La loi prévoit un dispositif pénal et civil pour protéger les femmes ou les hommes victimes de violences conjugales. Nous évoquerons ici les possibilités que la loi vous donne pour vous protéger (hormis appeler les numéros d’urgence en cas de danger immédiat).
Mariés ou non, en union libre ou pacsés, la loi protège indifféremment les victimes de violences au sein d’un couple ou d’une famille, et cela que vous soyez toujours en couple ou non.
On parlera surtout des violences physiques, mais cela concernent également les violences psychologiques ou sexuelles.
Pour éloigner le conjoint ou l’ex-conjoint violent, il existe deux possibilités qui peuvent se cumuler ou non : déposer plainte et / ou demander une ordonnance de protection auprès du Juge aux Affaires Familiales.
1/ Le volet pénal : la plainte et le procès
A/ La plainte au commissariat :
Réponse la plus évidente en théorie, plus compliquée dans la pratique : aller déposer plainte au commissariat.
Seulement 18% de victimes de violences conjugales déposent plainte en France, selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Justice en 2020.
Avant toute chose et pour rappel, le policier qui vous reçoit au commissariat ne peut pas refuser de prendre votre plainte.
Qu’il juge votre plainte « sérieuse » ou pas, qu’il n’ait pas le temps ou peu importe sa raison, le policier doit prendre votre plainte.
La plainte peut être déposée dans n’importe quel commissariat et pas forcément dans celui à proximité de votre domicile. Vous avez 6 ans à partir de l’infraction pour porter plainte (délai de prescription des délits)
La plainte va engendrer automatiquement une enquête, contrairement à la main courante.
La main courante ne va faire que « constater » des faits que vous « déclarez » à la Police.
Les mains courantes seront néanmoins utiles pour vous constituer aussi un dossier au civil ( Cf 2/)
La plainte, en revanche, engendre une enquête de Police et une saisine du Parquet. Le Parquet décidera quelle suite donner à votre plainte ( saisine du Tribunal ou pas)
Dans tous les cas, dans le cadre de l’enquête et avant que le Parquet ( le Procureur de la République) ne prenne sa décision, votre conjoint va être convoqué par le commissariat ou la gendarmerie pour être entendu, en audition libre ou alors sera placé en garde à vue (pour 48H maximum).
Il faut savoir, pour être transparent, que les enquêtes sont souvent longues et votre conjoint ou ex-conjointe peut être convoqué sur le champ, le lendemain, comme trois semaines ou trois mois après…
Cela dépendra de la gravité et de l’urgence du dossier. Bien évidemment, si vous appelez le 17 et qu’ils viennent à votre domicile en urgence, votre conjoint(e) sera très probablement amené(e) tout de suite au commissariat et placé(e) en garde à vue.
Il y aura des constatations médicales, parfois une expertise psychologique, et très souvent une confrontation.
Si l’enquête réunit suffisamment d’éléments probants à l’encontre de votre conjoint, il sera renvoyé devant un Tribunal Correctionnel.
Hormis les cas de violences que l’on pourrait qualifier (maladroitement) de très légères ou d’isolées, qui feront l’objet d’un rappel à la loi ou d’une médiation pénale, la grande majorité des dossiers pour violences conjugales aboutissent désormais au Tribunal.
Votre conjoint pourra être jugé immédiatement après sa garde à vue devant le tribunal (comparution immédiate) ou convoqué quelques mois plus tard.
S’il n’est pas jugé immédiatement, il pourra être placé dans l’attente de son procès sous contrôle judiciaire avec notamment l’interdiction de rentrer en contact avec vous, de se rendre à votre domicile ou à proximité de votre travail. Un bracelet anti-rapprochement peut aussi être mis en place. Votre conjoint sera géolocalisé et s’il se rapproche trop de vous, une alerte se mettra en marche et les forces de l’ordre peuvent intervenir.
Dans les cas les plus graves ou en cas de récidive, votre conjoint pourrait être placé en détention provisoire avant son procès (il sera donc en prison dans l’attente de l’audience)
L’idée d’un procès ou de devoir « affronter » la personne qui nous violente est souvent un cap difficile à passer.
Néanmoins, le seul et unique moyen pour qu’il y ait une condamnation au pénal, et le dépôt de plainte.
Une main courante ou la saisine d’un Juge aux Affaires Familiales ne permettra jamais de voir l’auteur des violences condamné à de la prison, que ce soit avec ou sans sursis.
Même si vous hésitez à déposer plainte, il est important de se constituer des preuves « au cas où » vous changeriez d’avis ou pour une procédure devant le Juge aux Affaires Familiales, en prenant des photographies de vos blessures, d’enregistrer votre conjoint quand il profère des insultes ou tient des propos dégradants (au pénal, la preuve sera recevable même si la personne est enregistrée ou filmée à son insu) et de faire établir des certificats médicaux ( même pas votre généraliste ou psychologue) de garder tous les sms, les mails ou les échanges incriminants, de faire remplir des attestations à des témoins ( voisins qui auraient entendu ou vu quelque chose, proches, amis etc.)
L’important est de constituer des preuves au moment T. Ces preuves pourront être utilisées pour l’avenir et pas forcément dans l’immédiat.
Si vous êtes victime de violences morales, psychologiques, les peines de prison vont jusqu’à 3 ans maximum.
Pour les violences physiques, la peine de prison va jusqu’à 5 ans maximum
B/ Le procès pénal :
Dans le cadre de violences conjugales, la majorité des poursuites se font devant le Tribunal Correctionnel qui est la juridiction compétente en matière de délit.
Vous pourrez vous constituer partie civile, cela signifie que vous vous ferez reconnaître en qualité de victime devant le tribunal. Vous serez entendue à l’audience, et vous pourrez vous faire assister par un avocat de votre choix ou commis d’office.
Vous pouvez alors demander réparation en demandant des dommages et intérêts pour votre préjudice physique et moral.
Vous pouvez aussi décider de ne pas vous constituer partie civile. Cela n’empêchera pas le procès et votre conjoint(e) pourra tout de même être condamné.
Idem, si vous « retirez » votre plainte avant l’audience, cela n’a aucune incidence. Il y aura quand même procès et condamnation si les faits sont constitués.
Lors d’un procès pénal, il y a trois parties en présence, l’auteur présumé de l’infraction (votre conjoint/ la défense), le Procureur de la République (l’accusation/ représentant l’intérêt public et la société) et la partie civile (la victime). Un procès peut avoir lieu en France « sans victime » du moment où une plainte a été déposée, peu importe que la victime regrette ou se rétracte ou soit absente.
Rien n’oblige donc une victime de violences conjugales d’être confrontée à son ancien conjoint lors d’un procès. En outre, la victime peut décider de ne pas venir et d’être représentée par un avocat.
2/ Le volet civil : l’ordonnance de protection
Avant toute chose, une action au pénal n’exclut pas une action au civil et inversement. Il n’y a pas de choix procédural à faire. Vous pouvez déposer plainte ET demander une ordonnance de protection ou uniquement demander une ordonnance de protection sans jamais déposer plainte.
Comme au pénal, toute personne victime de violences au sein d’un couple, actuel ou ancien, mariée, pacsée ou en union libre, peut demander au juge aux affaires familiales une ordonnance de protection.
Les violences peuvent être physiques, psychologiques, économiques, sexuelles et mettre en danger le conjoint ou/et les enfants.
Le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance s’il considère comme vraisemblable les faits de violence allégués et le danger auquel la personne est exposée.
Les faits doivent donc être « vraisemblables » l’exigence de preuve est plus souple qu’en matière pénale. Ce qui est logique, puisque le JAF ne va pas statuer sur la liberté du conjoint violent en le mettant potentiellement en prison, mais va se « contenter » de l’éloigner, et de protéger la victime en interdisant au conjoint violent de s’approcher de la victime.
La demande d’ordonnance de protection n’est donc pas subordonnée à l’existence d’une plainte pénale préalable, mais encore une fois, rien n’empêche la victime de aussi déposer plainte.
Comment saisir le Juge aux Affaires Familiales et auprès de quel tribunal ?
Il faut saisir le Juge par requête, l’avocat n’est pas obligatoire, mais fortement conseillé.
Il faut déposer la requête auprès du Greffe du Juge aux Affaires Familiales près du Tribunal Judiciaire où se trouve le domicile conjugal et si le couple n’habite plus ensemble au domicile du défendeur ou du domicile où résident habituellement les enfants.
Il est important de détailler au maximum les motifs de la requête et de justifier de l’urgence de la situation. Il faut joindre un maximum de pièces à l’appui des demandes (photographies, attestations de témoin, mains courante, SMS, Mails, enregistrements etc.)
Le conjoint violent (le défendeur) sera convoqué par courrier recommandé ou par la voie de la signification dans un délai maximum de deux jours avant l’audience afin de lui permettre de préparer sa défense.
L’audience a lieu dans le bureau du juge, hors la présence du public.
Les parties peuvent se présenter seules ou assistées d’un avocat.
En général, chacun à son avocat et ils s’expriment pour leurs clients ( d’abord en demande, la victime, puis en défense, l’auteur). Il n’y a donc le plus souvent pas de confrontation « directe » entre l’auteur des violences et son conjoint. Le juge tient son audience également pour que les débats se déroulent sereinement. Chacun ayant droit à la parole à son tour, sans interrompre l’autre. Les dossiers et les pièces sont déposées et le juge rend son délibéré rapidement après l’audience.
En effet, le juge doit rendre son ordonnance (sa décision) dans les 6 jours suivants la convocation à l’audience.
Quelles sont les mesures qui peuvent être prises ?
Avant tout, l’interdiction d’entrer en contact avec la victime : que ce soit par téléphone, par sms, ou par n’importe quel biais de communication, ou bien sûr physiquement.
Si les conjoints habitaient encore ensemble, le domicile conjugal peut être attribué au conjoint victime.
Si les conjoint n’habitaient plus ensemble il est possible de dissimuler l’adresse de la victime.
Autre mesure possible, le port d’un bracelet anti-rapprochement, le juge aux affaires familiales, peut désormais dans le cadre d’une ordonnance de protection, prononcer une interdiction de rapprochement d’une certaine distance entre la victime et l’auteur des violences.
Mais pour que cette mesure soit possible, il faut que les deux parties donnent leur consentement. Si l’auteur des violences refuse le juge aux affaires familiales en avertit, le Procureur de la République. Le Procureur pourra alors décider de lancer des poursuites au pénal. Ce système permet de géo localiser l’auteur de violences, et s’il ne respecte pas les distances imposées, une alerte est donnée à un centre de surveillance.
D’autres mesures peuvent être prises concernant notamment les enfants et le secours financier du conjoint victime :
Le juge aux affaires familiales peut se prononcer sur la résidence habituelle des enfants, sur le droit de visite et d’hébergement du conjoint violent ( souvent un droit médiatisé afin d’éviter un contact entre le conjoint violent et la victime, les enfants restant avec le conjoint non violent si besoin était de le préciser)
Pour les couples mariés uniquement, le juge aux affaires familiales peut également se prononcer sur la contribution aux charges du mariage (pension attribuée à l’époux victime s’il a besoin d’une aide financière). Si la personne victime de violences est sous la dépendance financière de son conjoint notamment, cela permet par exemple de payer une partie ou la totalité du loyer de l’ancien domicile conjugal etc.
Les mesures prises dans cette ordonnance sont exécutoires immédiatement et cela même si le défendeur décide de faire appel (15 jours pour faire appel). L’appel n’est donc pas suspensif (il n’empêche pas les mesures d’être mises en ½uvre)
En revanche, attention, les mesures contenues dans l’ordonnance ne sont valables que 6 mois.
Pour que ces mesures perdurent dans le temps et soient prolongées, il faudra pendant ce laps de temps, délivrer une assignation en divorce (pour les couples mariés) ou déposer une nouvelle requête devant le Juge aux Affaires Familiales ( pour les conjoints non-mariés)
Quelques mots sur les violences conjugales dans le cadre d’un divorce :
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le divorce pour faute existe toujours en droit français.
Les violences psychologiques ou physiques ou sexuelles sont des fautes que l’on peut évoquer dans le cadre d’un divorce, même si aucune ordonnance de protection n’a été rendue ou si aucune condamnation pénale n’est intervenue.
Le divorce pourra être prononcé aux torts exclusifs du conjoint fautif et l’époux victime pourra demander des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi.
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