus de raison de fixer la résidence habituelle de l'enfant chez l'un de ses parents plutôt que chez l'autre »[4].

•        l'âge de l'enfant :

En ce sens, la Cour d'appel de Caen dans un arrêt du 7 juillet 2016, jugeait que « Seul l'intérêt de l'enfant devant alors être recherché, cet intérêt est nécessairement fonction, en premier lieu, de son âge ; sur ce point, il ne peut être sérieusement contesté que le petit enfant a le besoin essentiel d'une figure d'attachement stable et de lieux qui constituent des repères, ce besoin, particulièrement vif dans la première année, se poursuivant jusqu'aux environ de six ans. »[5]

•        et le souhait de l'enfant : une audition de l'enfant peut en effet influer sur le jugement, comme ce fut le cas dans un arrêt rendu par le TGI de Versailles le 21 janvier 2016 : « l'audition des enfants est alarmante sur les conditions de vie que leur père leur offre pendant leurs séjours à son domicile; […] l'intérêt des enfants ne commande pas d'instaurer une résidence alternée […] au contraire, il commande de supprimer le droit d'hébergement reconnu [au père] »[6]

Il n'en demeure pas moins qu’il existe souvent une incertitude dans les décisions obtenues s’agissant de dossiers qui diffèrent selon la vie des parents, la situation de l’enfant, le contexte familial et professionnel, l’histoire de chacun et aussi l’appréciation propre du Juge sur l’ensemble de ces éléments.

2.     Les propositions  

Sur la base de cette proposition de loi, le Sénat a formulé une proposition incluant une médiation préalable à la fixation du mode de résidence de l'enfant.

L'article premier de ladite proposition de loi dispose qu'à « peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d’un entretien d’information préalable sur la médiation familiale, sauf :

1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention selon les modalités fixées à l'article 373-2-7 ;

2° Si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;

3° Si des violences sont alléguées par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, ou s'il existe une emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent. »

 

L'article 2 de la proposition reprend l'idée d'ériger la résidence alternée en un principe, et la résidence habituelle chez l'un seulement des parents en exception. Il dispose ainsi :

« Sauf si des violences sont alléguées par l’un des parent sur l’autre parent ou sur l’enfant, ou s’il existe une emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent, le juge examine prioritairement, à la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, la possibilité d’ordonner une résidence en alternance de manière égalitaire. Cette décision peut également être prise à titre provisoire pour une durée et selon des modalités de fréquence que le juge détermine. Au terme de cette période provisoire, il statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux.

Si le juge décide de s'écarter de la résidence en alternance mentionnée au deuxième alinéa du présent article, il doit spécialement motiver sa décision en considération des exigences de l'intérêt de l'enfant. Ce dernier est apprécié en tant compte, notamment, de l'âge de l'enfant, de la distance entre les résidences parentales, de la disponibilité des parents, ainsi que de leur capacité d'accueil et d'organisation […]".

 

Ainsi, la garde alternée serait imposée comme principe, et la « garde exclusive » envisagée comme l'exception.

Il en ressort alors une présomption légale de garde alternée qui emporterait deux implications majeures :

•        il incomberait alors désormais au parent qui estime que la résidence habituelle de l'enfant doit être exclusivement fixée à son domicile de prouver au Juge aux affaires familiales qu'une résidence alternée serait contraire à l’intérêt de l’enfant.

Le parent demandant la garde exclusive devra déployer d'importants efforts pour prouver que l'autre parent ne doit pas bénéficier d'une garde alternée auprès de l'enfant.

L'autre parent pourra se contenter de démontrer que le motif allégué par le parent demandant la garde exclusive n'est pas suffisant, sans avoir à démontrer plus avant en quoi la garde alternée présente davantage de conformité à l'intérêt de l'enfant.

•        les parents se séparant, confrontés au choix d'organisation de la résidence de leur enfant, constatant que la loi privilégie la garde alternée, seraient incités à aller en ce sens.

 

[1]Lyon, 28 oct. 2016, RG no 15/04038 – en ce sens : Chambéry, 23 janv. 2017, RG no 16/01361. [2]Bordeaux, 4 avr. 2017, RG no 16/00306.

[3]Civ. 1re, 19 sept. 2017, RG no 07-12.116 [4]Cour d'appel de de Bastia - CHAMBRE CIVILE, 18 janvier 2017 / n° 14/00858 [5]Cour d'appel de Caen, ch.civile 03, 7 juillet 2016 / n° 16/00107 [6]Versailles, 2e ch., 1re sect. 21 janvier 2016, RG n°14/08919

 

Article corédigé par Me Sophia BINET et Melle Ismahane BESTANDJI, Etudiante en Master 2 de Droit Privé

 

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