« La liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » sont les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » tels que définis par la Déclaration des Droits de l’Hômme et du Citoyen (article 2)
La libre disposition de ses biens et de son patrimoine est une modalité d’exercer le droit de propriété, droit constitutionnel fondateur de la démocratie.
Le concept de « Propriété » est défini par l’article 544 du code civil : "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements."
Les façons de distribuer son patrimoine sont donc à la main du propriétaire.
I. Les dispositions contestées
Cette liberté de disposer de ses biens est limitée pour le propriétaire - patient par l’article 909 du code civil. Cet article stipule :
« Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci.
(…)
Sont exceptées :
1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus ;
2° Les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe ; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.
(…) »
Les patients ne peuvent donc pas donner tout ou partie de leur patrimoine aux personnes qui les soignent ou ont soignés sauf en paiement d’actes ou en cas de lien de parenté.
Or, cette interdiction faite à l’égard des professionnels de santé (professions médicales, pharmaceutiques et auxiliaires médicaux) a fait l’objet d’une contestation devant le Conseil Constitutionnel au motif que « cette interdiction, formulée de façon générale, sans que soit prise en compte la capacité de la personne malade à consentir une libéralité ni que puisse être apportée la preuve de son absence de vulnérabilité ou de dépendance, porterait atteinte à son droit de disposer librement de son patrimoine ».
Sous réserve de disposer de ses pleines facultés mentales, le patient pourrait souhaiter manifester sa gratitude envers les professionnels qui l’ont pris en charge et soigné durant la maladie, en leur attribuant une libéralité.
C'est cette interdiction faite à tout patient, quelle que soient les circonstances et ses facultés, de faire un don de toute nature aux professionnels de santé qui est questionnée.
II. La position du Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel rappelle le cadre de l'interdiction de l'article 909 du code civil :
- la poursuite d’un « but d’intérêt général » : protéger les personnes « placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d'une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins »;
- la circonscription de cette interdiction aux « libéralités consenties pendant le cours de la maladie dont le donateur ou le testateur est décédé. »
- la définition des professionnels concernés : les « seuls membres des professions médicales, de la pharmacie et aux auxiliaires médicaux énumérés par le code de la santé publique, à la condition qu'ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient ».
En conséquence, la « situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l'égard de celui qui lui prodigue des soins » pour une maladie dont il va décéder enjoint à limiter la libre disposition de ses biens et de son patrimoine.
III. Conclusion
La limitation du droit de propriété, dans ce cadre,« est justifiée par un objectif d'intérêt général et proportionnée à cet objectif. »
L’article 909 alinéa 1 du code civil est conforme à la Constitution.
IV. Conséquences pratiques.
Les contours de l'interdiction pour le patient qui souhaiterait gratifier un professionnel de santé sont :
- attribuer une donation à un membre d'une profession médicale, de la pharmacie ou à un auxiliaire médical qui le prend en charge,
- être soigné pour une maladie causant son décès,
- réaliser cette donation au cours des soins de cette maladie.
Ces trois points sont cumulatifs.
Les contours de l'interdiction pour le professionnel de santé qui souhaiterait accepter une donation sont :
- exercer une profession médicale ou de la pharmacie ou être un auxiliaire de santé du Livre IV du code de la santé publique
- ne pas avoir pris en charge la maladie dont le patient est décédé,
- que la donation n'ait pas été faite au cours de la prise en charge de la maladie causant le décès.
Ces trois points sont cumulatifs.
V. Addendum
Notons par ailleurs, que
- cette même interdiction pèse sur les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions, et les ministres des cultes.
- a contrario, les établissements de soins organisés sous forme de structures habilitées à recevoir des dons et legs (fondation, association reconnue d’utilité publique…) peuvent recevoir des libéralités y compris de patients qu’ils prennent en charge. (article 910 II du code civil)
- les autres types d’établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux doivent être autorisés par le Préfet de leur département pour recevoir des libéralités. (article 910 I du code civil)
Décision n° 2022-1005 QPC du 29 juillet 2022
A retrouver sur les Actualités du cabinet Avossens
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