vendredi 9 juillet 2010

Avertissement : la jurisprudence a été modifiée depuis la date d'écriture de ce texte, pour une mise à jour voir : ICI

Issue de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 et désormais codifiée aux articles L1237-11 à L1237-16 du Code du travail, la rupture conventionnelle a été présentée comme une nouvelle possibilité pour l'employeur et le salarié de mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée.  

Les parties, d'un commun accord, décident de rompre le contrat de travail et doivent ensemble arrêter les modalités de cette rupture. Elles conviennent en particulier de la date effective à laquelle le contrat de travail prendra fin et surtout du montant de l'indemnité versé au salarié lequel ne peut être inférieur au montant de l'indemnité légale ou, dans la majorité des cas, conventionnelle (plus favorable) dont aurait bénéficié le salarié en cas de licenciement. 

Puisqu'aucune des parties n'est censée, l'une plus que l'autre, être à l'initiative de la rupture conventionnelle (ce qui est forcément inexact), celle-ci n'est ni une démission ni un licenciement. 

A la différence d'une démission, une rupture conventionnelle du contrat de travail permet au salarié de bénéficier d'une indemnité. Il pourra également prétendre à l'indemnisation du chômage versée par PÔLE EMPLOI (sous réserve d'une durée de cotisation suffisante). 

De son côté, l'employeur trouve dans ce mode de rupture une certaine sécurité puisque celle-ci n'est pas motivée et que les possibilités pour le salarié de la contester apparaissent extrêmement limitées. 

L'accord de rupture conventionnelle est matérialisé par un écrit transmis à la direction départementale du travail. 

Cette administration a la charge d'homologuer ou non cette convention. 

Elle doit vérifier, outre le libre consentement des parties, que le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle retenu par les parties est au moins égal à celui de l'indemnité légale ou, le cas échéant, conventionnelle de licenciement. 

Bien évidemment ce mode de rupture du contrat de travail est ouvert aux journalistes et assimilés (ainsi qu'aux pigistes réguliers dont on aura considéré qu'ils sont effectivement employés sous contrat à durée indéterminée). 

Une difficulté semble toutefois avoir été ignorée. 

L'on sait que l'indemnité de licenciement d'un journaliste est, selon les termes de l'article L7112-3 du Code du travail, au moins égale à un mois par année ou fraction d'année de collaboration. 

Toutefois, pour les journalistes et assimilés dont l'ancienneté dans l'entreprise est supérieure à 15 ans, les articles L7112-4 et D7112-2 du Code du travail prévoient que l'indemnité de licenciement est fixée par la commission arbitrale des journalistes (cf. autre publication sur ce sujet)

En pratique, un tel salarié se verra donc normalement allouer à titre d'indemnité de licenciement une somme équivalente à 15 mois de salaire majorée d'une somme complémentaire déterminée souverainement par les membres de la commission arbitrale. 

L'indemnité de licenciement d'un journaliste ayant plus de 15 ans d'ancienneté n'est donc pas forcément déterminée uniquement en fonction de son ancienneté et de son salaire. Deux journalistes ayant exactement la même ancienneté et la même rémunération peuvent ainsi se voir allouer des indemnités de licenciement de montants différents. 

Un tel mode de fixation de l'indemnité de licenciement apparaît incompatible avec la procédure de rupture conventionnelle. 

En effet, comment l'employeur et le journaliste vont-ils savoir, lorsqu'ils négocieront le montant de l'indemnité qui devra être versé au moment de la rupture conventionnelle, si cette somme est bien égale ou supérieure à l'indemnité qui, en cas de licenciement, aurait été fixée à l'issue de la procédure d'arbitrage ? 

Comment, même à supposer que les parties soient ensemble convenues d'une indemnité de rupture, la direction départementale du travail, qui ne dispose que d'un délai de 15 jours pour se décider, va-t-elle pouvoir vérifier, comme elle en a l'obligation, que la somme prévue à la convention de rupture conventionnelle que l'on lui demande d'homologuer est bien égale ou supérieure à celle qui aurait résulté de la sentence prononcée par la commission arbitrale à la suite d'un licenciement ? 

Cela est évidemment impossible. 

On pourrait imaginer que, dans le cadre de leurs pourparlers, les parties décident de s'en remettre préalablement à la commission arbitrale. 

Le délai nécessaire avant que la commission arbitrale des journalistes rende sa décision semble cependant inadapté à la procédure de rupture conventionnelle qui suppose, en général, un terme effectif assez proche.

Surtout, la compétence de la commission arbitrale est strictement délimitée par la loi. Elle ne peut intervenir qu'en cas de licenciement (ou démission assimilée à un licenciement) d'un journaliste professionnel ou assimilés ayant plus de 15 ans d'ancienneté ou, et dans ce cas quelle que soit l'ancienneté du salarié, à la suite d'un licenciement pour faute grave ou répétée.  

Il a déjà été jugé que la compétence exceptionnelle donnée par la loi à la commission arbitrale des journalistes ne pouvait être étendue à des cas autres que ceux prévus par la loi (Cass. soc. 18 juill. 1961). 

Cette commission n'a donc aucun pouvoir pour statuer sur le montant de l'indemnité due à un journaliste ayant plus de 15 ans d'ancienneté dans le cas d'une rupture conventionnelle. 

Elle n'a d'ailleurs pas vocation à être saisie avant la rupture du contrat de travail. 

On pourrait également imaginer que les parties conviennent, dans la convention de rupture, que le montant de l'indemnité du salarié sera égal au montant fixé ultérieurement par la commission arbitrale des journalistes. 

Mais, sauf à abandonner tout pouvoir de contrôle et à s'en remettre à la sagesse de la commission arbitrale, la direction départementale du travail devrait refuser d'homologuer une telle convention qui, en se contentant de renvoyer vers un tiers la tâche de fixer le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle ne lui permettrait pas de vérifier, au moment où elle doit se prononcer, si celui-ci est bien égal ou supérieur au montant de l'indemnité légale de licenciement et ce, encore une fois, alors que la commission arbitrale des journalistes ne dispose pas du pouvoir de fixer le montant de cette indemnité spécifique qui ne se confond pas avec l'indemnité de licenciement. 

On voit mal, sauf à modifier les textes, comment contourner cette difficulté. 

D'ailleurs, même si une convention fixant l'indemnité de rupture conventionnelle d'un journaliste ayant plus de 15 années d'ancienneté était homologuée par la direction départementale du travail, le traitement social et fiscal de cette indemnité poserait des difficultés. 

On sait en effet que l'indemnité versée dans le cadre d'une rupture conventionnelle bénéfice d'un traitement fiscal et social favorable (exonération, sous certains plafonds, des charges sociales, de la CSG-CRDS et de l'impôt sur le revenu) mais ce par référence et, le plus souvent, dans la limite du montant de l'indemnité de licenciement légale ou conventionnelle. 

Or, en raison de l'impossibilité de déterminer quel aurait été le montant de l'indemnité qui, en cas de licenciement, aurait dû être versé au salarié dont le contrat a pris fin par une rupture conventionnelle, il sera difficile de bénéficier sans risque de ce traitement favorable. 

Il apparaît ainsi que la procédure arbitrale mise en place par loi Brachard du 29 mars 1935 au bénéfice des journalistes ayant plus de 15 ans d'ancienneté dans une même entreprise, constitue aujourd'hui un obstacle à la mise en oeuvre, pour ces mêmes journalistes, de la procédure de rupture conventionnelle.

Vianney FERAUD

Avocat au barreau de Paris