Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a jugé que l'employeur d'un journaliste ou assimilé payé à la pige ne "pouvait unilatéralement modifier le montant de sa rémunération en ne lui fournissant plus la même quantité de travail".

Quelques jours plus tard, par un arrêt du 29 septembre 2009, elle a également jugé "que si l'employeur d'un journaliste pigiste employé comme collaborateur régulier est tenu de lui fournir régulièrement du travail sauf à engager la procédure de licenciement, il n'est pas tenu de lui fournir un volume de travail constant" (cf. autre publication sur ce point)

La mise en oeuvre, par les juridictions du fond, de ces règles a priori difficilement conciliables apparaissait délicate tant l'espace entre le droit, pour l'employeur, de ne pas fournir au pigiste régulier un "volume de travail constant" et son obligation de lui maintenir "la même quantité de travail" apparaît réduit.

C'est l'exercice auquel s'est livrée, la Cour d'appel de Paris qui a eu l'occasion, ces derniers mois, de s'interroger sur la possibilité, pour un employeur, de baisser unilatéralement le volume des piges confiées à un journaliste ou assimilé.

Dans un arrêt en date du 12 mars 2010, la Cour d'appel de Paris (Pôle 6 - Chambre 11) examinait le cas d'un photographe reporter, employé et payé à la pige depuis de nombreuses années par une société de presse, qui se plaignait d'une baisse importante du montant de ses piges à partir de l'année 2001.

Les montants annuels des piges versées à ce journaliste avaient été les suivants :

en 1994 : 12 246 euros

en 1995 : 41 165 euros

en 1996 : 29 109 euros

en 1997 : 31 600 euros

en 1998 : 27 699 euros

en 1999 : 38 523 euros

en 2000 : 35 191 euros

en 2001 : 17 731 euros

en 2002 : 14 846 euros

en 2003 :11 855 euros

en 2004 : 18 630 euros

en 2005 :16 397 euros

en 2006 : 15 980 euros

en 2007 : 3 205 euros

en 2008 : 732 euros

en 2009 : 0 euro

Le pigiste soutenait que son employeur avait, en passant sa rémunération annuelle de 35 191 euros en 2002 à 17 731 euros en 2001, modifié son contrat de travail et que la rupture du contrat de travail lui était donc imputable.

Après avoir été débouté de toutes ses demandes par le Conseil de prud'hommes, ce salarié avait saisi la Cour d'appel de Paris.

La Cour d'appel de Paris rappelle que "si en principe une entreprise de presse n'a pas l'obligation de procurer du travail au journaliste pigiste occasionnel, il n'en va pas de même si, en lui fournissant régulièrement du travail pendant une longue période, elle en a fait un collaborateur régulier, même rémunéré à la pige, auquel elle est tenue de donner régulièrement du travail sauf à engager la procédure de licenciement".

Elle estime cependant que cette même entreprise de presse "n'a aucune obligation de fournir un volume de travail constant" au pigiste régulier. Par un arrêt du 15 février 2012, la Cour de cassation a confirmé cette analyse (cf. ci-dessous, le commentaire en date du 7 mars 2012).

Ici, selon la Cour d'appel de Paris, l'entreprise de presse ne pouvait donc pas "être contrainte", en 2001, de régler des piges pour un montant équivalent à celui qu'elle avait été versé les années précédentes.

Cette position rejoint celle arrêtée par la Cour de cassation dans sa décision du 29 septembre 2009, selon laquelle si l'employeur doit maintenir au pigiste régulier une collaboration régulière il n'a pas pour autant à lui garantir une rémunération constante.

La diminution de 49 % de la rémunération versée à ce salarié entre 2000 et 2001 n'est donc pas jugée fautive.

En revanche, la Cour d'appel de Paris estime qu'en 2007, "l'interruption de la relation de travail peut être constatée", "le règlement d'une pige de 3 205 euros n'étant pas de nature à caractériser la fourniture d'un travail régulier".

Et elle conclut qu'en s'abstenant de procurer régulièrement des piges à son collaborateur à compter de cette date, la société de presse "en a fait un employé occasionnel, a modifié son contrat de travail et a commis un manquement à ses obligations contractuelles dont la gravité justifie la résiliation du contrat à ses torts exclusifs".

Ainsi, selon la Cour, si la baisse de 49 % du montant du montant des piges entre 2000 et 2001 était acceptable, celle de 79 % en 2006 ne l'était pas et ce parce que le salarié ne pouvait alors plus être considéré comme un pigiste régulier.

Cela revient à considérer qu'un pigiste payé 3 205 euros par an ne serait plus "régulier" alors que celui qui reçoit 11 855 euros le serait encore.

Selon la Cour d'appel, lorsque la rémunération annuelle devient trop faible le pigiste ne peut plus être considéré que comme occasionnel et ce changement de statut justifie que le contrat soit résilié aux torts de l'employeur, produisant ainsi les effets d'un licenciement abusif.

En apparence, cette solution conduit à faire abstraction de l'évolution des montants réels des piges versées au journaliste pour ne s'intéresser qu'à l'évolution de son statut : pigiste régulier ou occasionnel. En dessous d'un certain niveau de rémunération, le pigiste ne serait plus "régulier".

Mais la régularité d'une collaboration et la rémunération retirée de la relation de travail sont deux choses qui ne sont pas forcément liées.

Est un pigiste régulier celui à qui l'entreprise de presse "fournit régulièrement du travail pendant une longue période" et non pas celui qui perçoit une rémunération supérieure à tel niveau.

Un journaliste qui perçoit d'un employeur des piges d'un montant modeste mais de façon régulière est un pigiste "régulier" et, à ce titre, est employé sous contrat à durée indéterminée et ce indépendamment du montant réel des piges reçues.

L'examen de la seule évolution du montant des piges versées apparaît donc plus adapté lorsqu'il s'agit d'apprécier si la baisse a ou non été fautive.

Dans un second arrêt en date du 15 avril 2010, la Cour d'appel de Paris (Pôle 6 - Chambre 7) a jugé le cas d'une journaliste payée à la pige pendant plus de 20 ans par le même employeur, dont le montant des piges avait subitement baissé.

Cette formation de la Cour d'appel, se ralliant elle à la position exprimée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 septembre 2009 estime tout d'abord que "l'intéressée est fondée à prétendre au maintien global d'un même niveau de collaboration, en se voyant confier un même nombre de piges, et assurer par-là même un niveau de rémunération à tout le moins comparable, d'une année sur l'autre, et, partant, à soutenir que toute baisse significative, en termes de charge de travail comme de rémunération, s'analyse en un licenciement dès lors dénué de toute cause réelle et sérieuse".

Constatant une telle "baisse significative", puisque la rémunération annuelle de la journaliste était passée d'environ 25000 euros en 2006, 2007 et en 2008 à 6500 euros en 2009, la Cour analyse cette diminution de la collaboration comme un licenciement.

Celui-ci ne peut être considéré que comme dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ce qui entraîne la condamnation de l'employeur à payer à la journaliste, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts.

La Cour fait également droit à la demande de rappel de salaires formulée par la journaliste, calculée sur la différence entre les rémunérations perçues en 2008 et en 2009 et elle condamne donc l'employeur à lui payer les salaires qu'il aurait effectivement dû verser s'il n'avait pas baissé le volume des piges confiées à cette journaliste.

Il est intéressant de constater que, comme si elle se devait de justifier sa décision, la Cour d'appel a pris le soin de préciser que "au regard notamment de la constance et de la permanence de la collaboration" de la journaliste, celle-ci "pouvait prétendre au statut de journaliste professionnelle permanente - et non plus de simple pigiste - ".

C'est en effet "en cet état" de "journaliste permanent" que la Cour retient que la salariée avait droit au maintien d'un niveau de rémunération d'un niveau comparable, "en se voyant confier un même nombre de piges" (ce qui permet de penser que même devenue "journaliste professionnelle permanente", la salariée n'en demeurait pas moins, pour la Cour, certes plus une"simple pigiste" mais une pigiste tout de même).

Il reste que, contrairement à ce qu'a jugé la Cour d'appel de Paris le 12 mars 2010, cette même Cour (mais "autrement composée") ne prend ici pas en compte, pour sanctionner la diminution des piges, le changement de statut de la journaliste (régulier / occasionnel) mais la seule baisse, jugée fautive (car significative), de la rémunération d'un pigiste "permanent".

Selon qu'il est pigiste "occasionnel" ou "régulier" voire "permanent", le pigiste pourra ou non prétendre, non pas à une rémunération "constante" mais au moins "comparable" et/ou au maintien de son statut.

Les nuances, en la matière, sont importantes et l'incertitude juridique reste grande tant pour l'employeur que pour le salarié ne serait-ce parce que personne ne sait vraiment à partir de quand un pigiste devient "régulier".

Conscients de cette difficulté, les partenaires sociaux ont, par accord du 7 novembre 2008, créé une "commission de suivi et d'interprétation" qui était amenée à se réunir, pour la première fois dans les 3 mois suivant la signature de cet accord, pour statuer "sur la question de la définition du pigiste régulier".

Les conclusions de cette commission ne semblent pas être connues...

Vianney FERAUD

Avocat au barreau de Paris