Une disposition anodine de la loi travail du 8 août 2016 (dite « loi El Khomri ») pourrait faciliter considérablement pour le salarié la preuve d’une situation de harcèlement au travail.


Depuis près de 15 ans maintenant, la loi définit et prohibe le harcèlement au travail, qu'il soit moral (art. L1152-1 du code du travail) ou sexuel (art. L1153-1 du code du travail). 

Dans le souci de faciliter la preuve de la situation de harcèlement pour le salarié, souvent démuni de traces tangibles des faits, le législateur avait à l'origine adopté un mécanisme allégé d'administration de la preuve. Ainsi l'article L 122-52 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, prévoyait-il :

"En cas de litige (…), le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement (…) »

Cette formulation avait néanmoins suscité les réserves du Conseil Constitutionnel, lequel avait alors estimé :

"… que les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées ne sauraient dispenser celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle la décision prise à son égard (…) procéderait d'un harcèlement moral ou sexuel au travail » (décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002)

Un an plus tard, une loi du 3 janvier 2003 modifiait le texte dans un sens conforme aux préconisations du Conseil constitutionnel, l’article L 122-52 étant désormais rédigé en ces termes :

« En cas de litige (…), dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu des ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement (…) »

Cette nouvelle rédaction s’avérait ainsi plus exigeante à l’égard du salarié, celui-ci étant désormais tenu « d’établir des faits », et non plus seulement de « présenter des éléments de fait ».

C’est sur cette conception que s’est développée la jurisprudence de la Cour de Cassation. Par quatre arrêts de principe rendus le 24 septembre 2008, la haute juridiction a défini une méthodologie en trois temps, s’imposant au juge dans la recherche de la preuve du harcèlement :

  • le salarié doit dans un premier temps établir la matérialité des faits qu’il invoque
  • les juges doivent appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettent de présumer l’existence du harcèlement allégué
  • dans l’affirmative, il revient alors à l’employeur d’établir que les faits ne caractérisent pas une situation de harcèlement

Cette construction semble aujourd’hui remise en cause par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (dite « loi El Khomri »). La loi travail modifie en effet de nouveau l’article L1154-1 du code du travail (anciennement L 122-52), lequel est désormais rédigé en ces termes :

« Lorsque survient un litige (…), le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement (…) »

En d’autres termes, le législateur est revenu à la rédaction initiale issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, n’exigeant plus du salarié qu’il « établisse des faits », mais simplement qu’il « présente des éléments de fait ».

Cette modification se traduit nécessairement pour le salarié par un allègement de la charge de la preuve. La méthodologie énoncée depuis 2008 par la Cour de Cassation, qui imposait au salarié d’établir la matérialité des faits invoqués, semble en effet difficilement applicable désormais dès lors que la loi elle-même n’exige plus que les faits soient établis mais simplement présentés.

La matière devrait donc connaître dans les mois à venir une vive actualité jurisprudentielle, confortant ainsi l’importance croissante du contentieux du harcèlement dans le droit social moderne.