La clause de cession des journalistes est prévue à l'article L7112-5 1°du Code du travail.
Elle permet à un journaliste professionnel ou assimilé qui prend l'initiative de rompre son contrat de travail de prétendre, lorsque "cette rupture est motivée" par la "cession du journal ou du périodique", au paiement de l'indemnité de licenciement applicable aux journalistes (cf. autre publication sur ce sujet) et, le cas échéant, à une indemnisation par pôle emploi.
En l'état de la jurisprudence, les journalistes employés par des agences de presse ne bénéficient pas de la clause de cession (cf. toutefois, sur ce point, la réponse à une question posée sur la page consacrée à la durée du préavis).
La rédaction plutôt laconique de l'article L7112-5 1° du Code du travail a donné lieu à un certain nombre de procédures judiciaires, notamment pour déterminer ce qu'il fallait entendre par "cession du journal ou du périodique".
Mais ce sont aussi les modalités pratiques pour prétendre aux bénéfices de la clause de cession qui font l'objet de discussions.
D'abord, la date à laquelle le journaliste peut invoquer cette clause de cession et le préavis qu'il convient, dans ce cas là, de respecter continuent de nourrir de nombreuses procédures judiciaires.
Ensuite, l'appréciation de la motivation de la rupture par le journaliste est à l'origine de certains contentieux.
L'analyse de la jurisprudence permet d'apporter certaines précisions et de répondre à quelques questions d'ordre pratique.
Dans quel délai le journaliste doit-il invoquer la clause de cession ?
En pratique - et parfois sur décision de l'employeur ou même en application d'un accord d'entreprise - il est fréquent de soutenir qu'une clause de cession est "ouverte" de telle date à telle date.
C'est dans ce délai que le journaliste devrait décider s'il reste salarié de la société ou s'il décide rompre son contrat en "prenant" la clause de cession.
Pourtant, il a été jugé depuis longtemps par la Cour de cassation que "l'article L.761-7 (devenu L7112-5) du Code du travail n'imposant aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la [clause de cession], il suffit pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère" ou encore que, contrairement à ce que soutenait la société de presse, le journaliste pas n'a pas à "tirer les conséquences dès qu'il a connaissance de la cession, et à tout le moins à bref délai" (arrêts du 3 novembre 1994 et du 10 mars 1998)
De fait, aucun texte ne prévoit que la décision du journaliste serait enfermée dans un certain délai.
La Cour d'appel de Paris a clairement réaffirmé cette règle :
- alors que la société de presse indiquait que, suite à une cession en date du 5 juin 2006, elle avait ouvert une clause de cession du 26 septembre au 31 décembre 2006 et qu'elle reprochait au journaliste de n'avoir invoqué cette clause que le 22 octobre 2007 (soit 16 mois après avoir été informé de la cession elle-même), la Cour d'appel, reprenant à la lettre la jurisprudence de la Cour de cassation, rappelle que "les dispositions de l'article L 761-7 (ancien) du code du travail relatives à la clause de cession n'imposent aucun délai pour mettre en oeuvre celle-ci ; qu'il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances énumérées" (18 nov. 2010, Pôle 6 - Chambre 7)
- dans un autre arrêt (1er avril 2010, Pôle 6 - Chambre 8), la Cour d'appel de Paris se montre encore plus claire en estimant que "même par accord avec les organisations syndicales, l'employeur ne pouvait ajouter une condition à la loi qui ne prévoit aucune limite de délai à l'exercice du droit de présenter une demande tendant à bénéficier d'une clause de cession, au sens de l'article L.7112-5 du code du travail". En l'espèce le journaliste avait pris la clause de cession le 22 mars 2007 alors que la cession était intervenue en août 2006 et que l'accord conclu avec les syndicats prévoyait la "fermeture" de la clause de cession au 31 décembre 2006. La Cour de cassation a, par un arrêt du 16 février 2012, confirmé cet arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er février 2010. S'agissant du délai pour invoquer la clause de cession, la Cour de cassation juge que "l'article L. 7112-5 du code du travail n'imposant aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la clause de cession, il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère ; qu'ayant constaté que la demande de M. X... faisait suite à la cession de l'entreprise et était motivée par celle-ci, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".
- dans un arrêt du 2 juillet 2008, la Cour d'appel de Paris a validé la clause de cession prise par un salarié le 29 juillet 2005 en raison d'une cession d'actions du capital de son employeur qui était intervenue en juin 2003, soit plus de 2 ans auparavant.
Cette absence de délai est régulièrement rappelée par les tribunaux, notamment la Cour d'appel de Paris :
- "considérant que les dispositions de l'article L. 7112- 5 du code du travail (…) ne prévoient aucun délai pour faire jouer la clause de cession; qu'il suffit pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées que la résiliation du contrat soit motivée par une des circonstances qu'il énumère" (Cour d'appel de Paris, 5 juillet 2012)
- "aucune disposition légale ni jurisprudentielle n'enferme la faculté d'exercer les droits reconnus par l'article L 7112-5 du Code du Travail dans un délai déterminé" (Cour d'appel de Paris, 12 février 2014)
Il apparaît ainsi que le journaliste dispose d'un temps de réflexion qui peut être très long après la cession pour invoquer la clause dite de cession et qu'il ne peut être tenu de prendre une décision dans un certain délai, même si son employeur en a initialement décidé autrement.
Il reste toutefois que les accords sur la clause de cession et les décisions sur les dates "officielles" d'ouverture et de fermeture de celle-ci ne sont pas totalement dénués d'intérêts.
Ils permettent aux journalistes qui font jouer la clause de cession dans le délai ainsi annoncé d'avoir la quasi-certitude que leur employeur ne contestera pas que la rupture s'inscrit bien dans le cadre de la clause de cession.
L'employeur qui - cela se comprend aisément - aimerait être assez rapidement fixé sur la décision de ses salariés ou même qui voudrait inciter ses journalistes à quitter l'entreprise, peut également proposer à ceux qui feraient jouer la clause de cession dans le délai fixé, un avantage particulier.
Dans son arrêt du 1er avril 2010, la Cour d'appel de Paris examinait ainsi la demande d'un journaliste qui prétendait au bénéfice d'une "note" de son employeur qui avait prévu, pour les journalistes ayant plus de 15 ans d'ancienneté qui feraient jouer la clause de cession avant une certaine date, le versement d'une indemnité d'un mois par année de présence jusqu'à la 15ème année et d'un 1/2 mois pour les années au delà de 15 ans (il n'est pas du tout certain que cette "carotte", qui visait à contourner la compétence exclusive de la Commission arbitrale pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement d'un salarié ayant plus de 15 ans d'ancienneté, était particulièrement favorable).
La demande du journaliste est rejetée par la Cour d'appel qui estime que s'il peut effectivement bénéficier de la clause de cession "dans son principe dans la mesure où le délai litigieux est une condition illicite car ajoutée à la loi, il ne saurait cependant bénéficier de la partie de l'indemnité dépassant l'indemnité légalement prévue jusqu'à 15 ans d'ancienneté, dans la mesure où cette note limitait le bénéfice de ce surplus à une demande faite dans un délai précis, en l'espèce non respecté par le salarié".
Le salarié est donc renvoyé vers la Commission arbitrale des journalistes.
Le journaliste qui entend invoquer la clause de cession doit-il respecter un préavis ?
A défaut de texte contraire, le journaliste qui entend faire jouer la clause de cession doit respecter (sauf dispense expresse de son employeur) un préavis d'une durée équivalente à celle applicable en cas de démission, c'est-à-dire un mois (voir cette autre publication sur ce sujet).
Il n'en est autrement que lorsque le salarié invoque non pas la clause de cession mais la clause de conscience puisque dans ce cas là, la loi prévoit expressément que le salarié n'est pas tenu d'observer le moindre préavis.
Pour l'avoir oublié et avoir quitté son emploi avant la fin du préavis applicable en cas de clause de cession, un journaliste est condamné par la Cour d'appel de Paris à payer à son employeur une somme équivalente au salaire qu'il aurait perçu s'il avait respecté ce préavis. La Cour rappelant que le journaliste "ne peut valablement s'opposer à cette demande [de son ancien employeur] au motif que lorsqu'un journaliste se prévaut de l'une des hypothèses prévues à l'article L.7112-5, il serait légalement dispensé d'accomplir un préavis alors qu'en application dudit article L. 7112-5 la dispense du préavis n'est prévue que pour le 3°, en cas de changement notable dans le caractère et l'orientation du journal, ce qui n'est pas le cas de la cession prévue au 1° et invoquée en l'espèce".
Quelles formalités doit respecter le journaliste qui entend invoquer la clause de cession ?
Le Code du travail ne précise pas quelles formalités doit accomplir le journaliste qui décide d'invoquer la clause de cession.
Il est désormais clairement acquis que, pour pouvoir prétendre au bénéfice de cette clause, le journaliste doit prendre l'initiative d'une rupture du contrat claire et non équivoque, formellement motivée par la cession du journal ou du périodique.
Afin d'éviter toute difficulté, le journaliste doit donc envoyer à son employeur (le cessionnaire) un courrier recommandé dans lequel il précise clairement qu'il met fin au contrat de travail en raison de la cession et qu'il entend de ce fait bénéficier des dispositions prévues à l'article L7112-5 1° du Code du travail.
Dans les arrêts rendus par la Cour d'appel de Paris, les sociétés de presse contestaient le fait que les journalistes puissent bénéficier de la clause de cession non seulement parce que, selon elles, ils l'avaient invoquée tardivement mais aussi parce que, toujours selon elles, les véritables motivations des salariés n'étaient pas liées à la cession.
Dans un cas, il était soutenu que la véritable raison de la démission du journaliste résultait en fait non pas de la cession du périodique mais des difficultés persistantes qu'il rencontrait dans le fonctionnement de son service ainsi qu'avec d'autres membres du personnel et dans la réalisation des missions qui lui étaient confiées.
Dans les deux autres cas, les employeurs affirmaient que c'étaient des motifs personnels aux salariés qui les avaient conduit à démissionner (dans l'un des cas, le salarié avait d'ailleurs reçu, avant de prendre la clause de cession, une promesse d'embauche par un autre employeur).
Il était en particulier soutenu qu'il appartenait à la Cour de vérifier la réalité de la cause invoquée par le salarié, pour motiver la rupture.
Ces prétentions sont rejetées par la Cour d'appel de Paris qui rappelle que s'il faut, pour pouvoir prétendre aux bénéfices de la clause de cession, que la "cause objective" de la rupture soit effectivement la cession du journal et du périodique, une telle motivation est en soi suffisante.
Le salarié n'a donc pas à expliquer précisément les raisons pour lesquelles, du fait de la cession, il a décidé de quitter l'entreprise.
Ainsi, alors que le journaliste avait écrit que sa décision s'expliquait "par des raisons importantes" qu'il ne souhaitait pas "en l'état développer" et qu'il se voyait "moralement contraint de quitter ses fonctions", la Cour d'appel retient que même si de tels motifs sont "vagues", le fait que le journaliste ait par ailleurs fait expressément référence à la cession suffit à lui permettre de prétendre aux bénéfices de la clause de cession. Cette analyse a d'ailleurs été confirmée par la Cour de cassation (cf. commentaire du 7/03/12, ci-dessous).
La Cour d'appel fait, en toute hypothèse, peser sur l'employeur l'obligation de démontrer, le cas échéant, que la véritable cause du départ n'est pas celle exprimée par le journaliste (preuve évidemment très difficile à apporter).
Il n'est pas inutile de noter que lorsque l'ancien employeur refuse, à tort, de reconnaître au journaliste démissionnaire le bénéfice de la clause de cession, il s'expose à être condamné à des dommages-intérêts pour résistance abusive, ainsi que l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du14 décembre 2010.
Reste une question peu évoquée devant les tribunaux : les journalistes pigistes peuvent-ils prétendre à la clause de cession ?
A l'évidence, les pigistes qui sont employés régulièrement et qui, de ce fait, sont liés à leur employeur par un contrat à durée indéterminée (cf. autre publication sur ce point), peuvent, comme les autres journalistes professionnels, prétendre au bénéfice de la clause de cession.
Publié le 7 avril 2011
Je n'ai pas vu, dans les récentes mesures liées au covid-19, une disposition qui serait susceptible d'empêcher un journaliste d’invoquer la clause de cession.
Journaliste et travaillant depuis 15 ans pour une revue, cette dernière a été rachetée par un autre groupe. Les contrats de travail ont été transférés. La clause de cession a été évoquée mais pas du fait des journalistes mais du repreneur qui nous encourage fortement à l'accepter car il appert que le titre va s'arrêter fin octobre et qu'il n'a pas de poste à nous proposer par la suite.
Que se passera-t-il si je ne fais pas jouer cette clause ?
Et si un licenciement est envisagé, quelles conséquences pour moi ? Je veux dire : est-ce que ça risque de prendre du temps, m'empêchant de m'inscrire à Pôle emploi (et toucher mes indemnités chômage) et je risque de me retrouver sans revenus.
Merci d'avance pour votre réponse
Cordialement