Le 29 février 2024, la Cour de Cassation a reconnu la faute inexcusable d’un établissement de santé (ESPIC) suite à l’agression d’un médecin du service des urgences par une patiente.
Est ce à dire que toute agression d'un professionnel par un patient releve de la faute inexcusable ?
Tout dépend de la réalité (criticité) du risque et de son niveau de maitrise. Explications...
Bref rappel des faits.
Dans la nuit du 8 au 9 janvier 2017, une patiente a « violemment agressé[e] » une médecin urgentiste. Elle « s'est jetée sur elle et l'a agrippée par les cheveux avant de la frapper, une fois au sol, à coups de poing et de pied », le personnel soignant intervenant pour mettre fin à l’agression.
Le caractère professionnel de l’accident est reconnu sans contestation.
La patiente est condamnée par le tribunal correctionnel de Nanterre à « 3 mois d'emprisonnement pour violences sur un professionnel de santé suivies d'une incapacité de travail supérieure à huit jours. »
Cependant, la médecin agressée souhaite qu’une faute inexcusable soit retenue à l’encontre de l’établissement de santé qui l’emploie.
Pour cela, après avoir été déboutée en 1° instance, elle se tourne vers la Cour d’appel de Versailles qui fait droit à sa demande quant à la reconnaissance de la faute inexcusable commise.
Analyse confirmée par la Cour de Cassation le 29 février 2024.
La faute inexcusable...
« Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. »
Le caractère inexcusable de la faute commise par l’employeur s’apprécie donc de façon concrète, sur la base de constations matérielles.
En l’espèce, la médecin rapporte l’existence de réunion évoquant le risque d’agression du personnel dès 2011, des échanges de mails interrogeant sur les mesures prises par l’établissement face aux comportements des patients et de leurs accompagnants et sur la programmation de travaux et d’un programme d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) actant de la recrudescence d'actes violents au sein du service des urgences de l'hôpital en 2015 en lien avec « notamment, [de] l'engorgement des services générant l'insatisfaction des usagers, l'altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins. »
L’établissement de santé « avait ou aurait donc du avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur » .
A t il « pris les mesures nécessaires pour l’en préserver »?
Non répondent la Cour d’appel de Versailles et la Cour de Cassation.
Face au risque, la réaction de l’établissement est considérée « comme une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et la gravité du risque encouru » et « les mesures de protection mises en oeuvre (…) insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d'agression auquel était soumis son personnel en particulier, son personnel de nuit. » (formation de gestion de l’agressivité, ronde de maitres chiens la nuit…)
Comme toujours en matière de faute inexcusable, « il ne peut être considéré que la seule réalisation du risque démontrerait le caractère insuffisant des mesures mises en oeuvre par l'employeur, et donc sa conscience du danger subsistant, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable de l’employeur ».
Dans cette affaire, les tribunaux ont apprécié la connaissance du risque auquel étaient soumis les professionnels par l’employeur et les moyens mis en oeuvre par l’employeur pour minimiser, atténuer voire abolir le risque.
Conclusion
En conséquence, il est donc nécessaire pour les établissements de santé
- d’analyser les différentes sources d’informations disponibles (enquêtes de satisfaction des usagers et des professionnels, fiches d’événements indésirables, actions EPP, rapports d’activités CRUQPC, réclamations, questions CSE …),
- de les partager largement au sein de groupes pluridisciplinaires en interne pour apprécier au plus près les risques et les priorités de mise en oeuvre.
Et pour les établissements qui estiment que le fait de ne pas recueillir un indicateur aurait permis d’échapper à la reconnaissance de la faute inexcusable, on peut répondre que l’établissement de santé aurait également été fautif en n’ayant pas conscience du danger existant.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue l’actualité du secteur qui fait des actes de violences à l’encontre des soignants un axe d’actions important (Proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé adoptée en 1° lecture à l’Assemblé Nationale le 14 mars 2024) nécessitant que ce sujet soit traité au sein de chaque établissement et structure de santé.
Arrêt de la Cour d'appel de Versailles 16/06/2022 en PJ
Décision Cass. civ.2° du 29/02/2024 ici
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