La crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés depuis plusieurs mois, et l’obligation de confinement qui en est résultée, ont amené de très nombreux salariés à basculer vers le télétravail.

Il s’agit en fait de la première application à grande échelle d’un texte de loi voté en 2012, à la suite de l’épidémie de grippe H1N1. L’article L1222-11 du code du travail dispose en effet :

« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. »

Ce texte déroge au principe général selon lequel le télétravail ne peut normalement être mis en place qu’avec l’accord du salarié. En présence d’un risque épidémique avéré, comme dans le cas du coronavirus, l’employeur peut donc imposer ce mode d’organisation du travail sans avoir besoin de recourir à un formalisme particulier.

La loi précise que le télétravailleur conserve les mêmes droits et avantages que ceux dont il bénéficierait dans les locaux de l’entreprise. Elle reste muette en revanche sur la contrainte que représente pour le salarié l’occupation d’une partie de son domicile à des fins professionnelles, et qui constitue une forme d’immixtion dans sa vie privée.

Dans le silence de la loi, la jurisprudence est venue consacrer le droit pour le salarié à une indemnité de télétravail. Ses conditions d'attribution sont définies en ces termes par la Cour de Cassation :

« Le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition »

Le montant de cette indemnité est apprécié au cas par cas en fonction du taux d’occupation du domicile en termes de temps et d’espace. Il pourra s’agir notamment d’un prorata de la valeur locative du logement du salarié, telle qu’elle figure sur son avis d’imposition. Ainsi par exemple, le salarié qui habite une maison de 100 m2, et justifie avoir affecté une pièce de 10 m2 à usage exclusif de bureau pour son télétravail, peut-il envisager de solliciter une indemnité équivalente à 10% de la valeur locative de son logement.

Notons également que selon la jurisprudence, cette indemnité ne présente pas le caractère de salaire : elle se prescrit donc par cinq ans (contre trois pour les salaires), et n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu.

Qu’en est-il lorsque le télétravail résulte non pas d’un choix de l’employeur, mais d’une situation épidémique ? Les millions de salariés soumis à ce régime depuis le début de la crise sanitaire peuvent-ils prétendre, au-delà de leur salaire, au paiement d’une indemnité de télétravail ?

Une récente communication du ministère du travail laisse entendre que l’employeur ne serait pas « tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail ». Cette formulation apparaît toutefois aussi maladroite que contestable.

En premier lieu en effet, il ne s’agit pas ici d’une question de remboursement de frais. L’indemnité de télétravail vise à réparer le trouble occasionné par l’immixtion dans la vie privée du salarié que constitue l’occupation partielle de son domicile. En ce sens, elle est totalement décorrélée de ses frais professionnels.

En second lieu surtout, cette analyse repose sur le postulat erroné selon lequel l’indemnité ne serait due que lorsque le télétravail est mis en place à la demande de l’employeur. Si la jurisprudence était initialement orientée en ce sens, tel n’est plus le cas aujourd'hui. Depuis 2012 en effet, la Cour de Cassation a abandonné ce critère et pose désormais un principe général de droit à indemnisation du salarié dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis à sa disposition, sans distinguer selon que le télétravail est mis en œuvre à l’initiative de l’employeur ou non. Il n’existe donc aucune raison objective pour qu’il en soit différemment dans l’hypothèse où le télétravail est instauré en conséquence d’une situation épidémique.

Il faut donc en déduire que tout salarié placé en télétravail dans le cadre de la crise sanitaire est en droit de solliciter de son employeur le versement d’une indemnité à ce titre, en fonction des modalités particulières d’occupation de son domicile.

A l’heure où de nombreuses entreprises envisagent de prolonger le télétravail au-delà de la stricte période de confinement, salariés comme employeurs ont donc tout intérêt à se pencher au plus vite sur cette question afin de prévenir d’éventuels contentieux à venir.